Chronique livre : Vacances surprises

de Marc Bernard.

vacancessurprisesIl s’en est fallu de très peu pour que je ne prenne pas la peine de vous parler de ce petit recueil de chroniques, écrites entre 1957 e 1960 par un lauréat du prix Goncourt bien oublié aujourd’hui.

Agréables et légers mais bien désuets ma foi, les courts textes composant Vacances surprises se lisent avec plaisir et sans douleur. Sans passion non plus.

Derrière Else il y avait une longue trainée de morts : sa mère,(…), dont la dernière carte que nous ayons reçue se terminait par ces mots: « …on vient me chercher ».

Et pourtant, vers la fin du livre, s’immisce avec discrétion et pudeur quelques allusions au passé de la femme de l’auteur, d’origine juive, et seule rescapée de sa famille. Ce n’est pas grand chose mais éclaire le recueil et donne à son caractère « enjoué à tout prix » une saveur différente, plus touchante et profonde que ce que l’on aurait pensé au premier abord.

(…) les discours menaçants ne viennent pas jusque-là ; ils sont couverts par les rires, les chants et l’espoir dans un avenir où les peuples, tout fanatisme disparu, vivraient dans l’amitié.

Vacances surprises reste une petite chose. Mais en ces temps troublés, invoquer quelque chose de la tolérance, de l’amitié, du vivre ensemble en bonne intelligence, ce n’est pas trivial. Et ça ne devrait jamais l’être.

Ed. Finitude

Chronique livre : Toutes les femmes sont des aliens

d’Olivia Rosenthal.

(…) c’est comment on héberge dedans une chose qui nous mange.

touteslesfemmessontdesaliensQuand je serai grande je veux écrire comme Olivia Rosenthal. Non mais sans rire. Chaque fois qu’un de ses livres me tombe entre les mains, c’est un raz-de-marée émotionnel. L’univers de cet auteur me bouleverse, sa manière pudique d’en parler par des constructions littéraires hyper contrôlées m’enthousiasme. Voilà. Olivia Rosenthal c’est quelqu’un qui a tout compris de la puissance de la littérature et qui trouve mille chemins pour parler de choses profondes et intimes. C’est juste super beau.

Si ça se trouve, Mowgli est entre les mains, pendant presque toute la durée du film, d’un couple gay, traumatisme supplémentaire qui redouble et approfondit le drame dont il est la victime consentante.

Pour parler de choses aussi profondes que la féminité, la maternité, l’enfance, les questions de genre, de tolérance, d’abandon, Olivia choisit de décortiquer des souvenirs de cinéma : de la saga des Aliens, en passant par les Oiseaux pour terminer sur une incroyable dissection de Bambi et du Livre de la jungle. C’est absolument délectable, très intelligent, émouvant mais aussi d’un humour fin et puissant qui touche toujours juste.

Dès lors (…), on accorde sa confiance à des animaux qui prônent le chômage consenti et revendiqué, on lâche ses résistances, on se laisse aller à l’appel du corps, c’est-à-dire à l’homosexualité, à la prostitution, à la gloutonnerie et à la paresse.

Je ne m’appesantirai pas sur le fond. Olivia Rosenthal déroule de manière complétement limpide sa pensée. Il faut le lire. C’est formidable. Ce qui m’intéresse le plus ici, c’est vraiment la manière dont elle le fait. Le cinéma, mais sans doute l’art en général, sert de point de départ au développement de la réflexion. C’est l’étincelle, le catalyseur, le support. A partir des images et des histoires que d’autres mettent au monde, Olivia Rosenthal construit, adhère, rejette, tricote, détricote, fait émerger les briques de l’insconscient. C’est passionnant de voir ça à l’œuvre, ça ouvre des portes dans la tête et dans le cœur. C’est drôle aussi parfois, ce que je n’avais pas encore discerné dans l’écriture d’Olivia Rosenthal mais qui est ici tout à fait visible et ça sans jamais sacrifier à la profondeur.

Mais les enfants, eux, ne sont pas dupes. Ils pleurent quand Mowgli s’en va, ils perdent quelque chose qu’ils ne retrouveront pas, la fable s’éloigne, les animaux se cachent, la société reprend ses droits, l’ordre règne, les espèces se déchirent, le semblable appelle le semblable, l’éden est méconnaissable.

Hommage absolu au cinéma, essai passionnant sur le conditionnement, l’enfance, la féminité, la maternité, Toutes les femmes sont des aliens, comme ses fondements cinématographiques  ouvre, initie, révèle. Mise en abyme élégante et taquine.

Ed. Verticales

Chronique livre : La Scie patriotique

de Nicole Caligaris.

lasciepatriotique

Très court roman de Nicole Caligaris, La Scie patriotique a eu les honneurs d’une réédition par Le Nouvel Attila. Excellente idée puisque ce texte n’a clairement pas pris une ride.

C’est la guerre. Une compagnie traîne à l’arrière, planquée dans une ville en ruine. Ils ont froid, ils ont faim et ils se demandent bien ce qu’ils foutent là. Pour tuer le temps ils jouent avec un chien et courent après les poules. Jusqu’au moment où, au bout de leurs réserves, ils bouffent le chien et la poule.

