Chronique livre : la quadrilogie de Marie (Faire l’amour, Fuir, La vérité sur Marie, Nue)

de Jean Philippe Toussaint

nueQuand on plonge dans Nue, sans savoir de quoi il retourne, on prend le risque de devoir immédiatement le roman achevé, courir chez son libraire pour acheter les trois premiers tomes de la quadrilogie. Non pas que le roman ne puisse se suffire à lui-même, comme chacun des autres volumes d’ailleurs, mais le charme, le mystère, la sensualité, l’humour, l’angoisse sourde et fondamentale qui s’échappent de ces pages donnent envie de creuser, comprendre, pénétrer un peu plus profondément dans ce récit romanesque étonnant. Continuer la lecture de Chronique livre : la quadrilogie de Marie (Faire l’amour, Fuir, La vérité sur Marie, Nue)

Chronique livre : Millenium people

de J. G.Ballard

Millenium People est un des derniers livres du cultissime James Graham Ballard, auteur entre autres du dérangeant Crash ! Ecrit à 75 ans, Millenium People montre que si le potentiel subversif de son auteur était encore absolument intact en 2005, son écriture par contre montrait de gros signes de faiblesse.

Millenium People raconte, pour vous la faire courte, la révolte londonienne d’une classe moyenne prise au piège d’un capitalisme fascisant. Prenant conscience que tous leurs rêves et leurs choix de vie sont dictés par la société libérale dans laquelle ils évoluent, les habitants d’une résidence de standing commencent à casser leur jouet en s’en prenant aux symboles de leur aliénation : parcmètres, écoles privées, charges locatives, vidéoclubs, cinémathèque, musées et agences de voyage. Mais, perdus parmi ces actes de rébellion et de vandalisme une série d’attentats gratuits et non revendiqués commencent à faire frémir la ville. David, un psychologue dont l’ex-femme est morte dans l’un de ces attentats, infiltre la résidence pour découvrir les raisons de cet acte et leur auteur. Et puis sans doute aussi pour se trouver lui-même.

Le thème développé par Ballard est très intéressant et sans doute prophétique. La société (anglaise, mais pas que) “tient” en partie par ses classes moyennes, qui représente un “modèle” à atteindre pour les classes moins favorisées. Mais la douillette sécurité que représente l’atteinte de cette classe moyenne n’est qu’apparente : l’augmentation du coût de la vie fait que l’ensemble des objectifs, des rêves de cette population (objectifs et rêves formatés, biberonnés dès l’enfance dans des écoles privées, et par la société de consommation en général), devient d’un coup hors de portée. Cette classe moyenne se mue alors en symbole d’une impasse sociétale, dont l’implosion signifierait l’explosion d’un système tout entier.

Les propos de J. G. Ballard ne perdent rien de leur potentiel subversif. La réflexion sur “le vide” et “l’ennui” m’a particulièrement intéressée. Sans pouvoir d’achat les classes moyennes perdent le sens même de leur existence (la consommation, matérielle, culturelle, touristique…). Privées de leurs béquilles, elles sont confrontées au vide absolu de leurs existences, et commencent alors à détruire les symboles même de ce qui les qualifie. Tout comme Sally, la femme de David, ne peut se séparer de ses béquilles après un accident (dépourvu de ce fait d’une quelconque signification) dont elle s’est pourtant parfaitement remise. Le constat est désespérant, l’homme ne pouvant supporter l’absence totale de sens de l’existence, ne peut vivre sans béquille qu’elle soit spirituelle, matérielle ou culturelle.

Le gros problème de Millenium People, c’est sa construction et son écriture. La construction, beaucoup moins rigoureuse que celle des précédents romans du maître, rend la lecture souvent peu claire. Abus de flash-forward à l’intérieur même de paragraphes, écriture peu précise, rendent le roman passablement confus. L’édifice tient maladroitement debout, les personnages restent difficiles à définir et à comprendre, les dialogues, à force de sous-texte, en deviennent complètement obscures. De nombreuses formules, à la limite de la correction grammaticale, font également penser à un problème de traduction, visiblement pas très travaillée.

On le sait, après avoir lu l’autobiographie au titre infâme de Ballard La vie et rien d’autre, la maître était devenu terriblement popote sur la fin de sa vie. Et Millenium People révèle toute la complexité de cet esprit paradoxal : à jamais subversif sur le fond, totalement mollissant sur la forme.

Ed. Denoël (en poche chez Folio)
Trad. Philippe Delamare

Chronique livre : Falaises

d’Olivier Adam.

Un peu effrayée lorsqu’on m’a offert ce livre, les images de Je vais bien, ne t’en fais pas, adaptation cinématographique (et comique?) d’un autre livre d’Olivier Adam me flottaient encore dans la tête. Mais il faut avouer que Falaises est plutôt un beau livre, sincère, à la construction intéressante, aux personnages attachants.

