Chronique film : La visite de la fanfare

de Eran Kolirin.

L’orchestre de la police d’Alexandrie est invité par un centre culturel arabe en Israël. Suite à une erreur de lecture, l’orchestre se trompe d’autobus, et atterrit dans une ville affreuse, bétonnée, poussée au milieu du désert. L’apparition de ces musiciens, dans cette cité blafarde, quasi-morte, sert de catalyseur à ses habitants, de souffle de vie ou d’exutoire : un restauratrice en mal d’aventures (très belle et intrigante Ronit Elkabetz), un jeune homme qui a bien du mal avec les filles, et un père de famille écrasé de solitude.

Voilà un film qui vaut bien mieux que son titre, d’abord il ne s’agit pas d’une fanfare, mais d’un orchestre, ce qui a provoqué un soulagement majeur chez moi quand la bobine a démarré, ensuite, ce n’est pas un remake israélien des Virtuoses, ce qui est tout de même une bonne nouvelle. Non, La visite de la fanfare se situe plutôt dans une veine parfois Kaurismakienne, parfois Sundancienne, bref, un petit truc joli, poétique, simple, intelligent, et quasi-inattaquable. C’est très joliment filmé, les cadres sont léchés, avec une photographie intéressante, notamment lors des scènes de nuit. La nuit, les personnages, filmés en clairs-obscurs, révèlent leur part d’ombre, leurs fêlures, ce que la lumière aveuglante du jour ne permet pas.

L’ensemble se regarde très agréablement, et quelques scènes se détachent nettement du lot, atteignant une poésie très touchante. Ce sont essentiellement des scènes muettes, petit ballet de gestes : le violoniste apprend au gars qui a du mal à draguer, les gestes qu’il faut faire pour approcher une fille, ce qu’il met aussitôt en pratique dans une chorégraphie légèrement désynchro très mignonne, où le chef d’orchestre qui n’arrive pas à mettre des mots sur les sensations que lui procure la direction d’un orchestre et qui se contente de lever les bras et de diriger des musiciens fantômes. Film très gentil quoi, mais un peu dénué de fond, ça reste léger, léger, un peu superficiel, sans la noirceur et le désespoir kaurismakien. Dommage, il y a de vraies bonnes idées, de vrais bons acteurs, et un joli sens de la mise en scène.

Chronique film : La graine et le mulet

d’Abdellatif Kechiche

J’étais à la fois très enthousiaste et un peu réticente à l’idée d’aller voir La graine et le mulet. Peur d’être déçue en fait. J’avais grandement tort. Kechiche nous offre à nouveau un film magnifique, bouleversant, un truc unique qui noue les tripes et fait hurler de joie. Slimane bosse depuis 35 ans dans un chantier naval, et se fait licencier. Le monde bourdonne, hurle autour de lui, la famille braille, les potes l’interrogent, la maîtresse rassure, et Slimane se tait. C’est d’une violence inouïe ce mouvement perpétuel autour de cet homme brisé. On le croit perdu, et voilà qu’il renaît, grâce à un projet impossible et l’aide de sa belle-fille. C’est magnifique cette volonté de renaître alors que tout l’incite à se terrer, que ses gosses le poussent à retourner au bled. Mais malgré ses rides et son souffle court, Slimane est résolument du côté de la vie et s’acharne, pour lui, mais peut-être pour la nouvelle génération, qui est là, et qui pousse derrière.

Kechiche est décidément un grand, filmant au plus près les visages et les corps. C’est peu dire que les acteurs soient criants de vérité, chaque personnage surgit de l’écran dans toutes ses contradictions, ses forces et ses faiblesses. Ils sont insupportables, attendrissants, adorables, monstrueux, tous vivants, et tous nous renvoient plus ou moins à notre propre vécu familiale, dans ses bonheurs, ses mesquineries, son fonctionnement clanique protecteur et étouffant. C’est humainement tourneboulant. La dernière partie du film, noue les tripes dans un suspense insoutenable. Le film monte en puissance, entre Slimane courant comme au ralenti dans une cité déserte, à la lumière des lampadaires, et sa belle-fille, qui, pour sauver l’affaire de Slimane se lance dans une danse du ventre orgasmique à couper le souffle. C’est bien simple, toute la rangée de fauteuils dans le cinéma vibrait au rythme du tambourin.

