Chronique film : Tournée

de Mathieu Amalric.

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La première arrivée paie la tournée.
Hips, clique.

 

Tournée, c’est vraiment le film que j’aurais adoré adorer. Ne serait-ce que parce que, si je veux qu’un jour Amalric accepte ma demande en mariage, il aurait mieux valu que je me pâme d’admiration pour son film. Et bien non. A mon grand désespoir je ne suis pas vraiment rentrée dans cette Tournée, certes très sympathique, mais finalement un peu vaine.Joachim, un ex-producteur à succés parisien, éxilé aux Etats-Unis après avoir accumulé les casseroles à Paname, revient en France accompagné d’une bande de girls bêtes de scène adeptes du New Burlesque. Il les emmène d’une ville à l’autre, privilégiant les cités portuaires très loin de Paris. Malheureusement, Joachim est contraint de retourner à Paris pour trouver une salle à ses donzelles. Il y retrouve son passé, sa famille, et ça ne se passe pas bien du tout. Voilà.

Avec en trame de fond le drame familial, Amalric se construit un personnage border line, mais tellement attachant, dont le regard sur ses girls, elles aussi border line et tellement attachantes, vous fait chavirer. Il n’y a pas de réelle “faute” dans Tournée, c’est de la belle ouvrage : une mise en scène effectivement élégante (bien qu’un peu lâche), un regard magnifique sur ses personnages. On a souvent un gentil sourire aux lèvres aux détours de quelques jolies scènes (notamment les scènes chantées par une des nénettes qui fout les poils à la première note prononcée). Mais voilà, tout ça est quand même très gentil. On sent qu’Amalric est à la recherche d’un passif familial intense, comme chez Desplechin, mais ça ne fonctionne pas vraiment. Tournée se veut probablement une mise en image de “la vraie famille est celle de coeur”, et c’est assez peu.

Malgré son beau regard sur ses actrices, le film souffre également du manque de définition de son propos et de ses personnages. Amalric n’est pas encore assez roué aux finesses de la mise en scène pour faire exister ses personnages juste en posant sa caméra. Et c’est pourtant un peu le concept ici, puisque de ces filles, finalement on ne sait rien que ce qu’elles font sur scène. Il y a donc une superficialité insatisfaisante pour vraiment adhérer à la démarche. C’est dommage. Finalement en centrant plutôt son film sur l’aspect familial, Amalric loupe une belle ode à la différence, la marginalité, le droit d’exister et la richesse des gens pas dans les clous. Tournée reste un film agréable, profondément gentil, à la bande-son formidable, mais qui manque un chouille de tripes.

Chronique film : Greenberg

de Noah Baumbach.

Tu te sens aussi complètement à côté de la plaque ?
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Décidément, j’aime beaucoup le cinéma de Noah Baumbach, qui s’éloigne ici nettement des postures déjà démodées de son collègue Wes Anderson. Greenberg est un film très simple, très beau, qui raconte la crise de la quarantaine d’un artiste raté, décidé à faire un break après un séjour en HP et sa rencontre avec une jeune femme pas très glamour et pas très brillante, bonne à tout faire chez le frère fortuné de notre anti-héros.

Noah Baumbach est un scénariste et metteur en scène attentif vis à vis de ses personnages et de ses acteurs. Le film est extrêmement profond psychologiquement, sans jamais être démonstratif. On est dans la petite touche, sans pourtant se prendre au sérieux. Greenberg raconte avant tout l’itinéraire de gens pas vraiment exceptionnels à première vue, des loosers (y compris le chien, atteint d’une maladie auto-immune…). Il se rapproche en ça du magnifique film de Kervern et Delépine, Mammuth, et porte avec lui également une belle charge émotionnelle, même si moins terrassante que celle de Mammuth. Le film est un bel hommage aux gens pas dans les clous, pas forcément performants, aux gens qui flanchent, qui doutent, qui sont maladroits

(quelles jolies scènes que ces scènes d’amour malaisées et tâtonnantes). Parce qu’ils sont finalement beaux et attendrissants ces personnages : Ben Stiller, encore une fois épatant, en quadra blessé fourvoyé dans le passé comme on en connaît tous, et surtout l’incroyable Greta Gerwig, formidable en fille lambda, pleine d’énergie et de bonne volonté, un peu gauche, pas toujours rayonnante, mais touchante à mort (Hurt people hurt people – les gens blessés blessent les gens – comme leitmotiv).

Le film a l’immense qualité de finir alors qu’on aimerait qu’il continue encore, d’avoir une bande son aux petits oignons (y compris du Gainsbourg, Melody, parfaitement casé dans une scène étrange sous stupéfiants). Un très beau moment, qui chatouille le coeur et les tripes.

Chronique film : Copie Conforme

de Abbas Kiarostami.

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Vrai ou faux ? Quelle importance.
L’importance est de cliquer. 

