Chronique film : Twixt

de Francis Ford Coppola.

Un écrivain de seconde zone, Hall Baltimore (Val Kilmer, qui a pris de l’épaisseur), spécialisé dans les histoires de sorcières, fait la tournée des popotes pour promouvoir son nouveau roman. En manque d’argent, d’inspiration, harcelé par sa femme à bout de patience, hanté par le souvenir de sa fille défunte, notre ami Hall se perd dans la dive bouteille, et dans un bled miteux étrangement surmonté d’un beffroi à sept horloges. A la morgue le cadavre d’une jeune femme, transpercée par un pieu. Dans la tête de notre héros, des rêves étranges et effrayants. Voilà de quoi alimenter le clavier desséché de Hall Baltimore.

Twixt est un drôle de machin, une créature hybride, hétéroclite, et cinéphile. Difficile de trouver une unité de style là-dedans. Twixt oscille entre l’esthétique du film d’horreur, du cinéma baroque allemand et du cinéma gothique, voire du film fantastique enfantin, tout en créant un mélange indescriptible (et un peu kitsch) d’univers lynchio-lango-hitchcocko-coeno-coppolien. On sent du Twin Peaks là-dessous, notamment à travers l’utilisation de la musique, du surréalisme, une voix off à la Coen, des rappels à la psychanalyse comme chez Hitcock et Lang. On se demande d’ailleurs souvent si Coppola n’est pas un peu en train de se foutre de notre gueule tant ce mélange hétéroclite peut prêter (bien volontairement) à rire, et semble ne mener nulle part.

Mais derrière ce grand fatras visuel et temporel, Twixt constitue cependant un objet intéressant dans la filmographie du maître. La grande liberté qui se dégage du film est totalement insolente et ébouriffante. Coppola n’a plus rien à prouver à personne, et sa récente filmographie est de ce fait la plus personnelle. Dégagé de la pression des studios, le réalisateur ose tout, déconstruit, reconstruit, et le parcours chaotique de Twixt finit par former un puzzle assez passionnant qui trouve son apogée et sa clé de voûte dans une scène de catharsis tout bonnement scotchante.

Le réalisateur, en filmant l’accident mortel de la fille de Hall Baltimore, reconstitue tout bonnement l’accident qui provoqua la mort de son propre fils. On comprend alors la finalité, tout le culot et la beauté de ce film inclassable : un parcours psychique et artistique, torturé et tortueux, mais nécessaire pour mettre en lumière la culpabilité, et peut-être finir par s’en dégager un peu. Et ça c’est assez magique.

Chronique film : Tetro

de Francis Ford Coppola.

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Aveuglé ? Clique.

Point de suspense inutile : Tetro est une pure merveille. Difficile de définir ce film : à la fois classieux comme un polar ricain, exubérant et onirique comme du Fellini, ample et ambitieux dans sa forme, mais évidemment personnel et intime pour Coppola. Une espèce de film somme donc pour le maestro, conjuguant les influences de ses origines et de ses maîtres, un formalisme absolu au service d’une puissance de narration incroyable. Dès les premières images, on est scotché par la beauté de la photo, ce noir et blanc contrasté, tranchant. On pense à Rusty James, bien sûr, de par la photo, et le thème. Mais Tetro est beaucoup plus ambitieux et plus profond dans son intention.

Tetro est un film sur la famille, et la place de chacun dans la famille. Comment survivre à sa famille, comment s’y faire une place, comment se pardonner et comment pardonner, comment accepter. Le chemin est difficile pour Tetro et son très jeune frère Bennie. Il y a un sacré passif dans cette famille : un père chef d’orchestre célèbre et charismatique, la mère de Tetro morte dans un accident de voiture alors qu’il conduisait, une jeune fille qu’il aimait et que son père a épousé… Tetro a choisi la fuite pour survivre. Miranda est tombée amoureuse de lui et l’aide à se reconstruire. Ou plutôt à se construire. Car Tetro, étouffé par son père dans ses aspirations d’écrivain (« il ne peut pas y avoir deux génies dans la même famille » dit-il, lapidaire), n’a pas réussi à extérioriser ses sentiments et son talent. L’arrivée de son petit frère sert de déclencheur à la révélation des secrets de famille.

Dans TetroCoppola nous raconte à la fois son histoire passée sous forme d’une espèce d’auto-fiction, et projette en même temps ses angoisses de père dont les deux enfants suivent une voie similaire à la sienne. Replonger da

ns le passé pour se projeter dans l’avenir le mieux possible, pour ne pas refaire les erreurs commises par les parents, c’est le challenge que se fixe Coppola. Et sous sa caméra, cette histoire prend un dimension folle. Parce que Coppola n’est pas manchot de la caméra. Sa mise en scène est somptueuse, puissante, notamment dans la deuxième partie du film. Il joue énormément avec les lumières, lumières qui aveuglent lors de l’accident de voiture, lumières de la célébrité qui attirent et aveuglent en même temps. Et puis quelles merveilles que ces scènes oniriques, surréalistes : une mer qui envahit une scène, une poupée vivante qui se désarticule, ou encore cet enterrement magistral qui part de l’immensité de la salle, pour se concentrer sur une baguette de chef d’orchestre.

Un très grand moment donc qui signe le retour en fanfare du maître. Brillant et intense.