La fin tinte un peu comme le passage de relais de l’ancienne génération à la nouvelle (je compte dans la nouvelle génération la compagne de Slimane, femme libérée et indépendante). L’ancienne génération est à bout de souffle et ne peut aider la jeunesse à se sortir du merdier, Slimane s’effondre, la mère est absente. C’est un peu l’avènement d’un nouveau monde, jeune, bourré de paradoxes, de chocs des cultures, d’incompréhensions, mais aussi de cafouillages, d’entraide, d’amour et de projets d’avenir, d’un devoir de lutte permanente contre une société française qui ne l’accepte que pour ses clichés. Film rugueux, porté par un immense amour de l’humanité, La graine est le mulet touche au plus haut du corps, du coeur et de la tête.

Chronique film : My Blueberry Nights

de Wong Kar-Wai

Bon bon bon, voilà un film vite vu et vite oublié, je ne sais même pas si je m’en souviendrai assez pour aller jusqu’au bout de cette critique. Ce n’est pas que ce soit catastrophique, loin de là, il y a même de très belles choses, mais la légèreté de l’interprétation de l’actrice principale frôle l’indigence totale : il faut le dire, Norah Jones est très mauvaise, malgré son joli minois. Quand elle ne parle pas ou doucement, ça passe encore, mais dès qu’elle ouvre la bouche pour sortir un peu les tripes, c’est la débâcle. Un peu comme si elle se mettait à chanter du Björk, je sais pas si vous voyez. Bref.

A New York, Elizabeth est en pleine rupture amoureuse, et soulage sa peine en se goinfrant de tarte aux myrtilles dans un bistrot, tenu par un charmant jeune homme (Jude Law, pas trop mal). Ça ne fonctionne pas vraiment, alors elle taille la route (ou plutôt la voie ferrée), devient serveuse à Memphis, puis dans un bled à côté de Vegas. Les vies qu’elle croisent, malmenées, histoires d’amours brisées (un couple, une fille et son père), la ramènent à NY, vers le charmant tenancier de bar.

Côté scénar, c’est un peu léger, mais visiblement WKW s’amuse comme un gosse à s’approprier quelques clichés américains : les bars, les grands espaces, la route, les salles de jeux. Même le jeu des acteurs est, dans son ensemble, très cliché, plein d’afféteries. Seule Chan Marshall, dans une unique et très jolie scène, montre un peu d’une retenue qui sied beaucoup mieux à l’ensemble. Un peu cliché mais agréable cependant, la bande-son, parsemée de jolies chansons douces, clin d’oeil aux deux chanteuses du film, et un clin d’oeil également à In the mood for love, avec une reprise sympatounette du thème principal. Visuellement par contre, le film est une vraie réussite. L’Amérique vue par WKW, c’est quelque chose. Sur des thèmes mille fois rebattus, on arrive à s’émerveiller de la moindre tâche de couleur, reflet d’une feu rouge, ou personnages derrière des vitrines. La photographie est de toute beauté, chaque plan pourrait être encadré et accroché au mur. Bien sûr, WKW applique ses recettes habituelles, mais dans un nouveau cadre, ce qui leur donne une dimension supplémentaire.

Un peu spectateur de son propre film, comme il doit l’être des Etats-Unis, le réalisateur porte un regard « naïf » sur des américains en roue libre, tout en les plongeant dans son univers ultra-personnel. Finaud et pas mal.

Chronique film : Il était une fois

de Kevin Lima.

Il est beau le temps des fêtes, ou main dans la main, on amène la petite cousine au ciné, une poche du JouéClub sous le bras, et une boîte de pop-corn sucré sous l’autre. On essaie de se cacher à moitié derrière le bout de chou de 5 ans, qui demande avec application à la caisse deux places pour « le film de princesse », mais ça marche pas bien, on est quand même repéré. Une fois dans la salle, les fesses bien calées sur un rehausseur en plastique bleu, granuleux et rigide, le pop-corn vole partout au moindre mouvement (que l’inventeur du gobelet à pop-corn en forme de V soit maudit), les bandes-annonces défilent, les gamins s’agitent, on respire à peine, dans l’angoisse du fatal « j’ai envie de faire pipi », et finalement le film commence.

