Chronique film : Millenium Les hommes qui n’aimaient pas les femmes

de David Fincher

Je fais partie de la minorité qui n’a pas lu Millenium, et pas vu non plus la précédente adaptation du premier des trois best-sellers de la série. C’est donc un œil neuf, et sur le seul nom de David Fincher que l’envie est née de voir ce film.

Après l’absolument génialissime The Social Network, le réalisateur se lance donc dans cette histoire, comme taillée pour lui, dans laquelle on peut déceler bien des réminiscences de ses précédents films, Zodiac, Seven, The Social Network

Soit un journaliste d’investigation, Michael Blowmkist (sobre Daniel Craig), condamné pour diffamation. Il est engagé par un industriel à la retraite pour élucider le meurtre de sa nièce, quarante ans plus tôt. Le journaliste demande de l’aide à Lisbeth (formidable Ronney Mara, encensée, et avec raison, par toute la presse), geek semi-autiste, un chouïa chatouilleuse, et pleinement dangereuse. Le duo met à jour une série de meurtres, liés aux versets de la Bible, et ne comptez pas sur moi pour vous raconter la fin, si jamais vous ne la connaissez pas.

Plus ça va, plus David Fincher fait dans la sobriété. On ne va pas s’en plaindre, il y excelle, et Millenium est d’ailleurs totalement dépourvu de ses tics de petit malin. On ne s’en plaint pas, mais tout de même la première partie du film, assez lente, manque sans doute d’une petite étincelle. On ne s’ennuie pas, mais on n’est pas non plus complètement accroché. Jusqu’au moment où le duo Michael/Lisbeth est physiquement réuni. La lenteur de la première partie prend alors tout son sens, avec cette accélération du rythme, et l’accroissement de l’intérêt du spectateur. C’est virtuose tout en étant très classe, du polar millimétré, vénéneux, impeccable, dont l’originalité tient essentiellement au personnage de Lisbeth.

Mais le plus beau du film tient sans aucun doute dans cette dernière scène, en miroir de la première scène de The Social Network. Dans ce dernier, la première scène montrait un jeune geek se faire larguer par sa copine (Rooney Mara déjà), dans Millenium, Lisbeth voit Michael dont elle est amoureuse, partir au bras de sa maîtresse. Déception amoureuse dans les deux cas et rôles inversés. Et on ne peut s’empêcher de se demander, puisque dans le premier cas la déception amoureuse était à l’origine de la création de Facebook, à quoi va donner naissance cette même déception, dans les mains de la dangereuse et vénéneuse Lisbeth…

Chronique film : The social network

de David Fincher.

socialnetworkDavid Fincher se bonifie avec le temps, délaissant peu à peu son immense panoplie d’artifices. Je vous concède que je n’ai pas vu Benjamin Button, et The social network est clairement plus dans la veine de Zodiac que de Fight Club. Et c’est assez magnifique. Il émane de ce film une mélancolie immense, un sentiment de solitude infini.

The social network, c’est bien entendu Facebook, le réseau social qui a su supplanter tous les autres ou presque et s’imposer parmi des centaines de millions d’accros. David Fincher retrace dans The Social Network la naissance du site internet, jusqu’à son premier million d’inscrits. Comme sujet anti-sexy au possible, vous pouvez avouer que ça en impose. Voir des nerds en train de taper du code pendant deux heures a de quoi faire frémir, ce n’est pas très glamour. Mais Fincher est un cinéaste immensément doué, servi par un scénario excellent. Il centre son récit sur Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook. Zuckerberg existe vraiment, il est incroyablement jeune (né en 1984, ça complexe), et déjà milliardaire. A part ça, je ne connais absolument pas la part entre fiction et réalité dans ce film, et je m’en fiche un peu. Le concept de Fincher, c’est de faire Facebook le résultat d’une déception amoureuse, d’une incapacité quasi-totale à garder ses amis et à vivre en société. Et de voir cette énorme machine qu’est devenue le site comme le résultat d’une blessure intime, c’est juste renversant.

Fincher a choisi des acteurs quasiment inconnus, ce qui change des grosses pointures qu’il a l’habitude de manipuler. Et le choix est extraordinaire, ils sont tous excellents : de Mark Zuckerberg (déjà très bien dans Les Berkman se séparent), gamin mal dégrossi, incapable de tenir sa langue, à son seul ami trahi, en passant par les jumeaux harvardiens puants (inénarrable duo). Fincher réussit à trouver une manière de les filmer d’une grande sensibilité, attentif à ces gamins qui font comme ils peuvent pour rentrer dans le vie adulte, portant des bagages différents, et sociaux, et matériels, et affectifs. Pour raconter cette histoire, Fincher déploie une mise en scène absolument impeccable. Oubliant tous ses tics (ou quasi-presque, allez, reste un petit stigmate), il signe un film sobre, mais ultra-maîtrisé. Sa mise en scène joue sur les parallèles en permanence de manière brillante. Une scène du début est d’ailleurs magistrale, Zuckerberg piratant les photos des filles de l’université pour se venger de sa copine, pendant qu’une fête bât son plein, et que des greluches dansent quasi à poil sur les tables (faut le voir, c’est difficile à raconter). Le montage est serré, nerveux, mais toujours lisible, mêlant plusieurs époques différentes, de la création du site, à la multitude de procès qui sont tombés sur le dos de Zuckerberg.

