Chronique théâtre : lecture de III

par le Théâtre Narration, texte de Philippe Malone.

Prologue

Le vendredi 14 novembre 2008, The Place To Be, c’était Marvejols, bourgade lozérienne, qui ferait passer le Périgord pour un pays civilisé. Heureusement, bravant le froid, le vent, les liaisons TER hasardeuses, et l’odeur de vache du voisin de mini-bus, j’y étais. Pour quoi y faire me direz-vous ? Quel événement d’une telle importance pour me pousser dans cette cascade de risques inconsidérés ? Et bien le Théâtre de la Mauvaise Tête (TMT), îlot culturel précieux dans cette sauvage et lupiforme contrée, a eu la bonne idée d’accueillir une journée organisée autour de l’écriture de Philippe Malone, auteur de théâtre contemporain, dont je vous ai déjà entretenu à maintes reprises, ici, , et encore ici. Au programme une lecture de III par le Théâtre Narration (la critique du texte à suivre), une seconde lecture par l’auteur himself de sa nouvelle création Septembres, et enfin l’Entretien, cette fois-ci en pièce montée par Fabrice Andrivon, metteur en scène du TMT.

A l’issue de la journée, et pour paraphraser l’ami F., on s’aperçoit que, tout de même, l’écriture de Philippe Malone « c’est pas rien », et qu’on assiste progressivement à la naissance d’un grand écrivain, et poète, dont l’écriture millimétrée, et le goût pour la forme, ne sont que les véhicules d’un univers, d’une pensée profonde, acérée, ancrée dans le monde actuel. Mais revenons à nos Aubracs.

Acte I : lecture de III par le Théâtre Narration


Pour mieux lire le grand William, clique.

Ne connaissant pas ce texte, passant pourtant pour un des meilleurs de son auteur, j’attendais avec impatience cette lecture. Une petite moitié de la pièce lue durant cette session, de quoi découvrir le texte, et de donner envie de lire a suite. La principale et inestimable qualité de cette lecture est qu’elle donne véritablement à entendre le texte. Les comédiens n’essaient pas de se mettre en avant, mais respectent scrupuleusement le texte et sa typographie, sans pourtant se laisser grignoter par lui. Ils trouvent la bonne distance par rapport à cette hallucinante transposition du Richard III de Shakespeare dans le monde politico-economico-humain actuel. Une mention spécial à l’acteur jouant Richard, vraiment habité par le texte. Il réussit à complètement faire oublier le volume qu’il garde dans les mains durant la lecture. Alors évidemment, on espère que le Théâtre Narration réussira à monter ce texte, qui visiblement et à très juste titre, semble leur tenir particulièrement à coeur. Très bon moment.

A lire aussi Acte II et Acte III.

Chronique théâtre : Pasaràn

de Philippe Malone.

Suite de l’Odyssée malonienne, après l’Entretien, Blast, Morituri. J’ai l’enthousiasme plus modéré pour cette pièce, malgré un fond toujours aussi pertinent. Comme dans Morituri, il est ici question de pouvoir, d’accession au pouvoir, d’argent, de la place de la femme, d’une population aveuglée par sa haine, de la différence, de l’altérité. L’analyse est fine sur les mécanismes du pouvoir, jouer sur la peur des gens, réveiller les instincts haineux les plus bas et les moins assumés, puis, quand les idées ont infusé, injecter une bonne dose de pognon pour faire tenir le tout.

Évidemment, c’est d’une actualité ravageuse. L’écriture, exigeante, moins homogène, plus heurtée, m’a un peu perdue, même si elle cloue parfois au fauteuil. La forme de la pièce, relativement classique, au niveau de la mise en place des personnages, de la construction narrative est bourrée d’idées. Ça foisonne, ça complexifie, ça référence, au risque de perdre le lecteur (à défaut d’être spectateur). Le symbolisme parfois un peu appuyé, et le final audacieux et trashissime passent assez mal à la lecture.

Reste à voir ce que tout ça peut donner sur une scène, entre les mains d’un metteur en scène de talent. A suivre.

Un peu plus de Malone ici et .

Chronique théâtre : Morituri

de Philippe Malone.

« Lorsque j’ai débuté, je me souviens encore, mes mimiques fébriles mes quintes orageuses firent que l’on misait peu sur ma carrière politique. Trop prompt à réagir disait-on, pas assez réfléchi, mes saillies malhabiles souillaient de tâches laides la monochromie des tons que chérissait l’époque. »

Il n’y a pas beaucoup d’auteurs qui me font ça. Mon inculture est immense me direz-vous. C’est vrai. Mais il n’y a pas beaucoup d’auteurs qui, dès la deuxième ligne de texte, font s’élever ma voix pour cajoler chaque mot. Tant de précision méticuleuse, tant de musique dans ces phrases, tant de rythmes internes, d’alexandrins parfaits et modernes, de mots jetés, tour à tour lisses et heurtés, que je ne peux m’empêcher de lire à voix haute de manière quasiment inconsciente. De mémoire Racine, Beckett et parfois Baricco réussissent à me mettre en transe « lectur’active ». Généralement, j’ai la lecture plus intérieure. On va dire que je m’emporte, concentrons-nous plutôt sur le texte, ce sera plus intéressant.

