Chronique livre : Epépé

de Ferenc Karinthy

epepeBudaï est un linguiste émérite. Il connaît plusieurs dizaines de langues et possède talent et vivacité dans tout ce qui concerne les mots et les sons. Quoi de plus perturbant donc pour lui que de se retrouver dans un pays où la langue lui échappe complètement, rendant toute tentative de communication affreusement malaisée ? Continuer la lecture de Chronique livre : Epépé

Chronique livre : Vermilion Sands

de J. G. Ballard

Cette nuit-là, je fis un autre rêve démentiel.

Vermilion SandsVermilion Sands, « banlieue exotique » de l’esprit de l’auteur, lieu rêvé , à mi-chemin entre station balnéaire et résidence d’artiste. Ici, tout le monde est artiste ou rentier, les matières sont vivantes, qu’elles soient utilisées pour construire des maisons ou se vêtir, les statues et les fleurs chantent, des raies des sables volent dans les airs. Bref tout n’est que luxe, calme, volupté et il n’y a rien d’autre à faire que de s’occuper de soi et de ses états d’âme. Continuer la lecture de Chronique livre : Vermilion Sands

Chronique livre : Les saisons

de Maurice Pons.

Je l’ai trouvé enfin, ce lieu de grâce et de merci…

Les saisonsLe quatrième de couverture annonce un livre culte dont les lecteurs formeraient une confrérie d’initiés. Oui-da, chers lecteurs, initiez-vous le plus vite possible à ces drôles de Saisons et agrandissons le cercle !

Siméon a fui le désert et probablement un camp dans lequel lui et sa sœur étaient enfermés. Traumatisé, n’ayant pour lui que des ramettes de papier, des crayons de bois et son immense ingénuité, il s’installe avec enthousiasme dans un village pourtant bien inhospitalier avec la ferme intention d’y écrire un livre. Continuer la lecture de Chronique livre : Les saisons

Chronique livre : Falconer

de John Cheever.

Ezechiel Farragut est un professeur marié, respectable, et juste un peu héroïnomane. Après un accident de tisonnier ayant provoqué la mort de son frère, il est incarcéré pour fratricide dans la prison de Falconer. Le roman raconte ce passage en prison, en digressant parfois un peu sur le passé de Farragut. Mais les plus belles pages sont indubitablement celles qui racontent la vie carcérale.

Il attendit que les lumières et la télévision s’éteignent et lut, à la lumière qui venait de la cour : « Je t’aime. »

La toxicomanie de Farragut semble agir comme un voile entre lui et la réalité de la prison. Compte-tenu de son niveau social, il semble s’adapter avec facilité à ce nouveau milieu et à ses codétenus. Aucun jugement n’émane de Farragut (et surtout de Cheever), il a assez des casseroles qui viennent régulièrement le hanter pour se permettre de juger les autres. Les hommes, qu’ils soient prisonniers ou personnel carcéral, sont décrits de la même façon, avec la même humanité, mais sans angélisme. Chaque habitant de Falconer se débat avec ses propres démons et ses propres fantômes, les prisonniers et les gardiens étudient pour obtenir un diplôme, se confient l’un à l’autre, font preuve tour à tour de cruauté ou de gentillesse. A Falconer, on y mange et on y baise, on y travaille et on y aime, on y triche et on y meurt aussi très bien. Et puis parfois, de Falconer, on réussit à s’en évader.

Ayez pitié de nous, essayez de comprendre nos terreurs.

Le plus beau passage du roman, c’est lorsqu’une révolte avec prise d’otages éclate dans une autre prison. Tout alors ne devient alors que terreur. Les gardiens et l’administration ont une trouille bleue que l’émeute se propage à Falconer, et des plans sont échafaudés pour endormir la vigilance des détenus. On confisque les radios et la télévision, on organise des récréations débiles (se faire tirer le portrait devant un arbre de Noël en plastique). Les rapports de force s’inversent alors entre ces gardiens qui essaient de tenir le cap alors même qu’ils sont morts de peur, et les prisonniers. Mais ceux-ci sont déjà assez éteints, et les maigres tentatives de secouer la baraque font long feu.

