Chronique film : La piel que habito

de Pedro Almodóvar.

Malgré tout l’amour que je porte au prince ibère du grand écran, j’avoue que la plupart de ses films forment, après quelques temps de visionnage, un ensemble magmatique dans lequel, à de rares exceptions près, ils ont tous tendance à se confondre. Je pense que ce ne sera pas le cas avec La piel que habito, car le film clairement ne ressemble à rien de ce qu’il a réalisé auparavant.

Un chirurgien plastique, Roberto, interprété par un carygrantien Antonio Banderas, garde prisonnière, avec la complicité de sa gouvernante, une très belle femme, Véra, étrangement vétue d’une combinaison couleur chair. Qui est Véra, pourquoi est-elle là, pourquoi la garde t’il enfermée ? C’est tout l’enjeu de ce film que de dénouer tous ces mystères.

Thriller fantastique, plutôt lent, peu bavard, et surtout d’une classe absolue qu’on croyait disparue depuis longtemps, le film réjouit de belle manière le regard. Car c’est surtout ça qui séduit dès le départ : une beauté parfaite des plans, baignés d’une lumière toute picturale superbe. On est en permanence plongé à la fois dans l’art contemporain, les tableaux renaissance, et dans les films des années 50. Les noirs et blancs somptueux de Fritz Lang ou Hitchcock par exemple, auxquels on pense souvent, sont remplacés ici par du blanc et toute une palette de couleurs chaudes, du rouge sang à la couleur chair. C’est visuellement sublime, et la perfection des plans, accompagnés de la toujours parfaite musique d’Alberto Iglesias suffiraient largement au bonheur du spectateur.

Mais l’intrigue n’est pas mal non plus, et surtout soutenue par une très belle réflexion sur le corps, les apparences. Le corps, c’est l’élément central du film, comme souvent chez le réalisateur. Mais dans La piel que habito, le corps n’est pas considéré comme un outil de plaisir, mais comme une interface entre l’intérieur et l’extérieur, une interface modelable comme un costume, à la fois armure de protection contre l’extérieur, ou au contraire porte de pénétration des mauvaises choses de l’extérieur. Il y a le corps protection contre l’extérieur (la peau, les vêtements, les déguisements) ou au contraire comme porte d’entrée (le viol) et de sortie (la naissance) du mal, il y a aussi le corps oeuvre d’art (les tableaux, les sculptures, et bien sûr Véra), et le corps comme prison dont il faut réussir à s’évader (Véra et sa pratique du yoga)… Cette monomanie du corps, qui amène d’ailleurs à s’interroger sur sa propre façon d’habiter son corps, transforme le film en un long poème noir et obsessionnel.

Noir car aucune réelle lumière ne perce sous les masques. Il n’est question dans ce film que de souffrance, de domination, de possession par et pour le corps. Mais rien de solaire ici, aucun réel érotisme là-dedans, ou alors glacé, mécanique. On pense souvent à Cronenberg, notamment dans une scène post-opératoire et instrumentale absolument terrible, comme un retour de bâton, le violeur sera violé à son tour. Alors devant cette incroyable démonstration de virtuosité, cette tenue impeccable, on est un tout petit peu déçu par ce final en demi-teinte, un peu simple, et presque un peu gentil. J’avoue que j’aurais aimé que Véra, avec se peau transgénique et ignifugée, foute le feu à toute la boutique. Mais Pedro Almodóvar croit fondamentalement en l’homme et préfère nous le rappeler dans sa dernière scène.

Somptueux, maîtrisé, intrigant, La piel que habito m’a séduit plus que ses inégales Etreintes brisées. Totalement conquise.

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