Chronique film : Shutter Island

de Martin Scorsese.

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Reliquat de tempête sur Shutter Island ? Clique.

Bon Scorsese n’a jamais été réputé pour la sobriété de sa mise en scène, mais là, on atteint quelque part, un vrai sommet. Et le plus étonnant, c’est que, passés quelques « ouh lala il y va fort », ça fonctionne plutôt bien dans l’ensemble.

Adaptant un déjà fascinant polar éponyme de Dennis Lehane (tout comme le grand Clint l’avait fait avec Mystic River), Scorsese a trouvé le terrain propice à toutes les expérimentations filmiques. Plongeant un pas très reluisant marshal Daniels (Di Caprio) de la cuvette d’un chiotte à une île – prison – hôpital psychiatrique glauquissime, il avait matière à faire bouillonner son imagination. Décor fascinant, histoire à tiroirs, peuplés d’habitants tous potentiellement dingos, et en tous les cas tous dangereux. Le suspens et la boule au ventre arrivent très tôt, dès l’apparition de ce ferry bâteau fantôme sur les eaux sombres et ne lâche (presque) plus. Malheureusement, quand on a lu le bouquin, et que la mémoire vous revient dès le début du film sur les tenants et aboutissants du schmilblick (un peu à cause de Di Caprio, qui justement en fait un peu trop au départ), l’intérêt se perd parfois : des scènes deviennent évidentes et sans mystère, on trouve parfois le temps un peu longuet, Scorsese franchement lourdingue sur certaines scènes (aïe aïe aïe l’image des camps… pfff) et la m

usique assourdissante inutilement.

Outre ces quelques réserves, le film reste quand même vraiment impressionnant de maîtrise. C’est virtuose, aucun doute là-dessus, et un tel sujet le nécessitait. Dans les mains d’un tâcheron, le film aurait été complètement brouillon. Fascinant la manière dont Scorsese réussit à mêler les rêves, les hallucinations et la réalité. C’est d’ailleurs dans ces passages que le film m’a le plus bluffé : quand Daniels rêve à sa femme morte dans leur appartement en feu, il la serre dans ses bras, elle brûle, de l’eau ruisselle de ses mains, il se réveille, de l’eau coule du plafond. Magnifique. Un peu eu la même impression que dans les scènes oniriques du magnifique Tetro : le cinéma c’est l’endroit où tout peut se produire, où l’imaginaire d’un metteur en scène peu remettre en cause la réalité et la logique du monde, s’échapper, s’évader des lois de la physique. C’est d’ailleurs l’évasion, la fuite, le véritable thème de Shutter Island : l’évasion d’une patiente pour révéler l’évasion mentale, causée par une réalité trop lourde à supporter, vers une fantasmagorie où les douleurs seront plus supportables (pour Daniels), ou vers la mort provoquée (Dolores).

Scorsese a également eu l’intelligence d’ajouter une fin très légèrement différente de l’originale, histoire de ne pas trop frustrer le lecteur-spectateur. C’est très malin. Un très bon Scorsese.

Chronique film : Shine de light

de Martin Scorcese.

J’ai pris un pied pas possible à ce film, vraiment un bon moment. Shine a light débute par un mini making-of sur la préparation du tournage, la grande question est « quel sera l’ordre des chansons ? », la réponse arrivera au moment même où débute le concert. Mieux vaut tard que jamais. Mais ça aide pas à planifier. La suite n’est grosso modo qu’un concert filmé, entrecoupé de ci de là par quelques petits morceaux d’archives savoureux et bien choisis. Mais un concert des Stones filmé par Scorcese, autant vous dire que ce n’est pas n’importe quoi.

Scorcese réalise avec Shine a light son Space Cowboys à lui, et c’est diablement émouvant. On est d’abord tiraillé entre pitié et raillerie pour ces pépés du rock. Le temps ne les a pas épargné, Charlie Watts fait un papy tout à fait crédible avec son dentier et ses cheveux de neige, Jagger ressemble de plus en plus à Jeanne Moreau, Wood et Richards sont complètement décrépits. Sans aucun doute, ils ont peu abusé de crèmes antirides, même si visiblement, ils ont tout de même fait un tour au rayon cosmétiques (pas un poil blanc pour Richards,Wood et Jagger). Dès les premiers accords, l’amusement moqueur, laisse la place pour un sourire béat : derrière les façades ancestrales, ça envoie grave. Jagger n’a rien perdu de sa voix, de sa souplesse, de son dynamisme, Watts, malgré un petit soupir fatigué se déchaîne sur sa batterie avec flegme, et Richards balance ses riffs laid-back et ses oeillades lubriques en veux tu en voilà.

