Chronique film : Ghost Writer

de Roman Polanski.

Clique si tu n’as pas peur des fantômes.

Ben alors là… à la lecture du sujet, honnêtement, je ne pensais pas me bidonner autant en allant voir Ghost Writer. Et pourtant, même si le film n’est pas une comédie à proprement parler, il faut avouer qu’il est dans l’ensemble vraiment très drôle. Polanski réussit à trouver une sorte de ton taquin, sans avoir l’air d’y toucher, vraiment plaisant, et qui au final colle parfaitement au sujet, puisque les protagonistes ici sont des hommes et des femmes dont le métier est de jouer la comédie : politiciens, nègre littéraire, femme de, agent artistique… tout un monde de faux-semblants dont le but, plus ou moins avoué est la dissimulation de la vérité, sa manipulation, à des fins tout sauf altruistes.

Notre héros, sans nom prononcé, est donc le nègre d’un politicien (librement inspiré de Blair). En anglais, on dit « ghost writer », terme beaucoup plus poétique et à la symbolique évidente. Remplaçant un premier nègre mort dans des circonstances troubles, le « ghost writer » va effectivement, par sa présence, de manière involontaire, réveiller les fantômes qui entourent le politicien depuis son premier nègre, en passant par les torturés pour de soit-disant raisons d’état, jusqu’aux personnages troubles de son passé, qui finalement tirent les ficelles de son présent.

Pour raconter son histoire, Polanski opte pour une mise en scène très classe, implacable, avec une caméra ironique impeccable. Il use de ses décors magnifiquement, notamment cette extraordinaire maison moderne sur son île : illusoire refuge qui donne l’impression d’être en prise sur l’extérieur, tout en étant vulnérable, de dominer le monde, tout en étant à sa merci. Le sens du détail dont il fait preuve est impressionnant, tout en restant discret. Sa direction d’acteurs notamment est sobre et excellente : il transforme Ewan McGregor en une sorte de personnage hitchcockien typique : l’innocent qui se voit plonger dans une histoire qui le dépasse, et qu’il est finalement obligé de prendre en main pour sauver sa peau. McGregor s’en sort franchement bien, devenant à son corps défendant un corps qui se défend, passant d’un personnage purement intellectuel à un personnage de cinéma très physique. Le reste de la distribution est à l’avenant, avec un très surprenant Pierce Brosnan, gouffre d’une indéchiffrable noirceur, sous le masque brillant de l’acteur (pardon du politicien), et une parfaite et trouble Olivia Williams.

Bref, on assiste là à un pur film de mise en scène, pour parler de la société du spectacle (pardon, de la sphère politique), un film de suspens, qui amuse et divertit sans faute de rythme durant ses 2 heures et 8 minutes. Nickel.

Chronique film : Shutter Island

de Martin Scorsese.

IMG_1802_450

Reliquat de tempête sur Shutter Island ? Clique.

Bon Scorsese n’a jamais été réputé pour la sobriété de sa mise en scène, mais là, on atteint quelque part, un vrai sommet. Et le plus étonnant, c’est que, passés quelques « ouh lala il y va fort », ça fonctionne plutôt bien dans l’ensemble.

Adaptant un déjà fascinant polar éponyme de Dennis Lehane (tout comme le grand Clint l’avait fait avec Mystic River), Scorsese a trouvé le terrain propice à toutes les expérimentations filmiques. Plongeant un pas très reluisant marshal Daniels (Di Caprio) de la cuvette d’un chiotte à une île – prison – hôpital psychiatrique glauquissime, il avait matière à faire bouillonner son imagination. Décor fascinant, histoire à tiroirs, peuplés d’habitants tous potentiellement dingos, et en tous les cas tous dangereux. Le suspens et la boule au ventre arrivent très tôt, dès l’apparition de ce ferry bâteau fantôme sur les eaux sombres et ne lâche (presque) plus. Malheureusement, quand on a lu le bouquin, et que la mémoire vous revient dès le début du film sur les tenants et aboutissants du schmilblick (un peu à cause de Di Caprio, qui justement en fait un peu trop au départ), l’intérêt se perd parfois : des scènes deviennent évidentes et sans mystère, on trouve parfois le temps un peu longuet, Scorsese franchement lourdingue sur certaines scènes (aïe aïe aïe l’image des camps… pfff) et la m

usique assourdissante inutilement.

Outre ces quelques réserves, le film reste quand même vraiment impressionnant de maîtrise. C’est virtuose, aucun doute là-dessus, et un tel sujet le nécessitait. Dans les mains d’un tâcheron, le film aurait été complètement brouillon. Fascinant la manière dont Scorsese réussit à mêler les rêves, les hallucinations et la réalité. C’est d’ailleurs dans ces passages que le film m’a le plus bluffé : quand Daniels rêve à sa femme morte dans leur appartement en feu, il la serre dans ses bras, elle brûle, de l’eau ruisselle de ses mains, il se réveille, de l’eau coule du plafond. Magnifique. Un peu eu la même impression que dans les scènes oniriques du magnifique Tetro : le cinéma c’est l’endroit où tout peut se produire, où l’imaginaire d’un metteur en scène peu remettre en cause la réalité et la logique du monde, s’échapper, s’évader des lois de la physique. C’est d’ailleurs l’évasion, la fuite, le véritable thème de Shutter Island : l’évasion d’une patiente pour révéler l’évasion mentale, causée par une réalité trop lourde à supporter, vers une fantasmagorie où les douleurs seront plus supportables (pour Daniels), ou vers la mort provoquée (Dolores).

