Chronique film : Into the wild

de Sean Penn.

Quand les films que l’on voulait voir disparaissent de l’affiche en moins d’une semaine, il reste les films qu’on avait pas très envie de voir, c’est le cas de celui-ci. Fort heureusement le film vaut bien mieux que sa consternante bande-annonce. On est loin du film d’aventures qui va à cent à l’heure. Bien au contraire, Penn ne fait aucune concession en ce qui concerne le temps, le film s’étale largement dans ses plus de 2h30 de pellicule. L’odyssée du gars (véridique) a duré deux ans, et ses ramifications plongent profondément dans le passé, le film prend donc ses aises pour laisser s’installer les sensations et les émotions. Cette large plage temporelle donne lieu à un montage intéressant, mêlant habilement les différentes époques, révélant le passé au compte-gouttes (les flash-back sont vraiment intéressants), pour mieux éclairer le présent.

Chris, un jeune bourgeois américain, lâche famille, carrière et amis pour partir, le nez au vent en quête de l’Alaska. Si au premier abord, la démarche initiale de Chris semble relever d’un idéalisme romantique et littéraire, son rejet total de la société, son anti-matérialisme primaire sont finalement des actes éminemment politiques, surtout dans un pays comme les Etats-Unis. Plus le film passe, plus la fuite de Chris se révèle profonde, son refus de la société cache en fait un rejet de ses parents, dont les mensonges et les disputes ont progressivement fait voler en éclat l’identité initiale du jeune homme. Le personnage prend alors un peu plus d’épaisseur, il ne s’agit plus seulement d’une fuite romantique d’un jeune bourgeois en quête d’aventures, mais une reconstruction de soi, un apprentissage par la solitude choisie. Il est dommage que l’acteur principal soit si lisse, et propret, il manque singulièrement de profondeur.

Malgré quelques « trucs et astuces » assez agaçants, Penn réussit quelque chose de vraiment beau, notamment grâce à une photographie superbe, refusant systématiquement tout réalisme (sauf dans les scènes finales, mais chuuut) et magnifiant les paysages croisés. Chris est dans son « trip », la nature est sa force, c’est sa beauté qu’il voit et nous transmet. On peut également saluer les quelques seconds rôles certes un peu archétypaux, mais singulièrement bien interprétés (un petit coup de coeur pour Catherine Keener et Hal Holbrook). Ces personnages très secondaires permettent de ne pas faire sombrer Chris dans un héroïsme sans tâche. C’est leur présence qui révèle l’égoïsme assez écrasant du gars. Son rejet du monde, c’est aussi un rejet des gens qui l’aiment et qui souffrent de sa disparition.

Bon on va pas se mentir non plus, Into the wild reste un film hollywoodien, mais il faut avouer que c’est assez joli et que je ne me suis pas ennuyée, c’est déjà pas mal.

Chronique film : Promets-moi

d’Emir Kusturica.

Promets-moi est la preuve éclatante qu’il ne suffit pas d’être bien accompagnée au ciné pour que le film soit un chef-d’oeuvre. Ça c’était la pensée du jour. Voilà… quoi vous dire d’autre sur ce machin… Même si ma ire est bien moindre que pour le Coen (l’attente était moins forte aussi, c’est sûr), Promets-moi est cependant assez proche de la bouse, et ça tombe pas mal, parce que ce qu’il y a de mieux dans le film, ce sont sans aucun doute les bovidés.

Extrêmement brouillon, le film se suit avec pas mal de difficultés, pourtant, l’histoire n’a rien de très compliqué : un petit paysan au grand-père bricolo doit conduire sa vache en ville pour la vendre, et ramener une icône, un souvenir, et une nana. Kusturica balance des milliers d’idées sans en suivre aucune, on a un peu l’impression que le film devait durer 5 heures, et qu’il a été remonté avec les pieds pour tenir en 2, ce qui fait qu’on assiste aux débuts de plein de trucs qui n’aboutissent jamais.

Promets-moi oscille entre fable initiatique qui aurait pu être mignonnette, film de truands (un bon millier d’armes pétaradantes et complètement inutiles), film burlesque, et peut-être film « social » dénonçant la condition de la femme en Serbie (pute, solitaire masculine, ou femme de paysan, mais là, je crois que c’est vraiment parce que j’aimerai bien qu’il y ait un truc positif dans ce truc). Beaucoup de bruit, d’hystérie et de fureur, des poules, et une fanfare, il n’y a pas grand chose à sauver là-dedans, à part la jeune actrice, fraîche et jolie comme tout, et le vieux pépé, assez bien vu. A part ça, je reste dubitative.

