Chronique livre : L’ampleur du saccage

de Kaoutar Harchi.

Pas spécialement convaincue par ce très court roman dont l’intention première m’avait pourtant séduite. Kaoutar Harchi, au travers du destin de quatre hommes vivant en France mais ayant tous des origines algériennes, tente de raconter à quel point la répression sexuelle (d’origine sociale, économique, religieuse) exercée sur les hommes en Algérie provoque frustration, désirs exacerbés jusqu’à l’inceste, et en conséquence des déferlements de violence, comme une malédiction ancestrale se transmettant de génération en génération. L’idée est belle et courageuse. L’auteur a également un certain sens de la plume, malheureusement inégal, la faisant parfois plonger dans le cliché.

Après un début plutôt intéressant, complexe et mystérieux, l’intérêt retombe cependant assez vite. La construction, alternant les récits des quatre personnages et d’un narrateur omniscient, ne m’a pas convaincu. Mais surtout, le livre est bourré d’incohérences, de raccourcis abusifs et d’ellipses mal maîtrisées. Probablement la faute à cette forme très courte qu’habituellement j’adore, mais qui là, pour le coup, est vraiment trop ramassée. On a souvent l’impression d’assister à un film durant le tournage duquel la scripte se serait absentée et dont le monteur aurait perdu tous les raccords et plans de coupe.

Le résultat c’est un roman assez décousu, dont les fondations ne semblent pas suffisamment stables pour pouvoir supporter le poids de ce récit chargé de sens. Dommage, le sujet reste intéressant, et l’écriture probablement en devenir.

Chronique livre : Plonger les mains dans l’acide

de Claro.

Plonger les mains dans l’acide est un titre bizarre pour un livre bizarre, collage bout à bout de textes de fictions et d’essais, inégaux en longueur et en intérêt. Composé de trois blocs, Plonger les mains dans l’acide a au moins le mérite de dérouter le lecteur, et de ne jamais l’amener là où il s’attend à aller.

La première partie, nommée Découvertes & Inventions se compose vingt et un textes très courts, dont les titres à eux seuls sont délectables et probablement issus d’un esprit un peu perturbé. Pour vous donner quelques exemples, citons La Vérité sur Homère et les crapauds accoucheurs, Jumbo en cage et entre parenthèses, De la soûlographie en milieu animal, ou encore Le Manège désenchanté : Ce qui ne tourne pas rond. Claro a clairement le génie du titre. Cependant certains textes semblent plutôt être des prétextes pour décliner ces fabuleux titres et tournent un peu en rond. Heureusement d’autres sont beaucoup plus réussis, et restent, grâce à une écriture musicale assez rock&roll, longtemps imprimés dans le cerveau. Par exemple Ecrire la musique, ou surtout le très beau La peau n’en parlons pas, assez sidérant de poésie, de rythme. Ce texte s’est insinué dans mes neurones, et ne veut plus les lâcher. Et puis quelques textes ou réflexions sont vraiment très drôles, absurdes, déconnants.

Avec un singe sur chaque épaule, on voit le monde différemment : un zèbre aux rayures horizontales court forcément plus vite, non

peut-on lire dans De la soûlographie en milieu animal par exemple. Enfin l’étude sociologique/philosophique/psychanalytique du Manège Enchanté dans Le Manège désenchanté : Ce qui ne tourne pas rond est vraiment tordante.

La deuxième partie de l’ouvrage se nomme Trois récits retors (à répéter 20 fois de suite très vite). Ce sont trois nouvelles, un peu plus longues que les textes de la première partie, et globalement beaucoup plus consistantes. Elles sont toutes trois très différentes, mais bien construites et vraiment intéressantes. Entre le glaçant Le coeur d’amour épris, et sa construction temporelle éclatée, ou l’étonnant La souffrance des choses et le trop fun American cream, on prend le temps d’apprécier l’écriture de Claro, tranchante, ironique, et quelque peu désespérée.

Enfin la dernière partie se compose de trois portraits d’auteurs, Flaubert, Beckett et Artaud, portraits complètement décalés. Celui du grand Samuel, Beckett en corps m’a paru le plus intéressant d’un point de vue littéraire, essayant de retraduire “l’effet Beckett” sur votre organisme et votre psyché. Loin d’une classique biographie, le texte s’enroule comme une spirale, essaie d’embrouiller le lecteur en même temps que de lui faire ressentir plutôt que comprendre ce qui est fascinant et puissant dans le génie Beckettien. Comme Claro le dit lui-même à propos de toutes les oeuvres de l’écrivain

J’adore Murphy/Malone/Molloy, c’est vraiment un bouquin très drôle même si on ne comprend pas tout.

Et bien Plonger les mains dans l’acide aussi c’est parfois très drôle, parfois émouvant, toujours intrigant, même si clairement, on ne comprend pas tout.

Chronique livre : Visage d’un dieu inca

de Gérard Manset.

Manset a signé trois des plus beaux titres du dernier album d’Alain Bashung, Bleu Pétrole. Quatre en fait si on compte la reprise de Il voyage en solitaire. Ces deux hommes quasiment du même âge, aux parcours différents, mais ayant fréquenté les mêmes sphères auraient eu mille occasions de se rencontrer. Et pourtant, le rapprochement s’est fait tardivement. Il a abouti à cette collaboration magique, et à la transfiguration des textes de Manset par Bashung.

