Chronique film : Impardonnables

d’André Téchiné.

Je ne peux que hurler de désespoir au sortir de la salle. Mais qu’a-t’il bien pu se passer ? Pourquoi André Téchiné a-t’il voulu porter à l’écran le pourtant très peu enthousiasmant et très oubliable Impardonnables de Philippe Djian ? On se le demande quasiment dès le début du film, qui, pour le coup, paraît très très très long. J’avoue n’avoir absolument rien retrouver du roman dans le film, ce qui, en soit ne me dérange pas outre mesure, mais j’avoue également n’y avoir rien trouvé du tout, ce qui me dérange beaucoup plus.

Un écrivain vieillissant part s’installer à Venise pour écrire son nouveau roman. Manque de bol, il tombe amoureux de son agent immobilier, la toujours très belle Carole Bouquet, et s’installe avec elle. Malheureusement, le bonheur ne lui réussit pas : il est heureux, mais n’arrive pas à produire une ligne. Heureusement que sa famille vient lui pourrir la vie, et l’éloigner un peu de sa compagne. Il peut enfin retrouver l’inspiration, écrire, et finalement, retomber amoureux de sa femme. Viennent se greffer là-dessus une multitude d’histoires secondaires, qui ont pour seul point commun la fragilité (fragiles mais oh combien attachants bien sûr) de leurs protagonistes.

Bon. Voilà voilà. Là où Djian réussissait tant bien que mal la peinture de ses personnages, tous cassés, foutraques, ayant presque déjà abandonné la partie, Téchiné y échoue complètement. Une noirceur édulcorée, des interprétations bizarrement très peu convaincantes, un final d’une niaiserie absolue, on a vraiment du mal à s’attacher à ces personnages, pourtant intéressants sur le papier. Par ailleurs, le film souffre de graves problèmes de construction. Aucune architecture n’est visible, la multiplicité des histoires secondaires brouille l’histoire principale sans l’enrichir. Mais la plus grosse déception vient de cette caméra flottante, imprécise, oscillant entre microscopiques moments de légèreté, et flou total. Bref, Impardonnables, c’est à peu près n’importe quoi.

On ne discerne pas ce que le réalisateur veut nous raconter, ni vraiment de quelle manière il le fait. Il prend parfois de la distance (jumelles, écrans de contrôle dans la prison de Venise, moustiquaires) puis parfois filme au plus près ses acteurs, use du travelling… Le spectateur se perd dans tout ça, sans réussir à comprendre où souhaite nous amener André Téchiné. Il manque dans Impardonnables clairement ce souffle, ce mouvement, cette modernité, cette énergie incroyable qu’on trouve dans Les témoins ou La fille du RER. C’est décevant de la part du maître, mais je ne peux pas le laisser très longtemps impardonné. Il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps cependant.

Chronique film : La fille du RER

d’André Téchiné.

Toi aussi, joue : clique sur le morveux pour le faire tomber.

Voilà, c’est re-re-reconfirmé, Téchiné est bien le plus moderne des cinéastes français. Après les magnifiques Témoins, il filme un autre film complètement générationnel avec la Fille du RER. Prenant pour point de départ un fait divers (une jeune femme avait menti en affirmant avoir été victime d’une agression anti-sémite dans un RER), Téchiné s’intéresse en fait beaucoup plus au contexte, qu’au fait-divers. Jeanne est au chômage, elle habite en banlieue parisienne avec sa mère qui, pour arrondir ses fins de mois de veuve de militaire garde des enfants. Jeanne aime faire du roller, surtout avec la musique à fond sur les oreilles. Elle a fait des études de secrétaire, mais sa recherche de taf semble assez superficielle et les fautes d’orthographe de son CV ne plaident pas forcément en sa faveur. Jeanne est jolie, menteuse, soumise et à peu près aussi vide qu’une boîte de chocolats après Pâques. Quand elle tombe amoureuse d’un gars pas très net, elle ne se pose aucune question, acquiesce à tout avec une naïveté déconcertante.

Ce n’est clairement pas le fait-divers qui a passionné Téchiné, le déplaçant au dernier tiers du film, et en dénouant le « mystère » de manière très expéditive. C’est plutôt le portrait de Jeanne, de son comportement  comme un symbole d’une génération déconnectée du monde réel. Du passé lourd de sa famille (un père militaire, une mère trop belle) ancrée profondément dans la réalité (le père est mort, la mère doit garder des enfants dans son pavillon de banlieue pour arrondir sa retraite et entretenirJ eanne qui ne travaille pas), est née une fille qui n’appréhende un monde biaisé qu’au travers d’écrans (télé, ordi), mais préfère s’en couper quand elle y est immergé (le baladeur mp 3 vissé aux oreilles, la retraite avec son mec dans un garage vide).

