de Rabah Ameur-Zaimeche
Bled Number One relate l’histoire du retour de Kamel (Rabah Ameur-Zaimeche himself, formidable) et Louisa (Meriem Serbah, touchante) dans leur bled algérien d’origine. Ce bled, ils y sont surement nés, mais sont partis pour la France. Assez longtemps pour avoir changé, dans leur corps, dans leur tête. Kamel a été obligé de quitter la France pour des raisons qu’on ignorera presque jusqu’à la fin, Louisa a quitté son mari en emmenant son fils pour rejoindre la famille (bon, nous on se doute tout de suite qu’elle a fait une connerie Louisa. Pas de quitter son mari, mais de revenir dans sa famille…). Kamel et Louisa reviennent chez eux, mais y sont étrangers. Ils sont confrontés à un monde qu’ils comprennent mais auquel ils n’appartiennent plus. Un monde d’une violence inouïe, englué dans ses traditions.
Ce film oscille entre réalisme rugueux, poésie et absurde. Certaines scènes sont à la limite du soutenable, l’égorgement rituel d’un taureau lors d’une fête de village (et pourtant, j’assume totalement ma violence alimentaire), le tabassage de Louisa par son frère, du frère de Louisa par des intégristes. Pourtant, à certains moments souffle un vent de fraîcheur dans ce monde de brutes : un bain de mer au milieu d’épaves gigantesques (ahh le bob orange de Kamel au milieu de la mer grise, fantastique), des enfants sur une terrasse. Et puis soudain, au bord d’un lac, un guitariste égrène ses riffs électriques et arabisants, et Kamel s’assoit, face au lac, son bob orange vissé sur la tête, et puis soudain Kamel se met à pogoter au milieu de mâles algériens dansant de mouvements langoureux… j’arrête là, car des scènes magnifiques, il y en a beaucoup dans ce film.
C’est un film visceral, et magistralement maîtrisé. L’huma y a vu une comédie (?!?), euh, comment dire… non. On rit de temps en temps, on pleure aussi, mais on a surtout mal. C’est un bon film, voire un grand film. Pas de démonstration dans Bled Number One. Juste un regard sur un ailleurs tout proche, et si lointain, qu’on ne comprend pas, qu’on ne comprend plus. Si on veut mégoter, on pourrait dire que le symbolisme final est légèrement lourdingue (Kamel veut fuir le bled, Il enfile ses lunettes de soleil, et le bled se reflète dedans, Kamel à jamais exclu de ses racines…). Mais bon, a-t’on vraiment envie de mégoter ? Rabah Ameur-Zaimeche est un grand metteur en scène et un immense acteur. Toujours sur le fil, et en peu de scènes, il compose un personnage perdu et lunaire, révolté et contemplatif. Il a une présence rare, une dégaine unique.
Pour finir, je laisse la parole aux patients de l’hôpital psychiatrique dans lequel va se réfugier Louisa après une tentative ratée de suicide : « Les fous, ils sont à l’extérieur ». Et après avoir vu ce film, oui, les fous sont bien à l’extérieur…
Photos : © Les Films du Losange