Chronique livre : L’homme chauve-souris

de Jo Nesbø.

C’est l’absence de pathologie qui est dangereuse, parce qu’à ce moment-là, l’organisme arrête de se battre, et il tombe rapidement en morceaux.

lhommechauvesourisRedoutable auteur de polar décidément ce Jo Nesbø. Difficile de lâcher l’affaire avant la fin, et ce malgré une traduction parfois bien bancale qui rend certaines scènes d’actions particulièrement cafouilleuses et qui comprend des coquilles orthographiques grosses comme le bras (oui, la différence entre le “a” et le “à” est parfois délicate, mais tout de même…). Continuer la lecture de Chronique livre : L’homme chauve-souris

Chronique livre : Un des malheurs

d’Emmanuel Darley.

Restonica, une ville paisible, prospère au fond de son vallon, sur les rives de son fleuve. Dans cette ville, finalement tellement semblable à beaucoup d’autres, il y a une mairie, une brasserie, un musée, et un football-club dirigé par l’ambitieux Salive. Restonica est fière de son glorieux passé, et de son héros local, Louis Dommage. Et c’est à cause de ce passé, que la ville est attaquée par les troupes du général Brûlé. Brûlé ne se remet pas de la victoire de Louis Dommage, en des temps immémoriaux. Il veut venger la mémoire de son héros Paul Coquille et reconquérir « sa » ville. C’est donc un déluge de feu et de mitraille qui se déverse sur la tranquille Restonica et ses habitants, absolument pas préparés à ça. Pendant plusieurs mois, les troupes de Brûlé dévastent tout à Restonica, laissant peu de survivants, dans l’indifférence générale des villes voisines, qui se gardent bien de prendre parti. Tout est permis : affamer, blesser, tuer, violer, torturer. Brûlé ne se prive de rien, ses hommes le suivent aveuglément, mais les habitants de Restonica dans leurs faibles tentatives de résistance ne font pas non plus preuve de modération.

Le point de départ d’Emmanuel Darley est simple : parler des horreurs et de l’imbécilité de la guerre, sans parler d’aucune en particulier, mais de toutes en général. Restonica est une ville lambda (même si on pense évidemment à Sarajevo), dans laquelle des gens vivent, inconscients de la menace qui pèse sur eux, héritiers bien malgré eux d’un passé dont ils font finalement bien peu de cas. Et c’est ce passé qui les rattrape, cette “anecdote historique” qui n’était pour eux, au mieux, qu’une ligne dans les livres d’histoire. La métaphore se poursuit jusque dans le choix des noms et des comportements de ses protagonistes, des noms (Salive, Jument, Cheval, Brûlé…) et des comportements très emblématiques, sans subtilité inutile, proches de la caricature. Ce choix est d’une grande intelligence. Pas besoin effectivement d’avancer sur la pointe des pieds, Un des malheurs n’est pas un portrait psychologique, ou une analyse approfondie des horreurs de la guerre. Mais le roman, en faisant entendre les voix “à chaud” de ceux qui subissent et ceux qui attaquent, dénonce la grossièreté, l’agressivité et l’imbécilité crasse de l’humain, sa soif de territoire, de pouvoir, de vengeance, en faisant fi de toute sorte de réflexion, de compassion, et d’intelligence. C’est cru, frontal, pas toujours confortable.

La progression dramatique est implacable, grâce à un procédé relevant plus du théâtre que du roman. Un des malheurs est essentiellement constitué d’une succession de monologues, la plupart intérieurs. Toutes ces voix qui s’élèvent appartiennent soit au Dedans ( à l’intérieur de Restonica, du côté de ses habitants) soit au Dehors (du côté des assaillants, du Général Brûlé). Cette forme donne beaucoup d’ampleur à ce récit pourtant assez court. On pense assez à La Mastication des morts de Patrick Kerman, pour cette façon de faire surgir les voix d’un lieu unique (un cimetière chez Kerman, une ville chez Darley). Mais dans Un des malheurs, les voix sont d’abord celles de vivants, qui s’éteindront progressivement presque toutes pour rejoindre le choeurs des morts. L’écriture est belle, très “darleysienne” : phrases rythmées, bousculées, coupées, mélange de langue parlée et pourtant ultra-composée, pleine de poésie et d’humour (malgré tout).

Un des malheurs est un beau livre, qui de part son sujet, nécessite cependant d’être un peu en forme, et d’avoir le coeur bien accroché.

Chronique livre : Une adoration

de Nancy Huston

Mais comment fait cette femme pour m’émouvoir à ce point là, par la seule force de sa plume, de son imagination débordante, et de son immense cohérence ? Comment réussit-elle à faire vibrer toutes mes cordes sensibles d’un seul coup, d’un petit bout de phrase, d’une lumineuse idée ? Cette femme porte tout un univers ou même plusieurs en elle, des centaines de vies et des milliers d’âmes.

Comme le dit l’intro du bouquin (je vous le fait de tête, j’ai déjà prêté le volume), L’adoration est une histoire vraie, à part qu’elle a changé les noms, les professions, l’histoire, les lieux, les actes… bref tout est faux, et tout est pourtant réel, parce qu’on est au cœur de ce qui est le plus universellement partagé, l’émotion, les sentiments, la médiocrité… toutes les composantes de l’humanité, dans toutes ses failles et ses splendeurs. Comme les deux autres merveilles que sont Dolce Agonia et Lignes de faille, L’adoration est basé sur une forme littéraire spécifique. Ici, un faux procés pour découvrir à titre posthume le meurtrier d’un acteur génial et délirant, n’est que le prétexte pour dessiner le portrait en creux de cet homme, et de ses origines, petit village du Berry, avec son lot de petites vies, de franches mesquineries, et de belles histoires.

On est ici dans un processus beaucoup plus simple que Dolce Agonia ou Lignes de faille. Et pourtant, chaque page est matière à surprises, découvertes et émotions. Ici, ce ne sont pas que les hommes et les femmes qui ont la parole, mais également les objets, les végétaux… toutes ces choses qui font partie d’une vie. On écoute alors attentivement les voix de ces inanimés, qui ont été les témoins de tant de joies et de peines. La glycine qui raconte une première nuit d’amour entraperçue entre des volets mi-clos, le couteau, et son plaisir à s’enfoncer dans la chair de l’acteur, qui semblait appeler de ses vœux cette mort brutale (on comprendra plus tard pourquoi).

Magnifique également tous ces infimes détails, qui ne semblent être rien, et qui pourtant se révèlent cruciaux quelques dizaines de pages plus loin. Quelle intelligence dans la construction, dans cet assemblage de détails, si finement huilés, et d’une totale cohérence. Ce livre à plusieurs voix, livre choral, fait penser au magnifique Cris de Laurent Gaudé, ou au très beau Danseur de Colum McCann (portrait réel et fictif par les voix de ses proches de Noureev, que je vous recommande avec chaleur même si je n’en ai pas fait la critique ici). Il faut croire que cette forme réussit à ces auteurs, leur permettant une meilleure appréhension des événements, une vision de toutes les facettes d’une personnalité. Lue pour la première fois il y a à peine 5 mois, me voila sur la route d’être une inconditionnelle de Nancy Huston, quel sera le prochain ?