Chronique film : Des hommes et des dieux

de Xavier Beauvois.

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Un homme.
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C’est curieux le fou rire. Ca peut vous prendre n’importe quand. En général, c’est plutôt sympa, on a du mal à s’arrêter, ça fait rigoler le monde autour. Et puis parfois, ça tombe au mauvais moment, dans un moment où le sérieux est de rigueur, où le recueillement est la seule alternative, où l’écoute se doit d’être irréprochable. Et on a encore plus de mal à s’arrêter.

Des hommes et des dieux est un film rigoureux et exigeant. Beauvois fait preuve d’un sens de la photographie (cadrage, lumière) extrêmement impressionnant. A peu près tous les plans sont sublimes. Sa caméra saisit, par des jeux de profondeurs de champ, les moindres variations de l’âme de ses personnages. Beauvois atteint notamment quelques sommets de grâce pure, notamment lorsqu’il filme l’Atlas (superbe scène ou Lambert Wilson s’assoit sur un rocher au bord d’un lac, et semble se fondre avec lui). Oui mais voilà. Après environ une heure de film à me dire “oh oui oui, c’est très beau, austère, rigoureux, mais très beau”, j’ai commencé à ressentir une sorte d’overdose de perfection picturale et morale.

Les défauts du film me sont alors apparus et n’ont fait que croître durant toute la fin de la projection. L’interprétation d’abord, dégoulinante à force d’être concernée, entre pincements de lèvres de souffrance retenue, et yeux levés au ciel vers vous savez qui. Seul Michael Lonsdale tient plutôt la route, apportant une petite touche de distance bienvenue à son personnage. En effet, à force de neutralité affichée (ici on ne juge pas, on observe), Beauvois signe un film entièrement au premier degré. Ici, on ne respire pas, on est concerné, ici la vie est difficile, on la respecte. Le réalisateur nous donne donc à contempler la vie (dure) de ces moines, entre travaux manuels, intellectuels, et messes. Le problème, c’est qu’à force de cantiques (en français pour mieux apprécier les sublimes paroles), et de dialogues dont la majorité tourne autour de métaphores sur la vie des fleurs et des oiseaux, on n’a qu’une envie, c’est de tout péter et de se teindre en mauve (pour rester soft, me sont venues en tête des idées immensément plus méchantes).

Deux scènes fortes constituent les points culminants de ce film concerné au sérieux papal (bon ça va hein). Durant la première, les moines chantent un merveilleux cantique dans leur église, et se tournent tous en groupe pour un regard face caméra lorsqu’ils entendent un hélicoptère tourner autour du monastère (grand moment de tension, et début du fou rire). La seconde est une scène de repas et elle démarre plutôt bien : Michael Lonsdale apporte deux bouteilles à table en allumant la radio sur le Lac des Cygnes. On se dit, enfin une respiration, un souffle d’humanité, de lâcher prise, de second degré (quand même Le Lac des Cygnes quoi !). Malheureusement, la scène ne s’arrête pas là, et se poursuit par un interminable ralenti sur les visages des moines, d’abord heureux et surpris de s’en jeter un petit, puis rattrapés par leurs émotions (ça se voit, il y a de la buée sur les lunettes), ils commencent à verser une petite larme en se touchant légèrement par l’épaule pour bien montrer qu’ils sont tous là l’un pour l’autre.

Et c’est là que le fou rire m’a vraiment frappé. Un fou rire nerveux, mais qui m’a valu un certain nombre de regards désapprobateurs (et concernés). Au final, malgré sa beauté plastique et cinématographique, Des hommes et des dieux me paraît passer à côté de son propos, dresser le portrait d’une communauté d’hommes de bien, en se concentrant trop sur leur pratique de la religion et pas assez sur leur humanité. Il ne fait de plus qu’effleurer le contexte historique qui a entouré l’assassinat de ces hommes, sans se lancer dans aucune polémique (ce qui n’aurait pas forcément été utile je vous l’accorde). Beau, mais trop sérieux, trop respectueux, trop premier de la classe, Des hommes et des dieux est une déception. Imméritée, je sais, mais déception tout de même.