Nous voilà plongés dans l’esprit du narrateur, qui, à trente et un ans, marié et papa, revient sur les lieux du suicide de sa mère. Durant une nuit d’insomnie, il retrace, dans le désordre, sa vie, cette enfance dont il ne se souvient quasiment plus, le suicide de sa mère, son adolescence marquée par l’absence du père, les drogues, le sexe et l’anorexie de sa copine, son début de vie d’adulte et la mort de sa petite amie, et puis la rencontre de sa femme et sa paternité, comme un point final à un itinéraire bousculé.

Difficile de savoir quel est le degré d’autobiographie dans Falaises. Mais finalement peu importe. L’écriture d’Olivier Adam, bien que flirtant parfois avec la métaphore chichiteuse, a quelque chose d’incroyablement visuelle. Pas étonnant que les metteurs en scène se soient intéressés à ses romans. Les scènes se déroulent sous nos yeux, avec évidence et pourtant avec une certaine économie descriptive. On est souvent touché par l’histoire, par les blessures des personnages, par les réflexions du narrateur, par sa volonté de vie malgré tout, sa capacité à passer outre les malheurs sans les oublier, son constat que les gens changent en profondeur parfois, sans qu’on y puisse rien. Un joli livre pour une belle et dure histoire. 

Chronique livre : Le dernier homme

de Margaret Atwood.

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Parfois la reconversion est étonnante. Clique.

Décidément, la fin du monde est vraiment à la mode, et revient sans doute plus que nécessaire dans mes lectures en ce moment. Après les visions Ballardiennes, Mccarthiennes et Chevillardesques pour les plus réussies, Le dernier homme de Margaret Atwood laisse une sensation mitigée : entre maîtrise en maladresse, érudition et laisser-aller.

Maîtrise d’abord, car il faut reconnaître un talent certain de romancière à Margaret Atwood. Le livre est particulièrement bien construit, oscillant entre deux époques, qui finissent par géographiquement se rejoindre. Atwood réussit à toujours ressusciter l’intérêt de son lecteur à la moindre baisse de régime, à la manière des meilleurs auteurs de romans policiers, mêlant anticipation et histoire d’amour. Cependant, le livre est constellé de mots inventés totalement maladroits. Sans doute est-ce la traduction, mais en tout cas, en l’état, bon nombre d’inventions linguistiques sont assez ridicules. Visiblement, Atwood n’a pas le talent d’une J.K. Rowling pour créer un monde différent du monde réel.

Pourtant dans le conceptuel, le scientifique, le livre convainc plutôt, ne faisant pas trop toc. On sent que la science passionne Atwood, et le difficile parti-pris choisi, un monde futuriste, cependant ancré dans le monde actuel et les évolutions scientifiques actuelles, tient bien la route. Malgré cette rigueur appréciable, on ne peut s’empêcher de déplorer un certa

in académisme. La romancière n’évite pas les clichés de ce type de production. Un bon nombre de scènes classiques de ce genre littéraire sont présentes, sans apporter un regard particulièrement nouveau (traversée de territoires dévastés à la recherche de vivres, confrontation avec des méchants zanimaux, …).

Ce genre de passages obligés commence à dater quelque peu et affaiblissent les particularités de cette auteur intéressante. Un bon bouquin de vacances, vite oublié.

Chronique livre : Lunar Park

de Bret Easton Ellis.

 

Terby existe en vrai… Clique si t’es courageux.

Moi j’aime bien les cadeaux. Surtout quand ce sont des bouquins, et surtout des bouquins aussi bons que celui-ci. Ca commence comme de l’autofiction, ça se termine en grand n’importe quoi qui fout la pétoche. Bret vient de s’installer avec sa femme (une célèbre actrice de cinéma), son fils et sa belle-fille dans une grande maison avec jardin de la banlieue new-yorkaise. La vie suit son cours difficilement : il n’arrive pas à nouer contact avec son fils Robby, le chien ne l’aime pas, il flirte avec une étudiante, des gamins disparaissent, la peluche-perroquet de sa fille le fait flipper, il a replongé dans la coke. Pas sain sain le gars quoi. Et puis petit à petit les choses partent gravement en sucette : la maison commence à peler, il croit voir le meurtrier en série de son dernier roman pour de vrai, le peluche-perroquet de la gamine l’attaque, il reçoit des emails anonymes…

Fascinant la façon dont Ellis réussit à faire dévier les choses sans jamais qu’on réussisse à dépatouiller l’écheveau : rêve t’il ? est-il sous l’emprise de stupéfiants qui le font complètement dérailler ? En tout cas, l’ambiance qu’il crée est totalement flippante, on se bouffe allègrement les doigts en se demandant quand et comment ça va se terminer, on flaire le bain de sang final (à tort). Ellis est sans aucun doute un maître de l’écriture, à la fois tendue comme une corde de folk, crue, ou au contraire très onirique. Bref, un vrai délice Lunar Park, mystérieux et fascinant. Ca donne envie de lire l’intégrale Ellis… n’est ce pas ? mmmm ?