On peut lire Falconer également comme un roman d’apprentissage, et surtout d’apprentissage de la liberté. Car c’est finalement à Falconer, que, malgré lui et sans forcément qu’il s’en aperçoive, Farragut se libère de ses chaînes, son frère, son mariage, son addiction à la drogue. L’évasion finale peut alors être lue comme parfaitement métaphorique, une nouvelle naissance ( Farragut doit s’extraire du sac dans lequel il s’est caché). Et la générosité d’un homme post-évasion, une deuxième fois répétée, apporte un peu de chaleur à la noirceur de l’univers, une lueur d’espoir.

Un beau roman ricain, plein de creux et de bosses. Comme on les aime.

Ed. Gallimard
Coll. Folio
Trad. Michel Doury

Chronique livre : La trilogie de Myst : Le livre d’Atrus, Le livre de Ti’Ana, Le livre de D’ni

de Rand Miller et David Wingrove.

Chroniquer tout ce qu’on lit comporte quelques risques, comme parfois ressortir du placard des livres engloutis il y a longtemps, et dans lesquels on remet le nez au cours d’un séjour chez grand-maman. La trilogie de Myst fait partie de cette catégorie, même si la relecture est nettement “moins pire” que prévue, le savoir-faire de David Wingrove venant soutenir l’imaginaire des frères Miller de manière assez convaincante.

Pour les ignorants, Myst est une série de jeux vidéos sortis de 1993 à 2005. Devenu très vite cultissime, Myst est l’archétype du jeu d’aventure pour geek gentil, solitaire et pas trop crétin, basé sur la découverte de mondes virtuels et la résolution d’énigmes. La grande réussite des frères Miller est d’avoir créé un univers cohérent basé sur une culture inventée (la culture D’ni), qu’on découvre progressivement au fur et à mesure de l’avancement de la série. Les romans permettent d’approfondir cette découverte (pour les fans) ou de commencer l’exploration des D’ni (pour les non-initiés).

Opportunisme commercial, peut-être. N’empêche qu’il y a dans cette trilogie quelque chose d’assez joli et de pas si fréquent en S.-F. : elle est toute entière basée sur l’amour de la connaissance et le pouvoir des livres. Nos héros sont en effet des gens qui observent, étudient, et dont la préoccupation principale est le livre. Ces érudits peuvent, grâce à l’écriture, créer des mondes (ou plutôt relier des mondes lointains). Cette fascination pour la connaissance, l’écriture et les livres surprend agréablement dans cet univers du jeu vidéo, très éloigné du boum-boum-tatatatatatata ultra-violent qui fait en général recette. Il y a même quelque chose d’assez courageux dans le fait de prendre pour héros des « écrivains », ce choix explique d’ailleurs probablement mon enthousiasme pour Myst à l’époque.

Par ailleurs on peut lire Myst comme une métaphore géante du métier de créateur de jeu vidéo (et des métiers de création en général). Les D’ni écrivent des mondes dans une langue codée, mondes dont la stabilité dépend de la cohérence et de la solidité de leur écriture (Le livre d’Atrus). Mais tout ce processus créatif peut-être détruit par les méfaits d’un seul homme-virus, capable d’ébranler toute une structure solide et millénaire (Le livre de Ti’Ana). Le jolie mécanique s’essouffle clairement dans le troisième tome (Le livre de D’ni), dont l’idée de départ (l’attirance dangereuse pour une perfection de surface), plutôt futée pourtant, se voit mise à mal par une écriture et une construction plus que bancales.

Finalement, les trois romans de Myst évitent largement la débâcle totale. Il y a bien pire dans mes placards, mais ça on verra plus tard. Ou pas.

Ed. J’ai lu
Trad. Philippe Rouard (I & III), François Thibaux (II)