Chronique film : Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures)

d’Apichatpong Weerasethakul.

Feuilles fantômes ou fantômes de feuilles ?
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Il était sans doute un peu audacieux d’aller voir la Palme d’Or 2010 après des nuits blanc cassé. Mais malgré quelques petits moments d’absence, j’ai vaillamment tenu le coup. Oncle Boonmee n’est certainement pas sans qualité.

Son effet myorelaxant est certain. Une espèce d’incroyable paix émane de ce film dont le sujet p

ourrait pourtant faire peur (un homme condamné à brève échéance fait ressurgir les fantômes des êtres aimés et disparus). Là où un réalisateur occidental tournerait un film torturé, lynchien, le metteur en scène thaïlandais Apichatpong Weerasethakul réussit une traversée sereine où l’apparition des fantômes coule de source. Pas d’effroi, pas de peur face à leur apparition et à la mort, mais le passage d’une étape de la vie vers un ailleurs. On s’installe alors confortablement dans cette lenteur, dans cette douce tranquillité mystérieuse sans chercher à analyser, en se laissant porter. Un décrochement se fait alors, une autre histoire (ou pas ?) : celle d’une princesse défigurée, pleurant sur sa beauté disparue devant son reflet dans un lac. C’est sans doute la plus belle scène du film. A la fois drôle (“Es tu un esprit?” demande t’elle à la voix qui sort des eaux du lac “Non, un poisson-chat” répond la voix, prosaïque), belle, audacieuse (curieuse étreinte payée à prix d’or entre la princesse et le poisson). On ne sait pas ce que ça veut dire, mais après tout on s’en fout un peu.

Ce qui fascine c’est l’évidence de la vie qu’il y a là-dedans. Tout est vivant de la moindre branche à tous les poissons du lac. Le regard d’Apichatpong Weerasethakul n’est pas anthropo-centré. C’est une manière d’appréhender le monde “à l’oriental”, bien éloignée de notre culture, et totalement bienvenue. Cependant après un retour à l’histoire initiale, Oncle Boonmee parle de se “souvenir du futur”, commencent alors à défiler des images d’enfants soldats, de tournage, d’adolescents… Et là c’est le drame. On se demande tout à coup si Apichatpong Weerasethakul n’aurait pas un message à faire passer. Mais le cerveau placé en état de veille benoîte et devant tant d’incongruités, il est impossible de partir à la recherche du message du film. Alors la panique gagne, aurait-on loupé quelque chose ? Le final rattrape in extremis ce moment de désarroi. Hélas, le mal est fait, et les interrogations gagnent. Il faut également noter un travaille sur le son (presque plus que sur l’image assez inégale) totalement remarquable. Apichatpong Weerasethakul a bien compris que le cinéma n’est pas qu’un objet visuel, mais également sonore. Les petits bruitages (les bruits de la nature, des insectes, de la forêt, d’une guirlande électrique) permettent l’immersion dans ce monde décalé. C’est d’une grande finesse.

Alors oui, évidemment, Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures) est une Palme d’Or incroyablement audacieuse. Mais malgré la joliesse et la délicatesse du film, on est tout de même en droit de s’interroger sur sa réelle portée. Un beau film, un beau cinéma étrange et original, mais qui m’a laissé un sur ma faim.

Chronique film : Tamara Drewe

de Stephen Frears.


Décoratif, et quoi d’autre ?
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C’est avec la ferme intention de dire du bien du cinéma anglais et de m’amuser que je suis allée voir Tamara Drewe (et aussi pour fuir de chez moi le plus longtemps possible, mais ça c’est une autre histoire). Hélas. Que vais-je pouvoir dire de Tamara Drewe ? pas grand chose j’en ai bien peur.

Le film a levé en moi une immense vague d’indifférence morne. Pas de colère, pas d’ennui. Juste de l’indifférence. Pas vraiment drôle, pas vraiment réalisé, pas vraiment joué, je pense juste que ce film n’a pas d’existence réelle. La seule action d’éclat de Frears est la manière magistrale qu’il a de passer à côté d’un beau sujet. Le personnage de Tamara Drewe est sans conteste intéressant, malheureusement phagocyté par l’ensemble des seconds rôles tous pires les uns que les autres. Frears évite avec une grande minutie de centrer son film sur Tamara, à croire qu’elle lui fait peur. Tamara ou le vilain canard transformé en joli cygne par la chirurgie esthétique, consumé par un feu trop grand pour elle qui rejaillit forcément sur les autres. Tamara ou la blessure originelle, l’immense manque affectif initial, capable de tout détruire sur son passage.

Malheureusement Frears ne fait que très légèrement effleurer son héroïne, et préfère se perdre dans des personnages secondaires pas drôles et caricaturaux (horripilantes adolescentes, écrivain queutard, femme dévouée, rocker ridicule…). Pour sauver Frears, on préfèrera revoir le magnifique The Burning, l’intense My beautiful Laundrette, l’intrigant Mary Reilly ou le très drôle The Snapper.