Après quelques recherches et une rectification, Morituri a été écrit en 1998. Après la lecture, cette date est complétement surréaliste, tant le texte semble être une réaction viscérale post 6 Mai 2007. M. Malone aurait-il des dons de voyance, ou alors une perception, un sens de l’anticipation si aiguisés des choses qu’il est capable de les analyser avec finesse avant même qu’elles ne se produisent réellement ? Monologue intérieur poétique et violent, Morituri nous embarque dans l’accession au pouvoir d’un homme politique brun. Tout y est, rien ne manque de la simplicité du processus et de son cynisme. En miroir, c’est aussi le constat de l’échec d’une démocratie, de la démission de tout un peuple et de ses pulsions auto-destructrices. Je ne prèfère rien dévoiler de plus, à part vous encourager à vous jeter sur ce texte court, à l’intelligence et à l’écriture dévastatrices.

Vous allez voir, c’est simple de l’acheter, il suffit de cliquer ici.

Un peu plus de Malone ici et .

Chronique théâtre : Blast.

Texte et Dramaturgie : Philippe Malone
Mise en scène : Véro Dahuron

Parfois, ça vaut le coup de se casser le cul, braver les grèves ratpiennes, sncfiales, juste pour avoir le plaisir infime et infini de voir du bon théâtre. Comment raconter le traumatisme ? des causes multiples pour un seul mal, un seul choc, physique, émotionnel. C’est à partir d’un monceau d’interviews de traumatisés divers et variés, que Philippe Malone a dû laisser décanter, mûrir, épurer, presser pour en extraire l’essence, qu’est né le texte. Pas un travail d’écriture, non, plus un travail de fourmi, d’une intelligente humilité, de mise en forme, mise en valeur des mots des autres, sur une grille musicale, une partition millimétrée.

Blast fait partie de ces textes dans lesquels le fond et la forme se marient de manière confondante pour créer une entité uppercut qui vous prend aux tripes pour ne plus vous lâcher. Le récit d’abord déroute, feu d’artifice de mots, de maux, au rythme hypnotique, pour devenir progressivement plus linéaire et laisser la part belle aux témoignages. Cohérence de l’éclatement, bribes, fragments, agencés au cordeau, Blast est en cela très réussi qu’il évite les dangers des amalgames historico-politiques et l’écueil du pathos, pour servir un constat humain, l’universalité de la douleur, douleur potentiellement destructrice quelque soit son origine. La mise en scène, très (un peu trop ?) inventive, s’empare du texte à bras le corps, frontalement, sans chercher à louvoyer ou verser dans le lacrymal. Les acteurs, impliqués, réussissent à insuffler une légèreté, à tenir une certaine distance par rapport au texte, sans jamais lâcher le morceau.

A voir donc, de toute urgence, par tous les lecteurs parisiens de ce blog. Et puis par les autres aussi. Blast est présenté tous les soirs à 20h30 au Théâtre du Chaudron à Paris (relâche le dimanche), et ce jusqu’au 10 novembre. Dont acte ?

Chronique théâtre : L’Entretien

de Philippe Malone.

Première pièce de théâtre commentée ici, et première pièce lue depuis très longtemps. Trois personnages, la chef d’entreprise, une salariée syndicaliste et la fille de cette dernière. La gamine n’a qu’une envie, rentrer dans l’entreprise, se fondre dans la masse de ceux qui travaillent plus pour gagner peu. Sa syndicaliste de mère refuse que, si jeune, sa fille pénètre le monde obscure et étouffant du monde du travail salarié. La chef d’entreprise, les dents longues et l’écume aux lèvres, dirige la machine à broyer d’une main de fer.

La forme de la pièce est très surprenante, les personnages ne sont jamais cités, mais repérables par les différences de typographie. Simple volonté d’innover, ou signification profonde, le processus fonctionne en tous cas très bien. Au-delà de la simple forme du discours surgit la vérité essentielle, l’incroyable difficulté d’exister, de trouver sa place dans l’univers. Le monde du travail est en cela exemplaire. La lutte entre la directrice et la syndicaliste devient, à force d’habitude, leur moyen privilégié de fonctionner, de se définir l’une par rapport à l’autre, et de se définir chacune par rapport au monde. Entre alors dans la ronde la fille. Au chômage, sans travail, elle n’est rien. Dans la société actuelle qui veut qu’on n’existe qu’à travers l’argent gagné, « je travaille donc je suis », elle n’aspire qu’à se fondre dans le moule.

La pièce va donc bien au-delà de la simple caricature du monde de l’entreprise, mais retrace l’évolution de la société des quelques dernières décennies, pour arriver à la jeune génération actuelle, génération perdue, gavée de télé, de consommation et privée de rêves de liberté et de création. Les dialogues sont remarquablement écrits, dans un style moderne et classique tout à la fois (votre mission si vous l’acceptez : retrouver les quelques alexandrins pris dans la masse…). Un bien beau texte, nécessaire et couillu, en nos jours sombres.

Couillu aussi, le gars qui osera monter ça sur une scène.