Bon, il faut être honnête, Il était une fois, est loin d’être désagréable, et fait plutôt bonne figure au milieu de la bousaille Disneyenne de ces dernières années, pourrie par de nombreuses séquelles à pognon. La première partie du film revient aux sources de la « magie Disney », du dessin animé classique, une jeune fille qui volette, entourée des animaux de la forêt, dans une maison champignon, et chante en attendant son prince charmant. C’est du déjà-vu, mais l’animation très « retour aux sources », et la présence de mille références aux vieux Disney fait plutôt du bien aux yeux. Aussi, quand la future princesse est propulsée en plein New York bien réel, par la méchante belle-mère, qui lui refuse le mariage avec son gendre, on est presque déçu. Mais l’intrusion de cette fille de dessin animé dans la cradouille NY est assez rigolote, avec sa robe à froufrous, ses mouvements graciles, et ses yeux pervenches. Elle recherche son prince, s’exclame en voyant un nain « Grincheux, c’est toi ? », et tente de forcer la porte d’une pancarte en forme de château enchanté. La transposition d’une princesse de dessin animé dans le monde réelle donne lieu à quelques scènes assez drôles, notamment quand Giselle fait appel, comme elle avait l’habitude de le faire dans sa maison champignon, à toutes les bestioles du coin pour l’aider à faire le ménage. Mais à NY, les seules bestioles dispos sont les cancrelats, les rats et les pigeons boiteux.

La réussite repose sur les épaules de l’actrice principale, Amy Adams, vraiment très bien, rescapée de moult séries ados américaines. Elle nous ferait presque croire que la vie est un beau conte de fée, mais on est pas dupe. A part ça, le film est un peu longuet, le prince fadasse, la méchante mal exploitée (mince quand on a Susan Sarandon dans une distribution, on lui donne un vrai rôle quand même !!), il y a le passage obligée du numéro à la Broadway dans un jardin public, et la scène finale n’est pas très bonne. A noter que la princesse est une petite coquine chaudasse, puisque qu’elle préfère se barrer du monde aseptisé et asexué du dessin animé, et plaquer son prince, pour se choper un beau papa célibataire New-Yorkais, qui, soyons en sûr, ne se contentera pas du chaste baiser mythique. Vous voulez que je vous dise ? les princesses, c’est plus ce que c’était.

Chronique film : Les Promesses de l’ombre

de David Cronenberg.

Je n’ai pas grand chose à reprocher à ce film. Je l’ai trouvé pas mal, ce qui pour un Cronenberg frôle l’insulte suprême. Je vous avoue que je m’y suis même un peu ennuyée. A Londres, Anna, une sage-femme (Naomi Watts, un chouille fadounette), tente de retrouver la famille d’un bébé, dont la mère, Tatiana, une gamine russe de 14 ans, est morte en couche. Le seul indice qu’elle possède est le journal intime de Tatiana. Écrit en russe, et bien que d’origine russe elle-même, Anna est incapable de le déchiffrer et le fait traduire par le propriétaire du restaurant russe du coin, qui s’avère être un gros méchant mafieux, responsable du malheur de Tatiana.

Côté scénario, on ne compte pas les incohérences, et Cronenberg a sorti la cavalerie en ce qui concerne les grosses ficelles bien prévisibles, ça frôle limite le téléfilm. On pourrait passer par dessus si le reste était exceptionnel, et ce n’est pas tout à fait le cas. J’ai décidemment beaucoup de mal avec Vincent Cassel (il faut dire que j’ai vu le Pacte des Loups…), et Viggo Mortensen, non seulement porte assez mal le brushing gomina, mais n’arrive pas à retrouver l’ambiguité de A history of violence. Les rapports entre les deux hommes, (amitié, haine, attirance ?), constituent cependant une des parties les plus intéressantes du film.

Quelques scènes sublimes émaillent la pellicule, notamment les scènes dénudées, qui rappellent à quel point Cronenberg a une approche unique du corps. Ça reste assez « sage » cependant, loin des tortures de Crash, des métamorphoses de La Mouche ou de Chromosome 3, des instruments gynéco de Faux-semblants, ou de la console vidéo « placentaire » d’Existenz. C’est néanmoins très réussi : un corps dont les tatouages racontent une vie, une ukrainienne nue, allongée après s’être fait baisée de manière peu élégante, qui fredonne le regard dans le vide, ou la scène du sauna, impressionnante chorégraphie orgasmique. La photographie du film est assez belle, dans ses clairs-obscurs surtout, et magnifie des scènes « tableaux ».

Là où le film pêche abyssalement, c’est dans son manque total de fond. A history of violence était une réflexion profonde sur notre rapport à la violence, la façon dont elle a infiltré nos vies, dont elle est banalisée et même tournée en ridicule jusqu’à perdre de sa réalité, Les promesses de l’ombre ne fait que raconter une histoire, franchement pas terrible, d’une assez belle manière. Pas mal, mais pas suffisant.