Tamara Drewe est un non-film, non-inspiré avec de non-acteurs. Plouf.

Chronique film : Inception

de Christopher Nolan.

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A quoi rêve t’elle ? Clique.
La Rêverie (1850) – Jean Louis Nicolas Jaley

Un retour tonitruant dans les salles de cinéma après une période d’abstinence d’un mois. A croire que Carlos m’avait plombé une grande part de mes amours cinéphiliques. Inception est donc un film tonitruant au sens propre du terme puisque le film est quasiment torpillé par la musique assourdissante et binaire du légendairement bourrin Hans Zimmer. Passant outre cet aspect hautement désagréable, Inception, est un long-métrage extrêmement paradoxal, qui tour à tour agace par ses maladresses ou bluffe par sa maîtrise.

Nolan est avant tout un très bon scénariste qui arrive à construire une histoire en poupées gigognes sans jamais (ou presque) perdre le spectateur. On admire la rigueur de la construction narrative, notamment dans la grande scène “finale” assez époustouflante. Quelques passages trop explicatifs, frôlant le ridicule gâchent malheureusement cette assez jolie mécanique : on a par exemple droit à une scène du type “révélation finale”, dont on se doute dès les quelques dix premières minutes, et qui fait furieusement grincer des molaires.

C’est bien dommage, l’univers de Nolan est plutôt intéressant, et le concept du grand barnum pour, en fait, raconter une histoire très intime (le chemin de croix d’un gars rongé par la culpabilité et qui cherche sa rédemption) m’a vraiment séduit. Les mondes oniriques ne sont que prétexte à la recherche de l’amour perdu, thème j’en conviens bateau à mort, mais qui fonctionne très bien ici. Ça fonctionne d’autant mieux que Nolan se révèle un directeur d’acteurs tout à fait correct : imaginez, on oublie presque que Marion Cotillard a commis Piaf. Elle est assez intéressante dans ce rôle, injectant une dose de venin, de dysfonctionnement, de folie à ce personnage projeté, idéalisé par son mari (Leonardo Di Caprio, forcément impeccable, et visiblement abonné aux rôles d’homme hanté par sa femme défunte depuis Shutter Island).

Mes hormones féminines ont également été comblées par la présence classieuse de Joseph Gordon-Levitt, dont le nom ne devrait pas rester méconnu très longtemps.

Inception n’est pas un film immense, mais suffisamment honorable pour ne pas s’y ennuyer et être même parfois ému. Cependant comme dirait un ami “on est quand même très très loin de Minority Report”. Je ne peux qu’acquiescer. Nolan a pour l’instant prouvé qu’il avait du talent, mais pas encore du génie. A suivre.

Chronique film : Carlos, le film

d’Olivier Assayas.

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Tirer à fond, voilà un conseil dont Carlos n’a pas besoin.
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Passant outre toutes mes appréhensions je suis courageusement allée voir ce film fleuve de 2h45, version raccourcie du téléfilm en trois parties de plus de 5h. D’abord j’ai du mal avec les films longs en général, je n’aime rien tant que la concision, je trouve qu’Assayas n’est plus que l’ombre de lui-même depuis Clean, et pour finir le projecteur de mon cinéma dijonnais préféré “avait un problème” selon l’ouvreuse, mais qu’ ”ils n’y pouvaient rien, et que c’est comme ça” (vlan dans les dents, vous payez pas cher, alors fermez votre gueule si l’image est floue). Bref, voyez quand même comme j’étais motivée et pleine d’ouverture d’esprit pour recevoir le “chef d’oeuvre d’Assayas” dixit la presse.

Pas de doute, Carlos est un film sévèrement burné. Le problème c’est que moi, pas tellement. Carlos n’est certainement pas un mauvais film au niveau de la mise en scène. Assayas sait se servir de sa caméra, alternant mouvements fluides et nerveux, cadres audacieux, et c’est souvent très beau (flou hein à cause du problème de projecteur, mais beau). Le problème c’est que, à part ça… pas grand chose. Après une première heure assez tendue, on se demande vite “certes, oui, mais pour quoi faire” ? Honnêtement je n’ai pas compris l’intention d’Assayas : outre dresser le portrait de Carlos (ce qui personnellement ne me fait pas vraiment frétiller), on ne peut pas dire que le film ait grand chose à raconter. On suit donc Carlos, personnage peu sympathique, gros lard plein de bière, et on le regarde passer de militant révolutionnaire à mercenaire bling bling. Bon.