Scorsese a également eu l’intelligence d’ajouter une fin très légèrement différente de l’originale, histoire de ne pas trop frustrer le lecteur-spectateur. C’est très malin. Un très bon Scorsese.

Chronique film : Mother

de  Joon-ho Bong. 

Parfois un peu collant l’amour maternel non ? Clique.

J’ai bravé la neige et le verglas pour aller voir Mother sur des conseils avisés. Mais comparé à la volonté de la mère du titre, c’est de la gnognote mon périple. Parce que quand même, l’instinct maternel ça déménage.

Pas de doute, Joon-ho Bong n’est pas manchot de la caméra. Dès le premier plan le film est sublime dans ses cadres, ses couleurs. On retrouve très vite la patte de l’auteur de The Host : le héros du film est un peu limité, et fait évidemment penser au papa de son précédent long métrage. Dans Mother, ce n’est plus le père, qui tente de sauver son enfant, mais une mère, La Mère, on pourrait dire. Aussi tentaculaire que la bestiole de The Host, elle couve son fils benêt d’une attention de poulpe. On sent que cette overdose d’attention a des racines profondes, et la suite le confirmera. Et puis un jour, tout bascule. Le gars est accusé du meurtre d’une jeune lycéenne. Culpabilité trop évidente, la mère refuse l’enfermement de son fils et, sans argent et sans soutien, part à la recherche du coupable. C’est un véritable parcours du combattant.

Le film à ce moment là oscille entre plusieurs styles suivant les tableaux et situations vécues par la mère : entre gros mélo, polar, et même comédie. Tout est réussi, Mother est sans aucun doute un très beau film. Mais ce n’est pas le chef d’oeuvre annoncé (tout comme The Host d’ailleurs, un excellent film de frousse, mais pas géniallissime non plus.) Mother souffre de plus d’un vrai problème de rythme et de durée. Le film, à force de changer de style, et malgré l’unité visuelle, finit par s’étirer et par manquer de centrage. Ce ne sont pas les scènes lentes qui plombent le film, mais plutôt ce patchwork un peu éclaté. C’est dommage. J’ajouterai (et je vais probablement me faire lyncher), que l’actrice principale, visiblement une grosse vedette coréenne, ne m’a pas du tout convaincu, elle m’a même un peu gavé.

Mais que ça ne vous empêche pas d’aller voir Mother. Un très beau film de début d’année.

 

Chronique film : Le refuge

de François Ozon. 

Jaloux non ? Clique.

Mon amour pour Ozon étant très irrégulier, et ayant particulièrement apprécié Ricky, c’est avec une suspicion certaine que je rentrais dans la salle. En général, c’est un sur deux. Mais cette fois ci était une bonne. Le refuge est un film particulièrement simple pour le réalisateur, tournant autour de deux de ses thèmes de prédilection : la perte et la maternité.

Mousse est jeune héroïnomane qui perd son compagnon Louis d’une overdose. A l’hôpital, se réveillant d’un coma, elle apprend le décès de Louis et sa grossesse. Passant outre les recommandations de la famille grande bourgeoise de Louis, elle garde l’enfant, et part dans une maison du pays basque, son refuge, pour vivre sa grossesse. Pendant quelques jours, le frère cadet de Louis vient lui rendre visite. Et c’est une belle rencontre que celle de cette femme sans mari (« vous n’êtes quand même pas la Vierge Marie ? » lui demande un dragueur de passage) et de cet homme sans mère (il a été adopté). Elle qui n’est pas encore sortie de l’enfance, à chercher encore et encore la chaleur de la matrice (sa maison, son bain, le parquet, le champ…), à demander à un amant de passage de la bercer (cette scène m’a terrassé), va enfanter. Mais pour des raisons qui ne sont pas l’amour maternel. A la mort de Louis, elle s’est sentie investie de lui, le portant dans son ventre. Mais c’est un leurre, et la grossesse se déroule comme si l’enfant n’existait pas vraiment. Mousse est encore trop immature pour cet enfant. Et Paul, le frère de Louis, est curieux de cette vie, de cette grossesse. Lui qui n’a pas connu sa vraie mère, et qui a peu de chances d’être père (il est homosexuel), cherche en Mousse quelque chose qu’il ne connaît pas.