Chronique film : Lust, Caution

d’Ang Lee.


                                                    (dessin de Klimt, « Papiers érotiques », publié aux éditions Gallimard, j’vous conseille)

Encore toute à mon souvenir lacrymal de Brokeback Mountain, je suis allée voir Lust, Caution, sans en savoir grand chose, et avec une bonne dose de méfiance, les critiques étant pour le moins mitigées. Mes doutes ont été levés très vite, tant la douceur, la fluidité, la justesse de la caméra d’Ang Lee font absolument merveille. Comme dans Brokeback mountain, on a l’impression que cette caméra réussit à toujours être exactement à la bonne place, sans voyeurisme, sans distance excessive. Juste là où elle doit être. C’est virtuose sans crânerie, humble et très cinématographique.

Shanghaï pendant l’occupation japonaise. Mme Mak joue au Mah Jong chez Mme Yee. Sourires de société, les femmes parlent, trompent leur ennui en perdant de l’argent. M. Yee fait un passage éclair. Soudain, Mme Mak se rappelle un rendez-vous et s’éclipse. Dès ce moment là, le spectateur est électrisé. Quelque chose s’est passé. En un regard. Puis débute un grand flash-back, on pourrait même dire que c’est la séquence d’introduction qui constitue le flash-forward. Petite introduction pour appâter le spectateur sur l’origine et le dénouement de cette histoire. Quatre ans plus tôt, Mme Mak, n’est pas Mme Mak, mais Wang, une jeune étudiante à Hong-Kong. Pour l’effort de guerre, elle rentre dans une troupe de théâtre engagée dans la propagande nationaliste (belle réflexion sur l’art comme outil au service de la lutte, comme catalyseur des volontés) . Son talent d’actrice vite prouvé, la troupe s’engage dans une action clandestine, tuer M. Yee, chef de la milice ou un truc comme ça, mais surtout sympathisant avec les nippons. M. Yee est incroyablement prudent, et l’approcher est difficile. Wang est toute désignée pour faire amie-amie avec Mme Yee, afin d’approcher M.Yee. Après quelques bouleversements historiques et un retour à Shanghaï, Wang devient la maîtresse infiltrée de Yee, leurs rapports sont troubles, violents, SM, mais en même temps absoluments passionnés, amoureux et même romantique. Yee confie une mission secrète à Wang, branle-bas de combat dans les rangs de la résistance. La mission est en fait le choix d’un diamant chez un bijoutier…

Le film est émaillé de scènes sublimes, parfois fugaces (Wang sort la tête de la fenêtre d’un bus pour attraper une goutte de pluie avec la langue), parfois plus longues. Dans un restaurant japonais, Wang chante une chanson d’amour chinoise à Yee. Acte de résistance, acte d’amour. D’abord éloignée de lui, comme sur scène, elle s’approche doucement. Le sourire, amusé, ironique, condescendant de Yee devant sa « geisha », change au fur à mesure de l’approche de Wang, pour finir dans la douceur et les larmes. Un magnifique moment de cinéma. Lust, caution, est un film tout en réflexions, réflexions des miroirs, des vitres, de verres de vin, ou du diamant final. Les gens ne sont pas ce qu’ils semblent être, juste des reflets d’eux-mêmes, des pantins, des comédiens, qui ne vivent pas leur vraie vie, mais la vie que l’Histoire leur impose. Dans la scène du restaurant japonais, il n’y a pas de miroir, pas de vitre, pas de verre, mais des murs de papier et des bols. Yee est maintenant seul face à sa maîtresse, seul face à lui-même, à ses sentiments réels. Pas de double en réflexion, juste la nudité de l’être.

Outre une magnifique histoire de passion amoureuse trouble, sado-masochiste (Wang, d’abrd dominée, réussie à prendre le dessus, en plongeant dans le noir son partenaire, terrorisé par l’obscurité), Lust, Caution, raconte la façon dont l’intime peut bouleverser l’Histoire, et comment l’Histoire peut bouleverser l’intime. Il est ridicule de réduire ce film à ses quelques scènes de cul, comme il était ridicule de réduire Brokeback… à la scène se déroulant sous la tente. Ces scènes, certes capitales (le corps de Wang, d’abord envahi par l’ennemi, puis, de plus en plus maîtresse, dominante), instructives (je ne suis même pas sûre que certaines positions soient dans le Kâma Sûtra), ne sont que la matérialisation corporelle d’un conflit intime et historique beaucoup plus ample. Et finalement c’est souvent le thème des films de Lee, la difficulté d’exister tel qu’on est vraiment. Respect.

