de Roland Barthes.
Comment chroniquer un essai ? Voilà la question que je me pose tout de suite maintenant. Pour un roman, je commence à avoir quelques réflexes quand je sèche vraiment. “Interroge-toi sur le style, les personnages, l’ambition, la finalité” me dis-je quand rien ne vient. Mais pour un essai comment faire ? quelle accroche ? quelle réflexion supplémentaire puis-je moi apporter par rapport à la réflexion que constitue l’essai ? Pas grand chose sinon rien. Alors comment ?
Tomber nez à nez sur un livre de Roland Barthes traitant de la photographie constitue ce qu’on pourrait dire un méga coup de bol, et c’est sans trop de questions que je me suis lancée dans La chambre claire, m’attendant à moitié à ne rien comprendre, mais bien décidée à m’accrocher tout de même. Le plus curieux dans cet essai, c’est la grande modestie de l’entreprise, qui relève plus de l’auto-analyse, que d’une volonté d’imposer ses vues à qui que ce soit. Barthes aime la photographie, ou plutôt certaines photographies qui le bouleversent, et cherche à comprendre pourquoi. Pourquoi ce sont ces images qui le travaillent précisément, pourquoi ces images qui le bouleversent sont-elles des photographies et non un autre type d’image ?
Comme il le dit lui-même Barthes n’est en aucun cas photographe. Il lui reste deux rôles potentiels à jouer vis-à-vis de la photographie, celui de sujet, qu’il évacue assez rapidement, et celui de spectateur, qu’il développe longuement. Pourquoi en tant que spectateur certaines images le hantent ? Afin d’éclaircir ce mystère, Barthes se lance dans une quête introspective. Il rassemble les images de sa vie (grands classiques autant que photos de famille), et au fur et à mesure de leur examen, essaie d’en extirper les raisons pour lesquelles elles signifient quelque chose pour lui. Le livre est ainsi parsemé de photos (en noir et blanc, mode qu’il considère comme le seul moyen de faire de la photo), et que voulez-vous, réminiscence d’enfance, j’ai toujours adoré les illustrations dans les livres. Je ne vous déroulerai pas l’ensemble des réflexions que Barthes mène dans La chambre claire, mais seulement quelques points qui m’ont touchée.
Il différencie tout d’abord les images qui plaisent de celles qui bouleversent (je vous le fais avec mes mots, les siens étant pour moi un peu obscurs). Certaines images évoquent ainsi un contexte, par exemple social, dans lequel on se projette, ou dans lequel on reconnaît quelque chose. Ces images plaisent parce qu’elles convoquent un vécu, une sensibilité, ramènent vers elles des connaissances qui permettent de l’analyser. D’autres images, plus rares, en plus des qualités précédemment citées, plus que de rameuter vers elles la réflexion du spectateur, projette vers lui une flèche qui lui perfore le coeur. Cette flèche, ça peut être un détail de l’image, ou une attitude, enfin un quelque chose présent ou non sur la photo, qui va venir hanter le spectateur. J’aime cet idée de la petite chose, complètement intime et non transposable à un autre individu, qui transforme une photographie en un objet unique pour celui qui la regarde. Barthes appelle ça le champ aveugle, ce qui n’est pas directement sur la photo, ou qui n’en est pas le sujet, mais qui existe tout de même pour celui qui la regarde.
Un autre point intéressant de la réflexion de Barthes, c’est que la photographie est la seule technique qui fige un instant du temps passé qui a été, qui a existé. Le cinéma ou enregistrer des sons est différent puisque ces techniques emmagasinent des plages de temps, dans un processus dynamique (qui induit un avant, un après et un hors-champ), alors que la photographie fige dans le temps ce qui a existé, et qui n’est de toutes façons déjà plus. La photographie est en cela très perturbante qu’elle représente quelque chose de déjà mort, quelque chose qui a été, et qui n’est plus, mais qu’on peut continuer à voir (“...cette image qui produit la Mort en voulant conserver la vie”). Barthes évoque également la très belle image de la lumière qui transite via la photo, lumière émanent du sujet photographié, qui défie le temps pour venir toucher, via la photographie le regard du spectateur. J’aime cette idée de transmission d’une lumière, de lien invisible qui se crée entre le sujet et le spectateur, au delà du temps, et d’autant plus fort que le sujet est connu ou reconnu ou que le “champ aveugle” est présent.
La chambre claire n’est pas un ouvrage d’analyse photographique, de dissection de ce qui fait une bonne photo ou une mauvaise, c’est plutôt une interrogation personnelle, intime, subjective du regard de Barthes sur la photographie. Et c’est par ce côté personnel, justement, que La chambre claire touche et passionne, par cette volonté de ne pas en imposer, mais d’être sincère, que le livre nous amène à nous interroger sur notre propre regard de spectateur. Passionnant.