Le principal problème est le premier degré qui semble baigner tout ça. Le film se prend méchamment au sérieux, même quand il sombre dans le ridicule. Quelques scènes ne sont pas piquées des hannetons : Carlos se malaxant les couilles devant le miroir, parce que, putain, ça c’est un mec, ou la féministe allemande qui en deux oeillades taille une pipe à Carlos, parce que, putain, ça c’est un mec. D’un autre côté, c’est sa couille droite qui conduira à la perte du terroriste, comme quoi, si ça se trouve, Assayas a voulu faire un film de boules, mais sans se l’avouer. On assiste également à un spectacle trop “explicite”, entièrement tourné vers l’action : Assayas filme un nombre incroyable de trajets en bagnole, complètement inutiles. On dirait que, pour rendre lisible son film de 5h en 2h45, il l’a réduit à une trame “physique” et “géographique”, facilement compréhensible pour ne pas perdre le spectateur (on parle peu d’enjeux politiques ici, alors que visiblement la série creuse plus ce sujet, sans doute nettement plus intéressant). La direction d’acteur des seconds rôles me semble également souvent très douteuse, clicheteuse, on se croit de temps en temps dans des séries américaines médiocres, visages grimaçants et menaçants et idem pour l’utilisation de la musique, très premier degré (du gros son quand le suspense monte…). Par ailleurs, sans être une grande féministe, j’avoue pourtant que l’image de la femme véhiculée par le film est désastreuse : chaudasses (ahhh les préliminaires à la grenade explosive y’a que ça de vrai) ou hystériques, il n’y en a pas une pour racheter l’autre. Voilà.

Malgré ces défauts, Carlos est un film honnête, qui se laisse regarder sans trop scuter la montre grâce à une belle énergie. Pas sûre pourtant d’avoir l’envie de m’attaquer à la série, même si je la soupçonne d’être plus fouillée que ce résumé de texte à ras le bitume.

Chronique film : Canine

de Yorgos Lanthimos.

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Prêt à combattre cette bête féroce ?
Ouaf ouaf.
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Canine le confirme, la Grèce est bien en crise. Grand film malade, probablement réalisé par un gars qui a quelques petits soucis familiaux (oh mais trois fois rien), Canine m’a fichu un sacré coup sur la tête et une belle migraine (pour la bonne cause).

Une maison isolée du monde, entourée de hautes clôtures de bois. Dans cette maison vit une famille : les parents, deux filles et un fils. Ils n’ont pas de prénom. De cet univers clos, seul le père peut sortir, en encore uniquement en voiture. Seul lien avec l’extérieur, il fournit à la maison toutes les denrées dont elle a besoin, y compris une fille (Kristina) pour combler les pulsions sexuels du garçon. Cet enfermement est visiblement une décision conjointe du père et de la mère, complices de cette ruse pour garder leur progéniture sous leur toit. Et de la ruse ils en déploient des wagons : détournement de vocabulaire, miniatures d’avions qui s’écrasent dans le jardin, création de monstres dangereux vivants à l’extérieur et qu’il faut combattre en aboyant (les chats !)… Mais dans cette mécanique bien huilée, les choses déraillent progressivement : les jeux entre les enfants (déjà adultes) deviennent de plus en plus pervers, Kristina introduit le monde extérieur par le biais de deux cassettes vidéos (Rocky et les dents de la mère, qui donneront lieu à des remakes par la fille aînée hallucinants).

Canine est sans aucun doute un film exigeant, voire austère : plans fixes, pas de musique. Dans cet univers très cadré, rigide où le rire est chose rare (et quand il y en a on se le repasse en vidéo lors d’une soirée familiale), le moyen d’exister des enfants passe par la maîtrise de leur corps, de leur douleur. Les corps justement sont parsemés de cicatrices, de bleus, de bandages. Leur énergie enfermée, canalisée ne peut trouver d’autre exutoire que la sensation corporelle, quelle soit douleur ou plaisir (lêché et progressivement incestueux évidemment). Le film malgré sa rigidité est donc parfaitement incarné, et les corps deviennent les réceptacles ultimes de toutes les pulsions vitales, perverties par l’exclusion.

L’entreprise de Lanthimos est assez fascinante, de toute évidence Canine (Kynodontas en Grèce, “dent de chien”, formidable titre puisque la famille doit imiter les chiens pour faire fuir les méchants chats…) est une allégorie de la famille comme espace confiné, morbide, qui se dirige inéluctablement vers l’implosion. Mais le film réussit à ne jamais tomber dans la métaphore pesante, grâce à l’infinie imagination de ses auteurs. Les situations les plus énormes et risibles sont filmées avec tant de frontalité qu’on reste scotchés à cette spirale infernale. L’interprétation mérite également tous les éloges : les comédiens (surtout les trois “enfants”) sont formidables, entrant dans l’univers de Lanthimos avec un naturel, une naïveté confondants.

Un film fascinant, qui m’a foutu un gros coup d’haltère (ou plutôt trois) sur la caboche.