Outre le « Jagger show qui dépote », le film est émaillé de moments savoureux :
– Jagger et Richards reprenant avec plein de sucre et de vinaigre As Tears Go By (qu’ils avaient refilé à Faithfull parce qu’ils la trouvaient trop mauvaise pour eux),
– Richards avec sa gueule de momie, et sa broche de pirate donnant un truc à une spectatrice (son médiator ?) et entonnant, clope au bec, un bon gros blues des familles,
– Les trois duos avec les invités Jack White, Buddy Guy et Christina Aguilera. Jack White n’en revient pas de chanter avec Jagger et de jouer avec Richards, il est entre admiration et volonté d’envoyer à mort pour pas être ridicule (et il ne l’est pas). Aguilera a un aplomb monstrueux sur ses talons de 25 cm (au moins), et se fait allègrement peloter le cul par un Jagger décidément vert, malgré sa cicatrice sur le torse. Hommage à Muddy Waters (le nom « Rolling Stones », ça vient de lui), le duo avec Buddy Guy est une pure merveille qui prend aux tripes…

Pour couronner le tout, esthétiquement le film est très réussi. Scorcese a bien choisi les gars derrière ses 16 caméras, et certains plans sont vraiment à tomber, notamment ceux avec Buddy Guy d’ailleurs. Alors on pourra peut-être regretter que le film soit un chouille trop long, et un choix de chansons peut-être pas toujours formidable. Mais passons, il y a tant de plaisir, d’admiration, d’énergie là-dedans que ça emporte tout. Grand grand plaisir.

Chronique film : Les infiltrés (The Departed)

de Martin Scorsese

Après une matinée pour le moins sanguinolente (Uma Thurman voulait dézinguer un certain Bill), direction The Departed. Remarquez en passant l’incroyable à propos de la traduction française du titre original, « The Departed » signifiant « Les Défunts » et non « Les Infiltrés »… Ok, « Les défunts » c’est un peu moins fun et explicite, cependant il faut avouer que « The Departed » ça a un tantinet plus de souffle.

Scorsese nous revient donc très très en forme. Deux gars sortent de l’école de police, et, en gros, le gentil infiltre les méchants, et le méchant infiltre les gentils. Entre les deux, une seule et unique femme… La tragédie est là, avec tous ses ressorts dramatiques, manipulations, dilemnes, trahisons, et fin inéluctable.

La distribution est de haute volée. Nicholson, en patron de la pègre beauf et vieillissant cabotine à mort, et fout les jetons comme pas permis. Di Caprio est vraiment bon en flic torturé, sacrifié par avance au bien public (il a pourtant un lourd passif Di Caprio, y compris avec Scrosese). Et on peut aussi noter la jolie Vera Farmiga, qui a la lourde tâche d’être « La » femme, et réussit à faire exister son personnage assez trouble de psy indécise et menteuse.

Les dialogues sont enlevés (traduire : au moins un « fuck » ou « prick » ou « sucker » tous les deux mots… les sous-titreurs ont dû avoir la tâche ardue, et n’ont réussi qu’à en faire apparaître un sur mille). La mise en scène et le montage sont scorsesiens jusqu’au bout de la pellicule, noir, violent, tranchant, efficace. Certaines scènes m’ont fait me recroqueviller sur mon siège (p… le coup du plâtre…). Le tout est servi par une musique somptueuse (que ne pardonnerait-on pas à quelqu’un qui tourne une scène d’amour sur du Floyd, hein, dites-moi ?).

Brouillant les pistes d’une intrigue qui n’est un prétexte, Scorsese accentue la ressemblance entre ses deux acteurs jusque dans cette grandiose scène de poursuite entre les deux taupes, où on finit par ne plus savoir qui et qui. Même boulot, même femme, mêmes patrons, même destin, au final, quelles différences ? Bon, pour compléter cette critique indigente, et vu que j’ai une flemme du diable, je vous conseille d’aller jeter un coup d’oeil ici, tout y est dit !