d’Adalbert Stifter.
Quand on finit le livre d’Adalbert Stifter, on a l’impression d’émerger d’un lointain et doux souvenir. Plus d’une semaine après l’impression est intacte, et si les détails s’échappent, l’atmosphère et les sensations perdurent. Croisé au détour du livre de Mathieu Lindon, Ce qu’aimer veut dire, l’Homme sans postérité ne déçoit pas, mais étonne et interroge, par sa manière neutre de raconter une histoire somme toute assez plate, et qui pourtant imprime durablement dans l’esprit des scènes, des paysages, des couleurs et des sensations.
Car plus que du conte, l’Homme sans postérité tient plutôt lieu d’évocation, de mythologie sans héros, de fantasme d’histoire et de lieu. Victor, un jeune orphelin tout juste sorti de l’adolescence, vit chez sa mère adoptive une existence paisible et choyée, entouré de douceur, d’amitié et de paysages rêvés. Avant de devenir homme et de prendre un travail de bureau que lui a obtenu son tuteur, Victor, sur la demande expresse de son oncle, se voit contraint de le rejoindre à des jours de marche de chez lui. Après un périple joyeux et insouciant, Victor arrive chez son oncle. Le vieil homme, reclus dans un ancien monastère isolé sur une île au milieu d’un lac de montagne, est d’un abord revêche, et plusieurs jours se passent sans que rien n’advienne, Victor s’interrogeant vraiment sur les intentions de son parent. Pourquoi celui-ci l’a t’il fait venir de si loin si c’est pour le laisser seul toute la journée durant, ne faisant que partager leurs repas à heures fixes ? Abandonné à sa solitude, Victor part à la découverte de la petite île, et de ses recoins, passe du temps à nager, et à contempler le paysage grandiose qui l’entoure, à lire les ouvrages poussiéreux de la bibliothèque de son oncle. Peu à peu un rapport de confiance tacite se noue entre les deux hommes et la paroles se libère. On apprend pourquoi le vieil homme vit isoler sur cette île depuis si longtemps, pourquoi il a demandé à Victor de l’y rejoindre. Les histoires de famille sont dites et les secrets révélés. Victor finira cependant par partir de cette île, fondamentalement différent. Il est en train de devenir un homme. Ses plans de carrière sont bouleversés et sa vie changée par cette visite. Cette brève rencontre aura finalement eu quasiment plus d’impact sur sa destinée que toute sa doucereuse enfance dans le giron de sa mère adoptive.
Il y a quelque chose de très attachant dans la façon dont Stifter nous raconte cette histoire initiatique, à la fois fantasmagorique et simplement humaine. Les intentions de l’oncle pour aussi bonnes qu’elles puissent paraître (que son neveu réussisse sa vie), sont finalement ambiguës. Ce qu’il projette pour son neveu, c’est de vivre la vie que lui désirait, mais qu’il n’a pas pu vivre, en lui traçant le destin que lui même aurait aimé avoir. Et c’est de cette dualité que né l’intérêt, raconter une initiation “rêvée” à la vie adulte, dans un décor inventé, relevant presque du mythe (l’île isolée, petite mais labyrinthe de portes fermées, dont il est impossible de sortir), mais peuplée de personnages finalement très humains et ambivalents.
Pour anecdotique qu’il puisse paraître à première vue, L’homme sans postérité recèle une grande force évocatrice, et émotionnelle. Un livre simple et riche.
Qui n’a pas rêver un jour d’être un autre
Un autre.
Gérard : et c’est grave ?