Chronique film : De rouille et d’os

de Jacques Audiard.

Bon, ça m’arrache un peu de le dire, mais je ne me suis presque pas ennuyée durant les presque deux heures de ce film. J’ai dit presque pas, une montagne de choses me déplaisent toujours dans le cinéma d’Audiard (du moins celui de ses trois derniers films).

A porter au crédit de Jacques Audiard tout d’abord, sa capacité à filmer des gens de modeste condition (Ali agent de sécurité, la soeur caissière, le beau-frère livreur…) ou le handicap de Stéphanie, sans aucun misérabilisme, jugement, avec une espèce de franchise, de frontalité, de simplicité. Ces gens-là existent, on les regarde avec attention mais sans angélisme, sans empathie non plus. La direction d’acteur est en ça impeccable : Cotillard est très bien, surtout quand elle ne parle pas (ceci n’est pas une vacherie), et Matthias Schoenaerts (déjà vu et apprécié dans Bullhead) campe un homme opaque à souhait, masse pleine de beaucoup de testostérone, mais pas de beaucoup de neurones. On lui souhaite d’ailleurs de bien vite changer de registre, le bovin bipède, il maîtrise à fond mais bon.

On peut également souligner la capacité d’Audiard à réussir un véritable tour de force : nous faire avaler cet effroyable mélo de scénario (ah non mais pire, je ne sais pas si c’est possible, même Sirk n’aurait pas osé), sans jamais tirer sur la corde de l’émotion à tout prix. Il filme ça de manière assez classe, en essayant d’insuffler un peu d’air et de douceur par petites touches. On sent qu’il a bien bossé son Malick d’ailleurs, ça joue avec la lumière, le vent dans les cheveux, la douceur d’une joue d’enfant.

Le problème (oui, à un moment donné ça devient quand même douloureux), c’est qu’on ne comprend pas du tout ce que Jacques Audiard veut nous dire avec tout ça. Parce que raconter une histoire bon, c’est gentil, mais encore faut-il qu’elle soit intéressante. Mélodramatique elle l’est mais intéressante pas tant que ça. On croit à un moment que le cinéaste va développer le thème du dominant/dominé qui lui est pourtant cher. Le rôle de Marion Cotillard est en cela vraiment intéressant. Voilà une femme qui aime qu’on lève la queue pour elle, que ce soient les orques ou les hommes, et qui après son accident, ne se remet à vivre que quand ça redevient le cas (très belle scène au parc aquatique d’ailleurs, j’ai même versé ma larme). On se dit que là, Audiard a réussi à mettre le doigt sur quelque chose d’intéressant, cette femme qui ne vit qu’en dressant, en maîtrisant les choses. Et quand elle sort de la voiture lors du combat clandestin, c’est une prise de pouvoir sur Ali, qui ne demande d’ailleurs que ça, et c’est particulièrement bien fait.

Malheureusement, le réalisateur recentre à ce moment-là son histoire sur le personnage d’Ali, et le film n’a du coup, plus grand chose à raconter : problèmes professionnels, familiaux, un père qui a du mal à se responsabiliser… c’est du vu et revu, et ça ne fait pas avancer la bouillabaisse. Le final, absolument catastrophique n’arrange rien (pour le coup, on est sommé de sortir les mouchoirs), avec sa symbolique à deux balles d’Ali, du style “on ne naît pas père, on le devient, et du coup la vie devient vachement belle”.

On peut également reprocher à Jacques Audiard d’avoir réembaucher Alexandre Desplat, qui fût autrefois un très bon compositeur de musique de films (oui oui, j’ai même des CDs). Mais ça c’était autrefois. Le dernier Harry Potter, Un prophète, Tree of life (Malick, tiens tiens), trois autres gros ratages musicaux qui me font amèrement regretter l’Alexandre Desplat d’avant.

Enfin, l’usage et l’abusage du ralenti sur fond de mauvaise musique pourrit complètement le film. Je ne sais pas, c’est une mode en ce moment, quand on n’a pas grand chose à dire, hop un petit ralenti avec de la musique dessus, ni vu ni connu, et on fait passer la pilule, et on fait croire que c’est du cinéma. Non, désolée, avec moi ça ne fonctionne pas. N’est pas Lars Von Trier qui veut, et le ralenti n’est pas systématiquement un geste artistique pertinent ou un geste artistique tout court.

De rouille et d’os, comme Un prophète, est un film qui, à l’image de son héros, a plus de testostérone que de neurones. Quand Jacques Audiard oubliera un peu qu’il a des couilles, et découvrira ce qu’il a vraiment envie de raconter, on assistera sans doute à la naissance d’un grand cinéaste. Aujourd’hui, on regarde le film d’un bon raconteur d’histoire. Pas si mal, mais pas totalement nourrissant.

3 réflexions au sujet de « Chronique film : De rouille et d’os »

    1. Merci Aurore ! AU plaisir de t’y lire. Le contenu n’est pas nouveau, il y a double publication sur Racines et ici. Mais ici, on s’y retrouve un peu mieux !

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