Qu’il soit seul ou très entouré, c’est un immense sentiment de solitude qui lui colle à la peau. Le créateur du site sur lequel on peut se faire des dizaines d’amis par jour sera toujours seul, quoi qu’il fasse. Le film est ainsi plus le portrait de Zuckerberg qu’une critique de Facebook, même s’il ne cache rien des dangers du réseau (perte de sa vie privée, non maîtrise des données qui nous concernent, information immédiate diffusée aux quatre coins du monde, j’en passe…). A la fois portrait surdoué d’un surdoué informatique, et film classique sur le passage du monde dans une nouvelle ère (dans laquelle la vie privée n’existe pas), The social network est un film émouvant, profond, virtuose. La scène finale est magnifique, à la fois pitoyable et attendrissante, et Fincher signe par là un de ses meilleurs films, et certainement un grand film de cinéma. Superbe.

PS : Nous étions 8 dans la salle, pendant la séance 3 personnes ont textoté, et dès le début du générique 4 ont rallumé leur portable. Moi j’ai attendu d’être dehors. Juste pour prouver que, non, moi je ne suis pas aussi accroc. Mais si en fait. Tout pareil. Au secours.

Chronique film : Zodiac

de David Fincher

Il y a parfois d’immenses moments de solitude, comme consulter une programmation de cinéma sans être du tout au courant des nouvelles sorties. Alors on regarde vaguement les horaires, un peu les réalisateurs, et on se décide tout à fait au pif. J’avoue avoir eu une petite bouffée d’appréhension quand j’ai vu, une fois bien installée dans la salle, d’une part la durée de Zodiac (2h36), d’autre part du sujet : un serial-killer, le Zodiac, celui qui avait inspiré le Scorpio de Dirty Harry…

Fincher, serial-killer… mais il a pas déjà fait ça lui ? Ben non, il n’a pas déjà fait ça lui. Il fait même tout à fait ce qu’il n’avait jamais fait, un film lent, étiré, avec peu de concessions au suspense, aux trucs branchouilles (à part deux p’tits effets qu’on lui pardonne sur les 2h36 du film), et pourtant à chaque moment à contre-pied de toute ce qu’on peut attendre, hors des sentiers bien banalisés du polar. Il brouille les pistes dès le départ.

Robert, cartooniste sympa et vaguement loser, bosse au Chronicle à San Francisco. Il est bien sympa Robert, aussi, quand le tueur en série le Zodiac se manifeste au travers de courriers cryptés, que Robert se met aussitôt à déchiffrer le code, on se dit qu’il va nous résoudre l’énigme en trois coups de cuillères à pot. Loupé, c’est un couple de profs, inconnus, qui craquent le code. Et puis Robert disparaît plus ou moins du film, pour céder sa place au flic en charge de l’enquête. Pas très sexy, ni barraqué le flic, un faux air de Colombo même, qui ne pense qu’à bouffer des « Animal Crackers », même sur une scène de crime.

L’enquête, très lente, est d’abord rythmé par les meurtres, filmés sèchement, sans esthétisation aucune, que ce soit dans une voiture, ou sur les bords d’un lac ensoleillé, les coups de fil du tueur, et l’arrivée des lettres cryptés. La lenteur de l’enquête rend encore plus percutantes les quelques scènes de suspense (il est fortiche avec les lieux clos Fincher, y’a pas à dire).

Les journalistes (excellent Robert Downey Junior, dandy craquant, même déconfit, bourré et en caleçon) et les flics essaient de résoudre une énigme de plus en plus complexe en se tirant plus ou moins dans les pattes. L’enquête s’enlise, le temps s’étire, on s’égare dans des voies sans issues, et les pistes les plus prometteuses s’avèrent inexploitables. Quand tout semble perdu, voilà que notre cartooniste du début reprend le flambeau, et son intérêt se mue en obsession, jusqu’à faire fuir sa femme et ses enfants. Et quand sa femme justement, revient dans l’appart jonché de dossiers et de papiers dans tous les coins, qu’elle balance une chemise cartonnée par terre, on pense aux papiers de divorce. Hop, dernier tour de passe-passe, c’est, sans le savoir, la clé de l’énigme qu’elle apporte à son mari.

Brillant, âpre, drôle, servi par une photo superbe, des acteurs tous nickels, une musique discrète et très bien choisie, Zodiac est un sacré film, bigrement déroutant. A voir les yeux ouverts.