Chronique livre : Purge

de Sofi Oksanen.

Que ce livre est beau. Ce sont les premiers mots qui viennent à l’esprit, après les larmes, à la fin de la lecture de Purge. Longtemps que je n’avais ressenti une telle émotion en posant un livre. Pourtant le sujet vaste, sérieux semble à première vue beaucoup trop casse-gueule pour oser s’y lancer. Vous connaissez mon goût pour l’entremêlement des petites histoires et de la grande Histoire. Purge va beaucoup plus loin dans la multiplicité de ses niveaux de lecture.

Il est bien sûr question de l’Histoire, en l’occurence l’histoire tiraillée entre l’Allemagne et la Russie d’une petite nation balte, l’Estonie. Il est donc question dans Purge de l’histoire d’un pays qui lutte pour atteindre son indépendance, pour trouver son identité. Dans ce pays vivent des gens, et Sofi Oksanen se concentre sur le destin d’une femme, Aliide Truu, et de deux périodes de sa vie : le début de sa vie d’adulte, et sa vieillesse. Deux époques donc, au même endroit géographique, mais dans deux contextes historiques différents, quasiment dans deux pays différents. Dans la vie d’Aliide, simple paysanne, il y a pourtant trois facettes. Aliide, c’est une paysanne un peu gauche, qui se marie avec un bon communiste, organisateur du parti. Mais Aliide, c’est aussi un agent infiltré pour débusquer les nationalistes estoniens, et autres sympathisants de l’Allemagne. Et surtout Aliide, c’est une amoureuse, amoureuse du mari de sa soeur, une amoureuse éconduite et son amour et sa douleur vont guider ses actes (injustifiables, inqualifiables, mais complètement humains) jusqu’à la fin de sa vie. A l’histoire d’Aliide, vient se greffer l’histoire de Zara, une inconnue bizarre qui déboule dans la vie d’Aliide pour réveiller tous les fantômes, et une histoire familiale torturée, terrible, banale et bouleversante.

Evidemment le dessein de Sofi Oksanen pour nous embarquer dans son livre ne se dévoile que petit à petit. Au début on ne sait pas, on ne comprend pas bien. Mais l’univers déployé par l’auteur est tellement riche, sensible, qu’on est immédiatement séduit par cette écriture somme toute un peu sèche, crue, mais qui sait se faire puissamment évocatrice, voire poétique. On est intrigué, happé, on a les tripes retournées d’émotion, de peur, d’indignation, à peu près toutes les deux pages. La construction labyrinthique d’un point de vue temporel est une grande réussite, permettant à Sofi Oksanen de créer un univers cohérent à partir de fragments épars. Les personnages existent de manière fabuleuse, de chair, de sang, d’émotions. Et curieusement, cette humanité franchement pas glorieuse, qui rend ce roman très noir, instille une insidieuse clarté, une lumière diffuse comme le soleil sur un brouillard matinal dans un sous-bois à l’odeur d’humus.

Purge c’est l’histoire de gens qui sont à la recherche de quelque chose, la liberté, l’amour, d’eux-même, comme l’Estonie était à la recherche de l’indépendance, de son identité, Purge c’est l’histoire de gens qui veulent se dégager des poids qui les oppressent pour atteindre l’humanité qu’on leur refuse. Que ce livre est beau.

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