Chronique livre : L’œuvre posthume de Thomas Pilaster

d’Éric Chevillard.


Comme Pilaster, j’aime les bébêtes. Souffle sur le papillon avec ta souris.

Chevillard ne manque pas d’audace : il rassemble des bribes d’œuvres qu’un auteur fictif a soigneusement choisi de ne pas publier avant son décès. Étrangement proche de ses propres préoccupations, d’ailleurs ce Thomas Pilaster : maximes, aphorismes, bestioles, goût de l’absurde tout y est. C’est donc bien un amalgame de morceaux ratés qu’il nous présente ici, et c’est vraiment culotté, le bouquin pouvant basculé à tout moment en un ratage complet.

Le coup de génie de Chevillard, c’est d’impliquer un « ami » écrivain de Pilaster dans le coup : c’est lui qui a choisi (non sans malveillance puisque les morceaux choisis sont relativement ratés) les textes, lui qui les introduit, lui qui les commente. Et c’est un délice. Sous couvert d’amitié, la compilation vire à la vengeance froide : vengeance d’être toujours resté dans l’ombre de Pilaster, de voir la femme qu’il aimait dans les bras de Pilaster… Au travers ses mots, il n’a de cesse de vouloir briser l’image de son ami. Le problème c’est qu’il le fait vraiment de manière maladroite et honteusement partiale, que visiblement il manque totalement d’une finesse d’esprit que Pilaster possédait. Il faut voir ses annotations grossières sur des jolis petits aphorismes très fins, ou la manière qu’il a de nous en expliquer certains un peu plus évidents en hurlant au mépris de Pilaster pour le public. Il ne remarque d’ailleurs rien quand Pilaster parle de lui dans son journal et de sa lourdeur, persuadé de son propre génie.

L’œuvre posthume de Thomas Pilaster est donc un roman hilarant et courageux et constitue également une sacrée mise en abyme de la condition d’écrivain. Une très belle réussite.

Chronique livre : Palafox

d’Eric Chevillard.


Clique sur Palafox pour mieux voir.

Lire Palafox, c’est un peu laisser au vestiaire toutes ses certitudes concernant le règne animal et l’univers en général. Amis de la terre ferme passez votre chemin.

Palafox sort de sa coquille, un jour, sur une table, pendant le dîner d’une famille bourgeoise et pour tout dire assez caricaturale et ridicule. Un oisillon pensons-nous, probablement un poussin. Ce serait le plus logique. Oui mais voilà, Palafox défie toutes les descriptions. Impossible en effet de poser les mots justes sur cette créature polymorphe, dotée tour à tour de poils, d’écailles ou de plumes, nageant, volant, dévorant, baisant, du haut de ses 3 mètres (à moins que ce soit 3 cm ?), et de ses 20 grammes (ou 2 tonnes serait plus juste). La famille Buffoon (déformation évidente de Buffon, dont les théories ont influencé Darwin, père de l’évolution), se voit fort dépourvue face à cette bestiole, mais garde tout son flegme… même quand Palafox s’échappe, dévastant la campagne, ou décapitant le chien de la voisine. Mais que faire de Palafox, dont le cas passionne toute une tripotée de zoologues qui voient tout à l’aune de leurs spécialités respectives ? Le faire griller ? L’éduquer ? Rétif, il échappe à tout.

Palafox étonne évidemment par son parti pris étiré tout au long du roman : créature indescriptible, on ne peut constater que ses effets. Beaucoup de bruit autour de quelque chose qui n’existe finalement pas vraiment puisqu’on ne peut pas la décrire. Palafox est donc une espèce de grand brouhaha autour du vent, une descente vertigineuse dans l’échec du langage impuissant, insuffisant à décrire ce qui dépasse l’entendement de l’Homme. Mais les hommes s’agitent, s’obstinent à essayer de cerner ce qu’ils ne peuvent comprendre. Ridicules, égocentriques, pédants, la critique est féroce, même si le livre est tordant. Chevillard affirme haut et fort la suprématie de la nature, de la poésie et de l’absurde qui sont illimités, face à la science dont les limites sont fixées par l’étroitesse de la compréhension humaine. N’empêche, Chevillard a dû passer des heures à étudier la zoologie pour pondre son roman.

Le style de l’écrivain est, comme à son habitude, ébouriffant. Il y a une maîtrise incroyable du langage, une habilité formidable à manier les mots, à nous balader en une phrase d’une pensée à l’autre. A la fois puissamment lyrique et joliment pointilliste, le style Chevillard est pourtant inimitable, et se reconnaît au premier coup d’oeil. Peut-être un chouïa trop long, Palafox se dévore néanmoins avec appétit. Et on ne pourra plus jamais regarder une mouche de la même manière (mais est-ce vraiment une mouche, ne serait-ce pas plutôt Palafox ?)

A noter, un peu de Chevillard tous les jours sur son blog, l’Autofictif ici.

Chronique livre : Oreille rouge

d’Eric Chevillard.


Clic sur l’oeil pour faire « Ouahhhhh ».

Un pur moment de bonheur que ce petit ouvrage, écrit par un véritable maître de la formule fine qui fait mouche (pour s’en convaincre, aller faire un tour ici, c’est un régal quotidien).

Oreille rouge est écrivain. Oh pas du style de Conrad, non, un écrivaillon casanier, mais fanfaron, qui parle plus qu’il n’écrit. Invité en résidence au Mali, il s’en flatte partout et à qui veut l’entendre, sans avoir l’intention d’y mettre les pieds. Mais voilà, à force de clamer partout qu’il sera sans doute en Afrique à ce moment là, il est pris au piège de sa vantardise, et se retrouve contraint à franchir la douane aéroportuaire. Son séjour au Mali est un condensé grinçant du comportement touristique de l’occidental moyen, qui a toujours l’impression de vivre intensément un pays, alors que, quoi qu’il fasse il ne fera qu’en frôler la surface. Pas par mauvaise intention. Oreille Rouge fait des efforts, mais, que voulez-vous, il n’est pas du Mali, il n’est pas d’Afrique, il n’est finalement que de chez lui, chez lui étant les 4 murs de son appartement.

L’écriture d’une incroyable concision, précision, humour fait merveille. C’est très drôle, mais on ne peut s’empêcher de tortiller sur sa chaise, un peu mal à l’aise, tellement, finalement on s’y retrouve dans ce type médiocre. On est tous comme ça, l’impression d’avoir vécu un pays du moment qu’on y a passé 3 jours. On se moque de lui quand il se fait balader par un gamin qui lui promet de l’emmener voir des hippopotames, ou quand il a l’impression de voir un lion bouffer une gazelle, alors que c’est un chien qui garde sa chèvre. Ses envolées lyriques pour son ode à l’Afrique s’arrêtent nettes dès le premier vers (« Affrique ! Afrique ! ») de manière grotesque. On rit. Jaune. Mais on rit franchement.

N’hésitez pas à vous plonger dans ce tout petit bouquin, dont chaque phrase signifie plus que tout ce qu’on pourrait écrire dessus.

A lire aussi, la parfaite critique du non moins parfait Gols ici.