Cette incapacité a être dans le monde, dans la vie, c’est aussi une incapacité à être maîtresse de sa vie. Et c’est sans doute plus pour réussir enfin à prendre le contrôle de quelque chose plutôt que pour attirer l’attention sur elle que Jeanne invente cette incongrue et vite démontée histoire d’agression. Le film n’est pourtant en aucun cas moralisateur ou passéiste, c’est un simple constat du monde dans lequel nous vivons. Jamais Téchiné ne porte un regard méprisant sur Jeanne, mais plutôt, il l’accompagne, il la rend parfaitement humaine, tourbillonne avec elle, il la comprend, il l’aime. Emilie Dequenne est absolument parfaite tour à tour rayonnante, fragile et opaque.

Sa crinière rousse au vent, volant sur ses rollers, elle restera l’image d’un film rapide, intense, passionnant. C’est beau.

Chronique film : Les Témoins

d’André Téchiné

Les Témoins est le film le plus émouvant, humain et lumineux que j’ai vu depuis longtemps. Ne vous fiez pas à cette affiche sinistre. Enfin un film français qui se regarde autre chose que le nombril, un film cruel, tendre, triste et ensoleillé, et un formidable hymne à la vie.

De l’été 1984 à l’été 1985, on suit l’itinéraire de 5 personnes : Manu, jeune ariégeois homosexuel, sa sœur Julie, chanteuse lyrique qui rame, Adrien, médecin amoureux platonique de Manu, Sarah, une amie d’Adrien et son mari Mehdi, flic. Ces personnages se rencontrent, se plaisent, s’aiment, trouvent un équilibre plus ou moins stable. Jusqu’à l’arrivée du sida dans leur vie. Manu a attrapé le virus, et fait basculer leur horizon à tous.

C’est l’extraordinaire attention que Téchiné porte à ces personnes qui est magnifique. Cadrés de près, il filme au plus près des visages et des corps, au plus près des mouvements. Le travelling sur Manu, courant avec légèreté sur la plage, et finissant sa course dans un arbre est absolument magnifique.

Les acteurs sont tous parfaits. Johan Libéreau, dans le rôle de Manu, jeune homme à peine sorti de l’adolescence, a le sourire ravageur et l’innocence des jeunes acteurs débutants chers à Téchiné (J’embrasse pas, Les Roseaux Sauvages). Michel Blanc en homosexuel quinca et vaguement réac, persuadé que les homos et les hétéros ne sont pas faits, finalement, pour être amis. Julie Depardieu, artiste en devenir, plane à 10 000 km au-dessus du monde réel. Emmanuel Béart, écrivain en manque d’inspiration, complètement dépassée par sa responsabilité de mère (voire carrément irresponsable). Et enfin Sami Bouajila, magifique, est Mehdi, son mari et le père de leur fils (auxquels ils n’arrivent pas à trouver un prénom), flic rigide, intransigeant et brutal, mais qui tombe fou amoureux de Manu. Quand Manu tombe malade, c’est tout ‘édifice qui s’effondre, les langues qui se délient, les angoisses montent.

Sans voyeurisme, sans sensiblerie mièvre, sans misérabilisme, sans démonstration aucune, en collant aux humains, Téchiné filme avec une grande pudeur un des plus grands bouleversements sociaux du 20ème siècle, l’arrivée d’un virus qui a complètement modifié les rapports entre les gens, l’insouciance sexuelle, et qui quelque part a aussi fait sortir l’homosexualité du bois. Un virus qui continue de faire des ravages et continuera probablement encore longtemps à décimer les populations les plus fragiles.

Téchiné est un réalisateur en prise avec la nature, son film se déroule sur une année, d’été à été. C’est un cycle de vie, de mort et de résurrection. Parce qu’au final, c’est sous la lumière du soleil, de la vie et du renouveau que s’achève ce beau film. On apprendra même le prénom de l’enfant de Mehdi et Sarah. Et c’est Justin (ou « juste un » ? ;-).

PS : A lire, la parfaite critique du non moins parfait Gols, là.