Ce sont deux marginaux, qui se cherchent encore et s’apportent mutuellement les choses qui leur manquent : elle une figure masculine, lui une figure maternelle. Ozon réussit à faire un film d’une très grande douceur, apaisé, mais sans niaiserie. Il y a des scènes très dures dans Le refuge (le scène de l’overdose, la scène chez les beaux parents, ou l’attention d’une femme sur la plage qui tourne vite en folie), les personnages sont fondamentalement imparfaits, incomplets. Mais il émane de l’ensemble un vrai amour, une belle tendresse  dans le regard d’Ozon à l’égard de ses héros, ce qui n’avait pas toujours été le cas jusqu’à présent. Et le geste final de Mousse n’apparaît pas comme un abandon, mais comme une transition, un geste finalement de quelqu’un qui grandit et réfléchit, et qui a enfin décidé de se construire.

La caméra d’Ozon est plus limpide que dans ses précédents films. Plus naturaliste, elle gagne aussi en légèreté. Lumières naturelles très belles, jeux de miroirs sur ces êtres inachevés, c’est vraiment beau. Et l’acteur qui joue Paul a un côté Rohmerien qui passe ma foi très bien. Certes pas un film tape à l’oeil, mais un très bon moment, émouvant, suspendu. Parfait.

Chronique film : Invictus

de Clint Eastwood.

IMG_9505nb800

Un ballon de rugby ne reste pas longtemps solitaire.
Clique avant la ruée. 

Clint Eastwood prouve encore une fois que simplicité n’est pas synonyme de simplisme. Invictus est magnifique, car magnifiquement lumineux, évident. J’ai passé 2h entre rire et larmes (certes ma super sinusite a particulièrement exacerbé la partie larmes). Sur un sujet vraiment casse-gueule (si, si, avouez), l’élection de Nelson Mandela et la façon peu orthodoxe qu’il utilise pour unifier l’Afrique du Sud, un des pays, si ce n’est le pays le plus clivé des années 1990. C’est en soutenant l’ascension spectaculaire de l’équipe de rugby sud-africaine, les Sprinboks et leur conquête de la coupe du monde en 1995 que Mandela pose la première pierre de la difficile mission qu’il s’est fixé, construire une nation soudée, où les discriminations et préjugés réciproques s’effacent.

Sous l’aspect un peu « anecdotique » de cette méthode, et derrière le lissage (inévitable ?) du film, qui omet quelques détails sur cette finale 95 qui ont cependant leur importance, Eastwood arrive cependant à réaliser un film très profond, et d’autant plus efficace que le bougre sait parler au coeur et aux tripes des gens pour mieux leur agiter les neurones. Et le parallèle avec la méthode de Mandela (impeccable Morgan Freeman, mais on en attendait pas moins de lui) est frappante : Eastwood/Mandela, même combat, où comment utiliser ce qui fait vibrer les gens pour mieux réveiller les consciences, l’art et le sport, deux « disciplines » a priori futiles, inutiles, sans bénéfice matériel, et pourtant d’essentiels facteurs d’évolution des mentalités. D’ailleurs Mandela utilise également l’Art, la poésie, pour réussir à rester debout durant sa détention notamment. Et il partage ce poème, ce socle (Invictus de William Ernest Henley dont je vous conseille vivement la lecture) avec le capitaine de l’équipe de rugby.

Partage, générosité, connaissance mutuelle, voilà les valeurs avec lesquelles Mandela dirige. Il force les joueurs de l’équipe à réaliser une tournée dans les quartiers sud-africains : mal perçue au départ par les joueurs (qui auraient préféré se ménager avant le tournoi), cette tournée sera pourtant la source de leur force. Très beaux plans que ceux de ces culs blancs à l’abri dans leur bus qui traversent et découvrent les quartiers miséreux de leur pays. Médiatisée (Mandela prône la paix, mais a bien les pieds sur terre), cette tournée va souder derrière l’équipe tout un pays, et va ancrer l’équipe dans la réalité d’un pays. Et c’est par le collectif, au sein de l’équipe, autour du stade et aussi en dehors, que cette finale va devenir un moment historique, symbolique de la réconciliation d’un peuple.

On sent chez Eastwood une véritable fascination pour Mandela, un respect immense pour son combat, son parcours, sa force de conviction, sa grande sagesse sans naïveté. Très beau plan en clair-obscur de Mandela habillé en blanc, travaillant dans son bureau plongé dans l’obscurité. Un ange blanc qui se détache de l’obscurantisme : cet homme là a dépassé toutes les petitesses humaines pour atteindre une sagesse lucide et éclairée. Il n’est pas facile de pardonner, c’est un chemin long et douloureux. Atteindre une telle grandeur d’esprit, après avoir vécu le pire, tout en restant intrinsèquement tourné vers les autres est immense. Et pourtant il n’est qu’un homme, comme nous le renvoie sa fille rancunière.

La caméra d’Eastwood est très souple, féline, tout le long du film. Evidente. Et faire simple n’est pas simple. Et même si, comme d’habitude, je déplore son goût pour la musique sirop, et les ralentis un peu too much, Invictus est un sacrément beau moment, qui touche là. Profondément.