Le roman est très court donc, porté par un style détaché, nerveux, presque ironique alors que, progressivement, émerge l’horreur. Ces soldats qui n’en sont plus vraiment, pas d’ennemi, pas de bataille, pas d’uniforme, plongent du désarroi profond à la folie absolue. Nicolas Caligaris interroge mine de rien sur la fragilité de l’humanité. A partir de quand les barrières de la morale sont-elles tombées ? A partir de quand n’y a t’il plus de règles ? Quelle somme d’ennui et de violences accumulées sur les corps et dans les ventres déclenche la dérive ?

La Scie patriotique bouscule, malmène et interroge. Dès son premier roman, Nicole Caligaris a su s’imposer comme un personnage incontournable de la scène littéraire française. Merci au Nouvel Attila d’avoir réédité ce texte important et intemporel.

Ed. Le Nouvel Attila

Chronique livre : Les invécus

d’Andréas Becker.

Maman, la honte ne me quitterait plus, c’était ma punition, ma peine capitale, revivre toujours, ne jamais pouvoir mourir pour de bon.

lesinvecusIl avait vingt ans il y a vingt ans. Et il y a vingt ans il a écrasé un piéton. Depuis le temps s’est arrêté. Enfin pas vraiment. Mais il continue de vivre et de revivre la scène de l’accident. Des éléments s’en échappent, viennent brouiller le réel. Quelques pièces de puzzle, des motifs et des scènes récurrentes, tout se répète, se construit pour mieux se défaire et se recomposer. Quelques personnages aux noms étranges passent (réels ou fictifs ?), insaisissables.

Le héros, disons l’homme plutôt, a vraiment du mal avec la réalité. On pense à quelques grands livres récents et leurs héros dont les pieds touchent avec difficulté le sol, le très beau Pas Liev ou encore la magnifique Femme d’un homme qui. Mais le lecteur a aussi parfois l’impression étrange d’être emprisonné dans un texte Nouveau roman sépia et légèrement décoloré, mâtiné de roman noir vintage.

Naître complètement relevait de l’impossible.

Il y a des scènes saisissantes dans Les invécus, l’accident bien sûr, mais bien d’autres encore qui bien vite se délitent pour se transformer en autre chose, puis autre chose encore sans qu’on ait vraiment compris comment on avait pu atterrir là. Par exemple cette scène de sexe qui en un seul mouvement se transforme en accouchement. C’est totalement étonnant de réussir à retranscrire quelque chose de la fluidité du rêve (ou plutôt du cauchemar) par l’écriture.

J’ai besoin d’une nouvelle grammaire sinon je n’irai pas plus loin, seul le conditionnel me permettrait de me glisser dans le dicible. J’écrirais des phrases avec des majuscules au début et des points à la fin, avec des mots, des vrais enfin. On me l’aurait conseillé.

Dans les précédents romans d’Andréas Becker, il y était perpétuellement question de la recherche d’identité. Les invécus continue à creuser ce sillon, la recherche de soi à travers l’écriture et la naissance de l’écriture à travers soi. Laissant de côté ses prouesses lexicales sans pour autant affaiblir sa puissance stylistique, l’auteur creuse, fouille, déterre, explose, réunit, invoque encore et encore telle scène, tel détail, tel motif. Et c’est l’écrivain qui naît, grandit, mûrit, s’invente sous nos yeux. Moi je trouve ça beau et touchant.

Ed. Editions de la Différence

Chronique livre : Envoyée spéciale

de Jean Echenoz.

envoyeespecialeNon mais que ça fait du bien parfois qu’on vous raconte une histoire et comme il le fait bien Jean Echenoz. Parce qu’avouons, Envoyée spéciale n’a probablement guère d’autre ambition que de nous faire prendre du plaisir, et ça fonctionne remarquablement bien.

D’abord grâce à cette histoire, rocambolesque, aux multiples pistes que l’auteur se plaît à brouiller, puis dévoiler avec un savoir-faire d’horloger suisse. Ensuite grâce à son style inimitable, mélange de virtuosité indéniable et de légèreté taquine. Chez Echenoz, quelque part, on se sent à la maison ou avec des amis de longue date : tout est balisé, connu, facile, simple mais jamais simpliste.

Parce que c’est tout de même un festival. Festival d’inventivité romanesque d’abord, les histoires se croisent, s’entremêlent, dans une tapisserie complexe et farfelue. Festival d’humour, l’auteur y est omniprésent et s’amuse comme un fou à brouiller les pistes, à balader le lecteur. On a l’impression d’être pris par la main par un guide espiègle qui nous promène dans le temps et l’espace de son histoire. Mais Envoyée spéciale est aussi, mine de rien, un festival d’érudition, mais une érudition joyeuse, qui ne s’impose jamais et sert en permanence l’histoire. On se demande d’ailleurs si tout le livre n’est pas destiné à conduire le lecteur par le biais des pérégrinations de ses personnages dans cette très mystérieuse DMZ coréenne.

Alors évidemment, Envoyée spéciale ne révolutionnera pas votre vision de la littérature, mais tout de même, entre nous, qu’est-ce que c’est bon.

Ed. Editions de Minuit