Chronique livre : Envoyée spéciale

de Jean Echenoz.

envoyeespecialeNon mais que ça fait du bien parfois qu’on vous raconte une histoire et comme il le fait bien Jean Echenoz. Parce qu’avouons, Envoyée spéciale n’a probablement guère d’autre ambition que de nous faire prendre du plaisir, et ça fonctionne remarquablement bien.

D’abord grâce à cette histoire, rocambolesque, aux multiples pistes que l’auteur se plaît à brouiller, puis dévoiler avec un savoir-faire d’horloger suisse. Ensuite grâce à son style inimitable, mélange de virtuosité indéniable et de légèreté taquine. Chez Echenoz, quelque part, on se sent à la maison ou avec des amis de longue date : tout est balisé, connu, facile, simple mais jamais simpliste.

Parce que c’est tout de même un festival. Festival d’inventivité romanesque d’abord, les histoires se croisent, s’entremêlent, dans une tapisserie complexe et farfelue. Festival d’humour, l’auteur y est omniprésent et s’amuse comme un fou à brouiller les pistes, à balader le lecteur. On a l’impression d’être pris par la main par un guide espiègle qui nous promène dans le temps et l’espace de son histoire. Mais Envoyée spéciale est aussi, mine de rien, un festival d’érudition, mais une érudition joyeuse, qui ne s’impose jamais et sert en permanence l’histoire. On se demande d’ailleurs si tout le livre n’est pas destiné à conduire le lecteur par le biais des pérégrinations de ses personnages dans cette très mystérieuse DMZ coréenne.

Alors évidemment, Envoyée spéciale ne révolutionnera pas votre vision de la littérature, mais tout de même, entre nous, qu’est-ce que c’est bon.

Ed. Editions de Minuit

Chronique livre : Caprice de la reine

de Jean Echenoz.

capricedelareineQuoi de neuf chez le roi Echenoz ? Et bien pas grand chose si l’on en croit ce sympathique mais tout à fait anecdotique recueil de nouvelles. Juxtaposition de textes publiés ici ou là, sans véritable cohérence que l’écriture du maître, Caprice de la Reine constitue une petite récréation après le sublime 14, encore profondément gravé dans mon cerveau. Continuer la lecture de Chronique livre : Caprice de la reine

Chronique livre : 14

de Jean Echenoz.

14Ce 14, c’est quand même un drôle de truc. On passe son temps à se demander où il veut en venir, Jean Echenoz, et puis le livre se termine par une espèce d’élan vital assez miraculeux. Alors tout se met en place, et on ferme le livre en se disant qu’il y a tout de même un sacré écrivain, là, derrière, pour pondre ce petit bidule qui n’a l’air de rien, et qu’on referme pourtant l’oeil humide, le poil dressé, et le sourire aux lèvres. Continuer la lecture de Chronique livre : 14

Chronique livre : Des éclairs

de Jean Echenoz.

Voilà un drôle de petit bouquin que celui-ci. Récemment un peu désappointée par Les Grandes Blondes, que j’avais trouvé déjà daté, c’est avec méfiance que je me suis lancée dans ce livre, hautement vanté par la critique en cette rentrée littéraire. Bien m’en a pris, tant l’écriture d’Echenoz, en racontant une histoire du passé, semble avoir pris un sacré coup de jeune.

Se plaçant dans la position du narrateur omniscient, mais également férocement critique envers son héros, Echenoz nous raconte l’histoire romancée du grand inventeur Nikola Tesla, scientifique encore aujourd’hui méconnu, et qui a pourtant inventé une quantité incroyable de choses, dont par exemple, le courant alternatif, la radio, le radar ou la télécommande (je vous conseille d’aller lire la biographie du sieur, assez impressionnante). Echenoz pour se permettre une grande liberté avec son sujet renomme Tesla en Gregor, et déroule son histoire de manière taquine et délicieusement irrespectueuse.

Sans aucun angélisme, l’écrivain dresse le portrait d’un homme brillant, beau, bref aux nombreux atouts, qui ne cesse de passer à côté de sa vie. Trop intelligent, trop intransigeant, trop m’as-tu-vu, trop asocial, trop spécial, trop en dehors, Gregor est incapable de gérer sa vie, et après quelques années fastes, finit seul, dans la misère au milieu de ses pigeons. Héros trop évident, le personnage composé par Echenoz devient progressivement le anti-héros total, gâchant chance sur chance, sa brillante intelligence, faute de ne pas savoir écouter les gens qui l’entourent, d’être trop enfermé dans son monde, dans ses principes, dans son incapacité à garder pied dans la vie quotidienne. Le narrateur nous le fait bien sentir, après tout il n’a eu que ce qu’il méritait, mais en même temps, comment ne pas être ému, ne pas ressentir de l’empathie pour ce raté magnifique auquel la société moderne doit tant de choses ? Comment peut-on raté sa vie privée avec autant de méthode, alors que son cerveau contient tous les germes de la science, toutes les idées les plus brillantes et innovantes du siècle ?

Le parallèle avec le film de David Fincher, The Social network, bien que surprenant est pourtant évident : deux hommes à la cervelle sur-développée, mais voués à la solitude éternelle par leur incapacité à s’intégrer au monde. Et c’est assez bouleversant. Des éclairs n’est pourtant pas un livre triste (contrairement au film de Fincher d’une grande mélancolie), tant l’écriture légère, les phrases courtes, le regard distancié et moralisateur du narrateur sont irrésistiblement drôles. On rit souvent sur le moment, et puis on réfléchit, et c’est très beau. Finalement, Des éclairs me donne envie de découvrir un peu plus Echenoz, de regarder mes prises électriques, ma radio et mes télécommandes avec plus d’émotion, et de me méfier un peu plus des pigeons. Un bon bilan.

Chronique livre : Les grandes blondes

de Jean Echenoz.

La crinière qui fait fantasmer tous les hommes ? Clique.

Pas désagréable ce roman dont la découverte m’a été conseillée de longue date par des lecteurs de la première heure. Pas non plus bouleversant, mais un divertissement taquin.

On comprend aisément ce qui a plu et a fait recette en 1995 : ton enlevé, comparaisons biscornues et rigolotes, digressions farfelues, tout ça au service d’une enquête non policière matinée de fuite aux quatre coins du monde. Confrontation de l’exotisme et du tout petit quotidien, du grand mystère (la fascination pour les grandes blondes, pour les femmes en générale) et du matériel morose (l’ingestion d’un café soluble au petit déjeuner), on trouve de tout dans ce roman qui sautille de l’un à l’autre avec délectation. On sent Jean Echenoz également fasciné par le sujet de son livre et par Hitchcock, dont le roman constitue sans aucun doute un hommage en filigrane (le sujet est tout de même très proche de celui de Vertigo : entre le blonde qui change de couleur, la propension à jeter les gens dans le vide et le vertige paralysant). Mais Echenoz n’a pas la rigueur de son modèle. Pour enlevée qu’elle soit, l’écriture d’Echenoz n’est pourtant pas très consistante, et s’évapore aussi vite qu’elle est lue. Quinze ans après sa publication, Les grandes blondes a clairement pris la poussière et semble gentiment suranné. Ses interpellations répétées du lecteur ne fonctionne plus vraiment, ses métaphores portent mal leur âge.

On passe un gentil moment, en se disant qu’il aurait sans doute fallu boire la bouteille quelques années avant la madérisation.