d’Haruki Murakami.
Avons-nous été en mesure de “leur” proposer une narration plus viable ? Disposons-nous d’une narration assez puissante pour repousser les “absurdités” d’Asahara ?
En 1995, le métro de Tokyo a été victime d’une attaque terroriste de grande ampleur. Plusieurs rames de métro ont été la cible de membres de la secte Aum, qui ont éclaté des poches de sarin, un gaz neurotoxique extrêmement puissant en pleine heure de pointe. Un an plus tard, Haruki Murakami s’interroge sur cette affaire et rencontre tout d’abord des victimes de l’attaque, puis des anciens membres de la secte.
La première partie du livre est constituée par le rapport de ces entretiens avec les victimes. Il y a beaucoup de répétitions là-dedans, mais les propos des gens révèlent cependant certaines caractéristiques de la société japonaise, une société tellement “sûre” qu’elle en est vulnérable, car elle n’est absolument pas préparée aux catastrophes et à la gestion de crise. Fukushima en est, plus récemment, un autre exemple frappant.
L’auteur a également interviewé des membres ou d’anciens membres de la secte. Il les interroge sur leurs motivations, pourquoi rentrer dans cette secte, qu’est-ce qui les a poussés à se plier aux règles pourtant très dures de cette institution, se sont-ils doutés que leurs dirigeants étaient en train de mettre sur pied une attaque terroriste ? Toutes les personnes interrogées sont bien entendu différentes, mais leurs témoignages dressent un portrait en creux du Japon. Aucune de ces personnes n’a réussi à trouver sa place dans la société nippone, et surtout les réponses à leurs questions. La secte leur a offert un cadre, les a mis en contact avec des gens qui ressentaient les choses de la même manière qu’eux, la solitude, la soif de réponses, d’explications, et curieusement de logique. A l’inverse, la société japonaise a échoué à leur fournir une “narration” comme l’appelle Murakami qui soit suffisante pour permettre à ces gens de s’en sentir partie prenante.
Je suis franchement très emballée par ce livre d’Haruki Murakami, à la fois très éloigné de ses romans par sa forme documentaire, et pourtant très murakamien dans les thèmes qu’il brasse : le métro comme univers souterrain, menaçant, le monde parallèle qu’est la secte, les ruptures brutales dans la vie, l’avant-après attentat, l’avant-après avoir rejoint la secte…
Un portrait en creux du Japon tout à fait passionnant, qui éclaire admirablement les vertus et faiblesses de la société nippone.
Ed. Belfond
Trad. Dominique Letellier
Une réflexion sur « Chronique livre : Underground »