de Laura Kasischke
Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux.
On a beau se dire qu’un jour Laura Kasischke finira bien par avoir fait le tour de la question avec ses histoires de femmes, d’adolescentes, de troubles en tous genres, mais fort heureusement ce jour n’est pas encore venu et Esprit d’hiver démontre avec force qu’à partir de motifs archi-rebattus (un huis-clos, un monde extérieur en déliquescence, une mère et sa fille adolescente), on peut écrire un livre absolument fascinant, poétique et inattendu.
C’est le matin de Noël dans la maison de la famille d’Eric, Holly et Tatiana. Pendant que le père part chercher ses propres parents à l’aéroport pour le déjeuner de fête en famille, la mère effectue les derniers préparatifs du déjeuner et tente par tous les moyens d’améliorer l’humeur massacrante de Tatiana, leur fille adoptive d’origine russe. Dehors une tempête de neige fait rage, condamnant au huis clos les deux femmes pour toute la journée.
Holly est obsédée par une pensée, qui tourne dans sa tête depuis son réveil. L’humeur massacrante de sa fille, cette neige qui n’arrête pas de tomber, des coups de fil anonymes insistants et les souvenirs de l’adoption qui lui reviennent en mémoire, transforment les pensées de cette tranquille mère de famille en une spirale infernale et révélatrice.
Progressivement l’écriture de Kasischke se fait plus serrée, elle réussit à faire monter la tension de manière magistrale, à dévoiler progressivement ses cartes en étant surprenante à chaque page. On retrouve dans Esprit d’hiver des thèmes chers à l’auteur, l’adolescence, ses troubles et ses révélations, le sentiment de culpabilité qui se projette dans les moindres gestes du quotidien et les moindres pensées, le froid, la neige et l’engourdissement, la volonté de ne pas voir dont ils sont la métaphore (Kasischke l’avait d’ailleurs déjà utilisée dans Un oiseau blanc dans le blizzard).
Mais la dame a un tel talent, qu’elle réussit le tour de force de manipuler l’esprit du lecteur à chaque page. Sa prose est riche, poétique, sensorielle, entêtante, lancinante et fascinante. On pose le livre en état de transe, en hululant de la douleur et de la joie immense de s’être laissée prendre par cette histoire, berner par tant de virtuosité derrière une telle simplicité de dispositif et cette apparente simplicité narrative. La grande grande classe.
Trad. Aurélie Tronchet
Ed. Christian Bourgois