Chronique film : No country for old men

de Joel et Ethan Coen.

Je suis absolument furax d’avoir perdu trois heures de mon we pour aller voir ce film (je compte le trajet hein). Emmerdée je me suis, et ce n’est pas peu dire. Je n’ai pas été prise une seule seconde, pas intéressée, pas amusée, pas interpellée, l’oeil las, et la bouche qui baille. Pourquoi ? Les acteurs sont irréprochables, Bardem impressionnant, la mise en scène virtuose, y’a plein de scènes cracras à souhait. Les Coen savent jouer des changements de rythme pour faire monter le suspense, étirer des scènes, les silences, puis tout accélérer, de préférence dans un bain de sang. De ce côté-là, pas de souci. Le problème, c’est qu’ils l’ont déjà fait, que les bains de sang ne sont intéressants que s’il y a quelque chose derrière, un humour, une distance. Mais là, ce n’est pas le cas, ou peut-être un peu trop. Les Coen se veulent dorénavant penseurs, et leur histoire n’a qu’un but que de parler de la rémanence et de l’indestructibilité du Mal, avec un soupçon de pointe de « c’était mieux avant », dont ils essaient de se défendre dans une scène parachutée. C’est poisseux, plein d’une nostalgie voilée à deux balles, et même la mise en scène ultra-calculée n’arrive à m’enlever de la tête que les Coen sont en train de devenir des pépés, et ça, ça fait mal. A movie for old men. Allez, on oublie.

Chronique film : Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet Street

de Tim Burton.

Burton réalise avec cette tragédie musicale son film le plus désespérément sombre, et ce, dès le générique, magnifique, avec ses gouttes de pluie mêlées de sang qui tombent au ralenti sur un Londres dégoulinant d’humidité poisseuse. Le barbier Benjamin Barker, revient à Londres, après 15 ans de bagne, afin de se venger d’un juge libidineux qui a poussé sa femme à la mort et a enlevé sa fille. Sous le nom de Sweeney Todd, le barbier revanchard, aidée d’une pragmatique et moralement douteuse tenancière d’auberge, tente d’attirer à lui ses bourreaux pour les faire passer de vie à trépas.

Malgré la noirceur du film, il y a un plaisir extraordinaire deBurton, et de ses acteurs, ça se sent, et c’est donc incroyablement communicatif. Burton réalise un film à la fois bourré de références et très créatif. Je dois avouer qu’il m’a semblé y voir pas moins de 4 révérences au Dracula de Coppola, ce qui m’a fait pointer une larme à l’oeil (le bateau qui accoste dans le brouillard, la caméra qui parcourt les rues en accéléré, le sang sur le portrait de l’aimée, et enfin la belle scène finale). Visuellement, le film est une pure merveille, avec sa photo désaturée, et ses décors étouffants. Malgré des excursions dans un Londres décati, défait, le film se déroule quasiment en huis-clos. Ce qui différencie Sweeney Todd de tous les Jack l’Eventreur et autres serial-killers, c’est qu’il ne traque pas ses proies, il les laisse venir à lui. Il consent à une apparition sur le marché pour « faire sa pub », mais ce sera tout. Ce n’est pas anodin. Le barbier reste enfermée dans sa boutique, qui est également son ancienne demeure. Il est incapable de se défaire de son passé, de l’oublier, de passer à autre chose. Dans cette pièce, les lames de ses rasoirs, et les miroirs brisés lui renvoient des reflets déformés du présent, comme pour prouver son irréalité. Sweeney est donc bien enfermé dans ses souvenirs, et toutes les personnes pénétrant dans cet univers n’en ressortiront pas. Les souvenirs sont un piège mortel. A côté de lui, Mrs Lovett, l’aubergiste, lui parle de remariage, s’imagine déjà en couple, une maison au bord de la mer (surréalistes scènes turquoises, au milieu de cet océan de noirceur). Les scènes entre ces deux là, sont les plus belles, et les plus tristes.

Malgré quelques longueurs, une musique parfois un peu trop « musical » (Depp et Carter s’en sortent néanmoins vraiment pas mal), Sweeney Todd est un beau film, noir, sans espoir. Une réussite.