Chronique livre : Zébulon ou le chat

de Maëlle Levacher

Chronique publiée initialement dans le numéro 36 de l’indispensable Revue Dissonances.

Consolation n’est que le nom qu’on donne à une saison sèche.

Comment faire son deuil d’un être aimé ? Patiemment Maëlle Levacher a attendu son heure pour évoquer la vie et l’œuvre de feu Zébulon. Par petites touches, pensées, maximes et aphorismes, elle ressuscite leur histoire, ou plutôt l’histoire telle qu’elle l’a vécue. Car Zébulon était un chat, son chat, insaisissable, familier et mystérieux.

Elle veut, au service de sa Bête, s’élever au rang d’historiographe.


L’écriture, imprégnée de classicisme, constitue un écrin parfait à l’évocation de la bestiole. Hommage aux grands moralistes autant qu’à Zébulon, le texte est empreint d’une ironie mordante et interroge, par l’auscultation des rapports entre l’animal et son maître (et vice-versa), l’ambiguïté des liens d’amour. Car le ronronneur est aussi avicide, mais cela n’entame pas la solidité de l’attachement. Amour aveugle ou amour lucide ? Miroir de notre ego, le chat, mais miroir imparfait et insaisissable qui oblige à la mise en sommeil des excès d’amour-propre pour construire une relation pleine et entière. Zébulon est donc prétexte pour parler du rapport à l’autre, du regard, de la construction du lien, mais pas seulement. Car loin du simple exercice d’imitation et d’admiration, le livre déborde d’amour et touche infiniment, par cette attention aux détails, au partage de ces petits moments d’échanges privilégiés entre deux créatures débarrassées d’elles-mêmes :

J’ai dû dire […] que Zébulon était un sujet bas, de peu de dignité. Cette vérité dans l’ordre littéraire est, […] dans l’ordre des sentiments, démentie partout en cet ouvrage, que résumerait un mot d’amour.

Ed. La Part Commune

Chronique livre : La veillée de l’hyène

de Maëlle Levacher.

Il est des crises dans la livraison, des affolements, des accès de fièvre que l’hyène ne s’explique pas. Des vivants mâchent son travail et lui expédient force colis chargés de restes indifférenciés d’une quantité indénombrable de défunts. Consciencieusement, l’hyène accomplit sa tâche, mais son palais carnassier n’apprécie guère une bouillie de cendres et de savon.

Un jour, on t’adresse un livre, aussi peu épais que la notice de montage d’un meuble en kit. Négligence, manque de temps, distraction, fatigue des mots écrits, empilement compulsif de strates cellulosiques épaisses, le livre disparaît dans les profondeur d’une pile à lire déraisonnable. Et puis, parce que parfois, parce que c’était lui, parce que c’était toi, le livre réapparaît et n’a finalement pas grand chose à faire pour s’immiscer avec évidence entre tes yeux et le cinquième tome de Game of thrones/le dernier Connelly en VO/le Roi Stephen ad lib. Tu te souviens alors de l’intelligence du message que l’auteur t’avait adressé et tu te maudis de n’avoir pas ouvert ce livre dès le pas de ta porte.

Étonnant voyage aux frontières de la mort que propose La veillée de l’hyène. De la poésie ? peut-être. Des fables ? sans doute. Mais quelques soient les situations, la morale sera unique : voyageur, au-delà, il n’y a rien. La hyène donc, symbole de la mort, du néant, capable de tourner en dérision et de croquer tout cru Cerbère, les poètes, les marmots et (oh nan pas eux !) les chatons mignons. Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance, dit Dante. Ici ? mais il n’y a pas d’ici dans lequel entrer, réplique la hyène, une fois que j’en aurai terminé avec vous, de vos os il ne restera rien (sauf peut-être si vous êtes un cheval, mais chuuut, la hyène n’aimerait probablement pas qu’on lui mette le nez dans ses contradictions).

Au travers d’une vingtaine de saynètes, Maëlle Levacher met en scène sa hyène face à différents protagonistes, du pauvre prétentieux Jean-Jacques, au divin Dionysos. L’hyène, hirsute et carnassière, a la constance volatile. Elle ironise et boulotte, sans distinction, s’immisce dans la mythologie et dans l’Histoire, et joue avec ses proies au sort inéluctable. Il n’y a pas de logique dans ses choix, juste la certitude de la fin.

Subtil et intelligent, aussi taquin que parfois agaçant, La veillée de l’hyène se révèle d’une originalité et d’une liberté folle. L’écriture puise dans le classicisme mais fait preuve d’une vraie modernité dans son irrévérence. En un mot comme en cent, il faut le dire, c’est super bien écrit. Et ça fait un bien fou.

Ed. Cardère