Intéressante chronique. Merci. (Up)
Note perso :
— Telle image ne me plaît pas.
Pourtant elle me fait un effet (« bouleverse » un chouïa, disons).
Qu’elle me fasse ça (comment est-ce don’ possible?), ça m’intéresse.
Ce qui m’intéresse me plaît.
Cette image me plaît. (Up)
J’ai ce livre depuis des lunes sans jamais l’avoir ouvert,peut être que je vais ouvrir prochainement la première page.
A sa vue j’ai eu peur ! Je ne l’ai pas acheté , je l’ai photocopié !
Merci.
Intéressant Dr Watson.
Up : oui, et bien merci, je ne savais pas trop par quel bout le prendre. Comme ça parfois, j’ai des envies de m’ouvrir un peu la tête, c’est passager, alors j’en profite. Et oui oui l’analyse de Barthes est très intéressante. J’aime surtout l’idée de transmission d’une lumière, et de « champ aveugle », ce qu’on ne voit pas, mais ce qu’on ressent.
Contini1 : il a été réédité en Août dernier, c’est comme ça que je suis tombée dessus, comme nouveauté dans un rayon photographie. Et oui oui, lis le, ça le vaut bien, c’est finalement très court. Bon plein de mots que je ne comprends pas, mais au final, on saisit tout de même où il veut en venir. Tu me diras ce que tu en as pensé.
PS : Deux réactions pour un essai de Roland Barthes sur la photographie. Mes lecteurs, je vous aime.
Pareil que contini 1, je l’ai eu plusieurs fois entre les mains, en restant à la seule première page. C’est le classique de photographie en matière aux beaux-arts, et je comprends pourquoi en lisant ta chronique (chouette, j’aurai pas à le lire !).
Tu voudrais pas lire pour nous Traité de l’amendement de l’intellect de Spinoza, j’ai la flemme…
One more time.
Djiwom : visiblement, il n’y a que moi qui ne connaissais pas ce bouquin, et que moi qui l’ai lu, c’est bien ça (à part Up peut-être, mais avec Up, on ne sait jamais)? Donc c’est un classique des Beaux-Arts. Mmmm c’est là que mes études scientifiques me pénalisent à fond. Bon du coup, je ne l’ai pas abordé comme un classique, ce qui est sans doute mieux. Allez, Djiwom, un petit effort, il est très court, et pas tellement compliqué à lire. Non mais franchement, ça m’intéresserait d’avoir vos points de vue.
Oui
Exact.
Etape suivante…Bernard Plossu !
Exact-oui ?
M. : exact-oui quoi ?
OliCo : Bernard Plossu… mais qui est-ce ? (tu remarqueras que je suis honnête, je pourrais rapidement chercher sur le net, et te dire : Bernard Plossu, évidemmentbiensûr )
C’est lui : http://vids.myspace.com/index.cfm?fuseaction=vids.individual&videoid=21926013
P.-S./ tu es une honnête femme
Honnête
OliCo : merci Oli, je vais regarder ça.
je possède ce livre
Possession.
Gérard : et ? Tu en penses quoi ?
Comme Contini 1, j’ai commencé « La chambre claire »… et le bouquin m’est tombé des mains. C’était il y a longtemps, et il faudrait sans doute que je le reprenne.
Par ailleurs, connais tu « Sur la photographie », de Susan Sontag ? J’ai lu ça il y a très longtemps, ça m’avait aidé à réfléchir sur la photo, et ça m’avait passionné. En plus, c’est très facile à lire, pas jargonneux comme le Barthes, quoi.
Et ça a été récemment réédité en
poche, donc accessible à un prix modique. Et en prime tu as tout un tas de citations intéressantes de photographes à la fin.
Je ne peux donc que te le recommander.
Jagon-blabla.
François : bonsoir ! Vraiment un plaisir d’avoir autant de réactions sur cet article. Le Sontag est sur ma pile à lire, je l’ai acheté en même temps que le Barthes. J’ai donc fait un bon choix, j’en salive d’avance. Je n’ai pas trouvé le Barthes trop jargonneux, un peu sans doute, mais pas trop. Et puis le livre est très court donc ça passe bien. Si tu as d’autres conseils de ce genre, je prendrai avec plaisir
Bonsoir Anne ! Ben dans la série, j’ai aussi commencé « Le mystère de la chambre claire » de Serge Tisseron, qui tourne autour du thème « photo et inconscient ».
J’ai eu du mal à accrocher au début, mais ça m’avait vraiment plu. Je ne l’ai malheureusement pas fini, il faut que je le reprenne quand je retournerai à la campagne, où je l’ai laissé.
Conseil.
François : je note je note, merci !