Chronique livre : Absolument débordée

de Zoé Shepard.

Pour une fois, pas de moi.
Illustration tirée de « Courrier de l’environnement de l’INRA » n°58

C’est avec beaucoup de méfiance que j’ai mis le nez dans ce livre : peur de voir “casser” du fonctionnaire, comme c’est la grande mode en ce moment, et de m’énerver à voir décrédibiliser encore et toujours les “nantis” que nous sommes. Et je suis plutôt soulagée à la fin de la lecture d’Absolument débordée, bien que je craigne que le texte dans des mains mal intentionnées ne soit utilisé à très mauvais escient. Zoé Shepard est rentrée dans la fonction publique par conviction, et malgré sa désastreuse expérience, garde espoir. Elle a raison : les fonctionnaires que je côtoie travaillent, sont investis, malgré toutes les difficultés croissantes rencontrées au quotidien.

Le principal atout de ce livre est qu’il est totalement désopilant. Zoé Shepard dresse une série de portraits fendards de ses collègues de travail, chefs et élus. Au rang des réussites, l’inénarrable Coconne (l’assistante à qui il ne faut surtout pas demander de faire quelques chose), Simplet le chef sans cerveau, Alix greffée à son blackberry, le Bizut… La liste est longue, et permet bien évidemment de projeter ses expériences personnelles sur ces personnages. C’est évidemment la grande force de Zoé Shepard qui a trouvé là un excellent filon, permettre aux travailleurs “administratifs”, aux cercles de travail relativement restreints, de se projeter dans cette description au vitriol de ce milieu professionnel. Parce qu’évidemment, qui n’a pas croisé une Coconne, un Simplet, une intrigante dans sa carrière ? qui, après quelques mois de carrière ne s’est pas rendu compte du taux élevé de pipeautage en réunion ?

On aurait tort de réduire Absolument débordée à une caricature féroce des fonctionnaires. Zoé Shepard est indéniablement très intelligente, et c’est un système dans son ensemble qu’elle remet en cause : soumis aux politiques diversement honnêtes et compétents, managés par des lèche-cul sans qualification. Le livre n’est pas un pamphlet anti-fonction publique, mais plutôt un électro-choc salutaire. La réaction du Conseil régional d’Aquitaine (véritable employeur de l’auteur qui a visiblement été facilement démasquée) montre qu’il y a encore du chemin à faire et qu’il ne fait pas bon pour un fonctionnaire ouvrir sa gueule. Il faut avouer que la demoiselle n’y va pas avec le dos de la cuillère, qu’elle a absolument mauvais esprit (et c’est tant mieux, du moins pour nous, moins pour ses collègues qui se reconnaîtront), qu’elle ne mâche pas ses mots : un con est un désigné comme tel. Pas étonnant que le Conseil régional d’Aquitaine l’ait très mal pris, dommage pour lui qu’il n’ait pas eu l’intelligence de ne pas ébruiter l’affaire et surtout quelle honte que cette réaction complètement disproportionnée.

Pour dépasser le côté polémique de l’ouvrage, il faut reconnaître à Zoé Shepard une plume audacieuse, leste, un art de la métaphore qui tue, un certain talent pour la construction. Son livre, dont les quelques trois cents pages se lisent d’une traite est indéniablement bien fichu. De quoi se dire que grâce à cette malheureuse expérience, elle a sans doute trouvé sa voie.