Manset, tout en pudeur évoque ou invoque plus qu’il ne raconte dans Visage d’un dieu inca, la figure Bashunguienne au travers de quelques-unes de leurs rencontres. Même si l’ensemble des anecdotes et personnages croisés dans le livre ne font pas forcément écho à des choses connues de moi, cette balade au travers de l’univers de Manset, hanté par les apparitions furtives d’un Bashung marmoréen et impénétrable est très belle.

Grâce à une écriture parfois volontairement obscure, oscillant entre classicisme et poésie, Manset réussit à capter une vibration particulière de vie, et de création. Son monde est peuplé de personnages connus, tournant dans cet univers, l’enrichissant de moments de vie, de rencontres, et d’histoires. Certes, c’est un peu décousu, et on a parfois du mal à suivre le fil. Mais qu’importe, le moment est beau, émouvant, respectueux, et pour reprendre la citation de Maupassant qui introduit l’ouvrage On dirait qu’on subit une possession étrange, intime, confuse, troublante et exquise parce qu’elle est mystérieuse.

Un hommage d’autant plus beau qu’il n’a rien d’académique, mais qu’il vient du coeur. Un moment de grâce.

Chronique livre : Le coprophile

de Thomas Hairmont.

Mais qu’allais-je faire dans cette galère merdeuse nom de Zeus ! Une semaine après avoir fini ce roman ma perplexité demeure. Plutôt séduite par la critique des Inrocks (décidement, lecteur, il ne faut jamais lire de critiques… enfin euh presque), et voulant sans doute me confronter à une de mes aversions assez profondes, je me suis lancée dans la lecture de ce Coprophile.

Notre héros est un doctorant en mathématiques. Lassé de sa vie New Yorkaise et aspirant à un univers plus propice aux grandes découvertes, il change d’université. Le voilà dans une fac ultra-top moderne et aseptisée Californienne, dans une ville où entreprises, centres de recherche et d’enseignements se côtoient. D’abord séduit par les lieux, il déchante ensuite très vite, et comme tout bon thésard qui se respecte fait une bonne grosse dépression. Au lieu de la noyer dans les petites pilules du bonheur, il se découvre une fascination pour la merde. Après l’étape de stockage dans son réfrigérateur, puis de tartinage du corps et enfin de l’ingestion, il rencontre une autre étudiante qui le convertit définitivement à la coprophilie, et l’introduit dans le milieu coprophile, aux rituels pour le moins salissants. Bon voilà.

Et à part cette thématique racoleuse qui y’a t’il derrière ce livre ? Je serais tentée de dire pas grand chose. Le livre tourne trop au grand guignol pour vraiment choquer le bourgeois, et finalement, la critique de notre société coincée et proprette fait long feu. Certes Thomas Hairmont écrit plutôt bien, même si étrangement ampoulé de la part d’un auteur aussi jeune. La construction du roman m’a également paru assez maladroite, et ce grand crescendo vers la débauche totale dans le caca plutôt mou du genou. Je suis complètement passée à côté donc, encore plus plombée par l’ennui que mon dégoût des matières fécales.

Pas une grand découverte au final, même si l’intention était courageuse. Et vous savez quoi ? Visiblement l’auteur a lui-même étudié les mathématiques aux Etats-Unis…gloups.

Chronique livre : La vie sexuelle des super-héros

de Marco Mancassola.

Sous ce titre en forme de gag, se cache un excellent livre de Marco Mancassola. Imaginez que les super-héros existent vraiment, et ont vraiment, pendant des décennies, sauvé le monde. Aujourd’hui, ils sont vieillissants, dignes ou ridicules, reconvertis ou à la retraite. Mais une menace pèse sur eux, et un à un, ils se font tuer par un mystérieux groupuscule terroriste.

Découpé en plusieurs chapitres, chacun racontant un passage de la vie de quelques super-héros, La vie sexuelle des super-héros est un roman aussi curieux que son titre. A la fois léger (très facile à lire, on nous raconte vraiment une histoire avec des personnages “fantastiques”, des super-héros aux pouvoirs divers et variés, qui font des trucs pas possibles), mais également très mélancolique et profond, le roman ne se laisse pas aisément cerner. Les super-héros servent clairement de métaphores à une civilisation en train de mourir, de disparaître corps et âme. Dans cette Amérique post 11 septembre, les héros sont fatigués, et finalement banalement humains. On n’est plus en sécurité aux Etats-Unis, et les disparitions progressives de ces symboles d’une civilisation conquérante, sûre d’elle, marquent la fin d’un cycle, la fin d’une suprématie.

La société dans laquelle se meuvent nos héros fatigués n’est plus une société du faire, mais du paraître. Pour exister, il ne faut plus agir, mais vivre sous l’oeil inquisiteur des caméras et dévoiler son intimité. Et ça les super-héros ne le veulent pas, ne le peuvent pas. Ils ont été habitués à utiliser leurs super-pouvoirs, mais pas à mettre au devant de la scène leur vie personnelle, et notamment sexuelle. Et si les gens se moquent aujourd’hui des exploits qu’ils ont pu accomplir, ils sont par contre fascinés par ce qui se passent dans leurs lits. Fin d’un monde, fin d’un mythe. Le livre est dans l’ensemble d’une grande mélancolie, et certains passages sont tout bonnement très émouvants. Une multitude de détails, de personnages sont incroyablement bien dessinés, et rendent vivant et “crédible” ce portrait de l’Amérique qui n’en a plus rien à faire de rêver avec les super-héros mais préfère fouiller leurs poubelles.

Très beau roman, et sacrée bonne surprise.