de J. J. Abrams.
Magnifique surprise que ce blockbuster de l’été, malheureusement vu en version française dans un cinéma pop-corn (mais avec écran géant, ce qui est quand même impressionnant). Super 8 est un pur moment de bonheur cinématographique, un divertissement grandiose et émouvant, qui plonge le spectateur dans un état d’émerveillement total, de ces états qu’on croit disparus depuis la fin de l’enfance.
Dans une petite ville de l’Ohio, un groupe de pré-ados tournent un film de zombies en Super 8 pour participer à un concours. Parmi eux, Jo, le fils du shérif adjoint vient de perdre sa mère. L’arrivée d’Alice, la plus jolie fille du collège comme actrice dans leur petite bande réintroduit une figure féminine dans sa vie. Mais lors d’une nuit de tournage dans une gare désaffectée, les enfants vont connaître une double déflagration. La première c’est la découverte des talents d’actrice d’Alice, qui les cloue sur place et apporte à leur petit jeu une dimension, un sérieux qu’il n’avait jusqu’alors pas. La deuxième déflagration c’est le déraillement d’un train de l’armée de l’air dont ils sont les premiers et uniques témoins. La scène est spectaculaire (vraiment), mais ce qui s’est passé à ce moment-là, on ne l’apprendra que beaucoup plus tard dans le film : la caméra des enfants, tombée à terre a filmé la scène, mais le film ne sera développé et visionné par les enfants que trois jours plus tard dans une scène magnifique entre Jo et Charles, durant laquelle les sentiments des deux garçons pour Alice sont révélés, en même temps que sur l’écran se révèle le pourquoi des événements si étranges après le déraillement du train. Car cet accident n’est pas sans conséquence : disparition des chiens, mystérieux vols de moteurs et d’appareils électro-ménager, enlèvement du shérif et autres habitants de la petite ville. Le père de Jo enquête, mais se heurte vite au silence de l’armée de l’air. Pendant la deuxième partie du film, on suit donc l’adjoint au shérif, débordé par tout ça, qui essaie de jongler entre la résolution de l’énigme, les demandes des administrés, et la protection de son fils. Mais le mystère, ce sont bien les enfants qui vont le dénouer, à la fois par la découverte des images de leur propre film et par le visionnage d’une vieille bobine appartenant à leur professeur de biologie (responsable du déraillement du train).
A la manière d’un Spielberg, à qui le film rend un hommage évident, J. J. Abrams fait tout pour émerveiller ses spectateurs, et c’est une formidable réussite. Plus lyrique que son modèle, le réalisateur multiplie les sources d’éblouissement (au sens propre) : incendies, lumières des projecteurs de cinéma, flare bleuté omniprésent sur la pellicule comme une présence bienveillante,… et le spectateur est ébloui comme un enfant. Le scénario n’a sans doute pas la rigueur et la cohérence d’un Spielberg dans son aspect fantastique, mais c’est pour mieux multiplier les sources d’étonnement : on adore quand, dans le film du professeur de biologie on voit le vaisseau spatial de la créature se désagréger en milliers de cubes métalliques blancs, comme des pièces de légo géantes, et on adore quand les pièces se rassemblent à nouveau pour recréer la navette, on adore ces mouvements de caméra d’une fluidité inouïe qui emporte le spectateur de l’intime au fantastique ou au spectaculaire, ces profondeurs de champ qui superposent les plans et racontent plusieurs choses en même temps.
Mais la technique que déploie J. J. Abrams n’a rien de l’esbroufe pour l’esbroufe. Il s’agit vraiment de surprendre, d’émerveiller, d’émouvoir le spectateur, en lui racontant l’histoire de l’acceptation d’un deuil, celui de Jo et de son père, pour qu’ils puissent tous les deux continuer leur histoire. Car bien sûr tout ce barouf fantastique, cette créature de l’espace qui ressemble beaucoup à une araignée géante, ne sont qu’un prétexte, un catalyseur dans la vie de ces deux personnages, qui va leur permettre à la fois de se retrouver comme un père et son fils devraient l’être, et de se retrouver eux-mêmes à travers le regard des autres. Car il est beaucoup question de regard dans le film. Jo, en visionnant avec Alice un vieux film super 8 de son enfance dans lequel apparaît sa mère, explique à sa camarade que ce qui lui manque le plus c’est le regard de sa mère, la seule personne qui lui donnait l’impression d’être quelqu’un juste en le regardant. L’enfant a perdu ce regard, et s’est perdu lui-même. Le film est la reconquête de ce regard, qui bizarrement sera celui de la créature. Dans une scène absolument ravageuse Jo, prisonnier de la bête, au lieu d’essayer de fuir, se met à la regarder vraiment, pour ce qu’elle est, une créature isolée, perdue sur une Terre dont elle est étrangère et qu’elle veut fuir. Ce regard qu’il porte sur elle, soudain sera également porté sur lui par cette bestiole. C’est une délivrance pour l’enfant, qui, existant par les yeux de la bête se remet à exister vraiment. Et cette existence reconquise sur la mort d’un être cher lui permet à son tour de regarder le monde et l’avenir, dans une scène finale éblouissante.
Et puis le film est également un chant d’amour à l’Art et plus précisement à l’image et au cinéma, à leur pouvoir salvateur. Des films dans le film il y en a quatre : le film de zombies, les images du déraillement, le film de la mère de Jo, et enfin les archives du professeur. Chacun de ces films est une brique dans la résolution du mystère et dans la reconstruction de Jo, certes pas ce qui le sauvera vraiment (le regard de l’autre) mais comme des clés, qui font s’ouvrir les verrous de l’intrigue et de l’intime. On soupçonne par ailleurs la composition de ce groupe d’enfants et leur passion précoce pour le septième art assez autobiographique, et donc très touchante. La façon dont le réalisateur regarde ces enfants est d’ailleurs totalement respectueuse et délicate, faisant exister chacun d’entre eux de belle manière.
Super 8 est donc vraiment un pur moment de bonheur cinématographique, tout comme l’a été cette année La dernière piste de Kelly Reichardt dans des styles pourtant diamétralement opposés, mais tous deux dans l’interrogation permanente du comment faire pour raconter/étonner/émouvoir/… Absolument magique.