de Terrence Malick
The Tree of life est un film paradoxe dans toutes ses composantes, sa culture, son histoire, sa mise en scène. Il ne se laisse pas facilement aborder intellectuellement, alors même qu’il parle au coeur et aux sensations directement. Tenant lieu plus de l’évocation, de la réminiscence, du souvenir, que d’une volonté de raconter une histoire, le film de Terrence Malick, tout juste palmé à Cannes, ne peut, de toutes façons, laisser indifférent.
L’histoire est finalement simple, malgré son éclatement. Un homme (Sean Penn), qui a visiblement tout réussi dans la vie, se remémore son adolescence et la perte de son frère. Plongé dans les années 50, on assiste donc à la vie d’une famille américaine « typique », père self-made man très strict et artiste déçu, mère au foyer, illuminée par l’amour de Dieu. Tout le film résulte de ce paradoxe pédagogique, de ces tiraillements, de cette schizophrénie, entre une éducation à la rude dispensée par le père, pour lequel il faut être dur, et pas trop gentil, et l’éducation toute en douceur de la mère, baignée par la foi et complètement idéalisée.
J’étais pourtant partie avec un a priori très négatif, tant les aspects mystiques m’agacent généralement beaucoup plus qu’ils ne me transportent. Prenant la plupart du temps la forme d’une voix-off, d’ailleurs fort inutilement omniprésente, les citations bibliques, les interrogations à Dieu ne sont pas d’une grande profondeur. On interroge Dieu sur le pourquoi, le pourquoi de la perte d’un enfant. Bon, pas grand chose de transcendant. Les personnages tentent de trouver un explication aux malheurs qui leur arrivent, de se réconforter en questionnant Dieu. Plus qu’un hymne à la gloire de Dieu, ces passages me sont apparus comme un élément fondateur de l’éducation des personnages, tout comme la rigidité de l’éducation paternelle. On échappe difficilement à son éducation. L’exemple de cette famille « type » américaine, devient alors emblématique de l’évolution de la société américaine, tiraillée entre des principes antinomiques d’amour universel et de réussite personnelle.
Ce qui étonne tout d’abord, c’est une espèce de naïveté de la part de Malick, de maladresse, d’enfance, notamment dans cette évocation de l’évolution depuis le Big Bang jusqu’à aujourd’hui. Il expose la théorie darwinienne en condensé, « L’arbre de vie » comme elle est appelée métaphoriquement. Il accumule de belles images, et des symboles un peu faciles (ces planètes rondes comme des ventres de femmes enceintes, l’arrivée de la météorite qui a provoqué l’extinction des dinosaures, comme le choc de la perte de l’enfant), le tout noyé dans une musique assez infâme. On se retient de rire, de s’agiter sur le siège d’agacement. Mais. Mais voilà, il y a une telle sincérité dans cette grosse machine, que la facilité et la naïveté se muent en une espèce de grande beauté, et d’émotion qui explose à la naissance de l’enfant. J’ignorais totalement que le film était autobiographique, mais je l’ai senti dès les premières images. Malick nous invite à découvrir ce qui l’a façonné, la façon dont il a vécu son adolescence, mais du point de vue de l’adolescent, sans s’octroyer le recul de l’âge. Et devenu adulte, il replonge dans ses souvenirs d’adolescent, ses sensations beaucoup plus que ses réflexions.
Le film lui-même est aussi paradoxal que l’éducation de ces petits américains. Certains de ses défauts peuvent être considérées comme rédhibitoires. La musique d’abord, globalement peu intéressante et qui envahit absolument tout. N’est pas Kubrick qui veut, et les goûts musicaux de Malick me laissent totalement perplexes. Ils font cependant probablement partie du processus du film, de rester au niveau de l’évocation de l’adolescence, et de ce qui a justement baigné cette adolescence. La voix-off ensuite est aussi omniprésente que la musique. Elle est somme toute peu intéressante et très souvent redondante par rapport à l’image. Parce que passés l’agacement, et l’ahurissement que provoquent cette voix-off, il y a la caméra de Malick. Et là, honnêtement, on est dans du très grand cinéma. La direction d’acteurs, la mise en scène, la photographie, sont tout bonnement éblouissantes. Le moindre plan, la moindre image dans chaque plan en raconte beaucoup plus que 2h18 de voix off. Il suffit d’un quart de seconde durant un repas familial pour qu’on comprenne, après pourtant quelques images d’enfance heureuse, que quelque chose ne va pas dans cette famille, qu’il y a un problème du côté du père, qu’il y a de la peur, de la souffrance, de l’admiration aussi du côté de l’enfant. Malick réussit à filmer des sensations, des émotions, avec pourtant une quasi absence de dialogues.
Le film a des côtés obsessionnels, fétichistes. Il collectionne certains types de plans : des plans à mouvement vertical, de bas en haut, comme pour toucher le ciel, mais qui s’arrêtent pourtant à la pointe des arbres. On retrouve ces mouvements de caméra sur d’immenses buildings vitrés qui, à force de vouloir prendre possession du ciel, ne font que le réfléchir. « Toucher » est un mot qui convient très bien au film, il a en effet un côté très tactile. L’homme se remémore ses sensations d’adolescence, y compris ses sensations physiques. Tout commence par le père qui caresse le pied de son fils nouveau-né, on retrouve aussi les pieds nus de la mère, qui jouent avec l’eau. Les mains aussi. On croise des mains en permanence, mains qui se tendent vers le ciel, pour sentir la chaleur des rayons ou les gouttes de pluies. Mains qui caressent, qui frôlent, qui jouent, qui se battent aussi, comme quand le père essaie d’apprendre à boxer à ses fils. C’est juste magnifique et émouvant.
Film « malade », psychédélique, aussi ahurissant, agaçant, naïf qu’il est sincère, magnifique et bouleversant, The tree of life symbolise parfaitement ce qu’est son créateur : un Américain moyen planqué derrière un formidable metteur en scène. Schizophrénique.