de Philippe Annocque.
C’était peut-être tout simplement le signe que l’on mesurait sa faculté de comprendre à sa juste valeur, c’était peut-être tout simplement le signe qu’il était reconnu, lui, Liev, pour ce qu’il était : un homme intelligent à qui l’on n’avait pas besoin d’expliquer les choses par le menu pour qu’il les comprenne.
Il ne faudrait tout de même pas prendre des vessies pour des lanternes. Liev n’aimerait pas ça s’il s’en apercevait. Le problème c’est qu’on ne peut pas vraiment être certain qu’il s’en aperçoive. Et ce serait sans doute beaucoup mieux comme ça.
Parce que Liev est un monsieur très bien et très comme il faut dans un costume (veste + pantalon assorti = costume). Il arrive à Kosko pour devenir le précepteur des enfants de la maison. Mais le problème, c’est qu’ils ne sont pas là. Voilà qui est fort contrariant. Surtout pour Liev. Parce que Liev a un petit peu de mal avec la réalité, il a des difficultés à saisir ce que les gens lui disent. Heureusement que Liev est très intelligent, alors grâce à son grand sens de la déduction, il comble les blancs entre ses point d’accroche au réel avec ce qui lui semble le plus logique. Mais Liev a surtout beaucoup plus d’imagination que de logique.
Du temps et du lieu manquaient.
Philippe Annocque réussit à choper le lecteur dès la première page, de son écriture légère et légèrement décalée. Le roman commence de manière assez classique même si derrière les questions que se pose Liev, on sent que quelque chose grince et déraille. Mais déraille jusqu’à quel point ? Difficile de le savoir car c’est bien le point de vue de Liev qui nous ait donné ici. Et au début, il peut s’entendre. Puis le récit se dédouble, puis le récit se multiplie comme des Mogwai qu’on aurait mouillé par inadvertance. Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? Mazette, quel jeu de piste.
On est aussi infiniment touché par ce Liev profondément seul et qui n’appartient à aucun monde, et finalement même pas au sien. Précepteur sans enfant à instruire, amoureux sans fiancée à aimer, Liev ne comprend rien d’une société qui ne le comprend pas. Redistribuer les cartes en permanence tout en réussissant à construire un récit portant en lui une progression dramatique, voilà le tour de force de Philippe Annocque, qui se place ainsi sous la tutelle heureuse de Beckett, Karinthy et Kafka. Acrobatique, poignant et réussi.
Ed. Quidam éditeur.