Chronique film : Journal de France

de Raymond Depardon et Claudine Nougaret.

Autant vous le dire tout de suite, les films de Raymond Depardon sont généralement des chocs pour moi, dont je mets plusieurs mois, voire plusieurs années à m’en remettre. Et encore, pas systématiquement, puisque je ne suis toujours pas remise de La vie moderne, qui est, je crois que tout le monde sera d’accord, le plus beau film du monde. C’est donc avec impatience mais aussi angoisse (vais-je passer toute la séance à chialer comme un veau ?) que je suis allée voir Journal de France.

Mes angoisses se sont envolées, non, le choc émotionnel de Journal de France n’est pas trop violent, et cette balade dans l’oeuvre du maître titille plus la curiosité pour l’ensemble de son oeuvre que la corde sensible. Grâce à des “chutes” de ses films non montés, Claudine Nougaret et Raymond Depardon ont reconstitué la carrière cinématographique de ce dernier (ou ces derniers), depuis ses premiers essais dans Paris, jusqu’au troisième volet de Profils paysans, tout en entrecoupant les archives de quelques plans sur Raymond Depardon photographiant la France. N’ayant pas vu toute sa filmographie, je pense être parfois passée à côté de certains extraits. Mais la plupart de ces inédits sont absolument fabuleux, révoltants (les mercenaires belges au Biafra, le flic qui raconte à ses collègues son pendu du matin…), ou particulièrement touchants (les plans sur Depardon lui-même quand il photographie la France, et qu’il se livre un peu, comme cette mélancolie au soleil couchant).

Il y a toujours une simplicité (ultra-travaillée), une frontalité, une absence d’intellectualisme dans le travail de Depardon, qui permettent d’atteindre quelque chose de très brut, de très pur. Malgré toute la subjectivité et le travail du regard, on ne peut s’empêcher de penser que le cinéaste réussit à toucher du doigt un petit bout de vérité. En tous cas, sa façon de nous montrer les choses entre très clairement en résonance avec ma façon de les recevoir.

J’avoue avoir été moins touchée par la présence (voix-off un peu maladroite, images d’archives privées) de Claudine Nougaret dans le film. Bien sûr, on comprend aisément l’importance pour elle de cet hommage au travail de son homme et à son homme lui-même, ainsi que son besoin de reconnaissance après toutes ces années passées dans l’ombre. Mais cette incursion dans la vie intime du couple, même si elle est belle et fait rêver (le coup de foudre tout ça…) m’a inexplicablement un peu gêné. Tout comme le curieux enrobage de musique qui plombe un peu le film.

Rien, bien entendu, de rédhibitoire. Journal de France est un bel hommage de Raymond Depardon pour Claudine Nougaret, et réciproquement. Un film plein d’amour, qui donne envie (si besoin en était) de replonger dans la filmographie et le travail photographique de ce très grand bonhomme. What else?

Chronique film : la Vie moderne

de Raymond Depardon.


Du coin de l’oeil, clique sur l’image.

Bon allez, pas de mystères superflus : La Vie moderne rentrera de toute évidence dans mon Top10 de l’année, et se placera très probablement dans le trio de tête. C’est ce que j’ai vu de plus beau et émouvant depuis pas mal de temps (vous allez me dire, je ne fais pas très fort sur les films et les bouquins en ce moment). Depardon suit depuis des années des paysans de moyenne montagne, notamment des Cévennes. La vie moderne est le dernier volet de sa trilogie (Profils paysans) consacrée à ces hommes et femmes, aux vies d’un autre temps.

Le film commence par un long plan sur la route qui mène à la première ferme. La voiture roule doucement, quelques notes de Fauré accompagne cette descente vers une petite vallée encaissée. On croise un homme qui conduit son troupeau de brebis, il est vieux, il est cassé, mais il est debout. Puis on arrive à la ferme. Depardon filme et interroge alors les paysans dans la durée, respectant leurs rythmes, leurs silences. Le même schéma se répète tout le film : trajet qui mène à la ferme, mise en situation des personnes, et quelques questions.

Depardon photographie avec amour et un respect infini toutes ces personnes, ils sont tous magnifiques. Les cadres incroyablement composés, sont de toute évidence très mis en scène, mais révèlent la personnalité de ses protagonistes (patriarche sur le devant, le fils et la mère derrière, deux frères légèrement décalés, ou un couple filmé côte à côte). Loin de donner l’impression d’artificialité, ces cadres fixes permettent au temps de s’installer à son aise, aux petits choses de se produire : on sent, au changement de lumière durant une scène, les nuages passer dans le ciel, un pendule vient interrompre quelques rares mots, un bon gros toutou gniaque en une fraction de seconde la main de son maître, une petite mamie aux yeux qui pétillent ne peut pas s’empêcher de dire au caméraman de boire son café avant qu’il refroidisse… Ce processus ne serait rien sans l’émotion incroyable qu’il dégage.

Depardon se place en témoin d’un monde immuable, aux changements très lents, mais qui tend à disparaître, ou au moins achève un cycle. Il filme des gens qui ressemble comme deux gouttes d’eau aux gens de mon enfance dans le Périgord profond : rareté des mots, gestes qui comptent, durs à la tâche, un monde archaïque sous bien des aspects certes, mais au mode de vie respectueux du temps qui passe, de la nature, un monde à l’opposé de la société de consommation qui extirpe à la planète ses richesses sans contrepartie. Alors évidemment, ici pas de militantisme pour qu’on retourne tous à la terre, mais c’est déchirant de voir ceux qui ont la volonté de le faire, les petits jeunes, de ne pas pouvoir.

Film humaniste, écologiste à sa façon, La vie moderne est tout simplement bouleversant. Le dernier plan, qui laisse derrière lui cet « ancien monde » qui s’accroche est une pure merveille qui déchire le coeur. Chapeau bas, Monsieur Depardon.