On nous aurait donc menti : Rohmer n’est pas mort, et il revient ici en très petite forme. A moins que Kiarostami n’ait voulu copier conformément le regretté disparu.Trêve de plaisanterie, on se demande un peu ce qui est passé par la tête de Kiarostami à la vision de Copie Conforme, sans doute a t’il voulu se faire payer de charmantes vacances en Toscane. On ne pourrait l’en blâmer sauf que son film de vacances est particulièrement poussif, bavard, attendu et maladroit. Et c’est bien dommage puisque le principe était vraiment intelligent et intrigant, et aurait pu donner lieu à une très belle réflexion sur le vrai, le faux, le faux est-il forcément moins bien que le vrai, dans l’art mais également dans la vie, jouer des sentiments n’est-il finalement pas plus réel que de les vivre, et par voie de conséquence, l’Art n’est-il pas plus beau, plus signifiant que la vie elle-même ?  Mais force est de constater que ça ne fonctionne pas.

Le film débute par la remise d’un prix littéraire en Toscane à un essayiste anglais. Une antiquaire, malmenée par son essai sur le pouvoir de la copie prend contact avec lui. Lorsqu’ils se rencontrent, leurs vues divergent inéluctablement, et au cours de leurs réflexions, ils se prennent au jeu du psychodrame, faisant semblant d’être un couple marié depuis 15 ans et réglant ses comptes lors d’un retrour sur les lieux de leur voyage de noces. Loin de manipuler cette situation border-line en injectant du trouble et des interrogations au spectateur (seraient-ils finalement un couple? mais pourtant? ça a l’air si vrai, mais non?), Kiarostami fait preuve d’un tel manque de finesse dans la psychologie de ses personnages, plongeant la tête baissée dans un tel catalogue de clichés qu’on en reste coi. Même lorsqu’ils ne jouent pas la comédie, Monsieur est un inévitable idéaliste, irresponsable et égoïste, Madame forcément horripilante de pragmatisme, et d’ancrage dans la vrai vie au détriment de la légèreté de vivre. Lorsqu’ils se plongent dans le psychodrame c’est encore pire, on prévoit les répliques et les situations dans l’ordre avec 10 minutes d’avance. Quelle lourdeur symbolique traine dans tout le film ! Regards du vrai-faux couple qui se déchire sur un couple de petits vieux attendrissants, sur des jeunes mariés, libération symbolique de Madame qui ôte son soutien-gorge, rouge à lèvres, et talons pour aussitôt replonger dans le romantisme passéiste, vite brisé par la dureté de Monsieur qui annonce son départ, sans s’encombrer d’un minimum de compréhension et de psychologie. Bref des caricatures d’homme et de femme dans ce qu’ils ont de pire.

Binoche n’a jamais été aussi agaçante, minaudante, fausse, son partenaire glacial, ils ne parviennent pas à rendre attachants ces personnages qui cherchent et qui se cherchent. Les seconds rôles sont affligeants en caricatures d’acteurs rohmériens (dialogues ânonnés qui sonnent faux). Je veux bien que tout ceci soit entièrement fait exprès, maîtrisé, que tout cela participe à la réflexion de Kiarostami sur le pouvoir du faux. Mais le côté manichéen, peu subtil des personnages détruit la finesse du dispositif intellectuel et de la mise en scène, très élégante, mais dont certaines tentatives laissent franchement perplexes (ohhh le beau changement de balance des blancs ?!??). On reste à côté, rêvant de ce que tout cela aurait pu être : profond, dérangeant, faisant vaciller la frontière entre l’intérêt du vrai et du faux, notre façon d’appréhender le monde, l’Art, nos rapports avec autrui. Il ne subsiste que l’agacement d’avoir vu évoluer des personnages clicheteux, massacrant une belle idée, et qui font fuir de la salle pour rejoindre la vraie vie qui n’a pourtant pas grand chose pour elle. La puissance du faux n’a pas agi ici.

Chronique film : L’enfance du mal

de Olivier Coussemacq.

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Tu la sens la connerie qui arrive ? Clique.

Pas grand chose de tentant dans les salles ce we, alors c’est parti pour ma bête noire : un premier film franco-français bien classique. Et bien au risque de passer pour terriblement bisounours en ce moment, L’Enfance du mal est plutôt une bonne surprise et étonne par l’extrême finesse de son scénario. Céline est une jeune fille opaque. Squattant dans la cave de la maison d’un juge et de son épouse, elle est vite repérée par le juge. Après quelques errements il la recueille chez lui, sous l’oeil dubitatif de sa femme. Elle leur ment, on le sait : sa mère n’est pas morte, elle est en prison, elle n’a pas 16 ans, elle en a tout juste 15, et elle gagne de l’argent en piégeant des hommes trop attirés par les jeunettes. Le juge et sa femme font entrer le loup dans la bergerie, totalement conscients de faire une connerie, mais incapables d’agir avec fermeté.

La façon dont Coussemacq réussit à construire le passé et les liens entre ses personnages est totalement subtile. L’ « adoption » de cette gamine dans ce couple sans enfant est parfaitement ambiguë : si pour Madame, restauratrice de poupées anciennes (qui ressemblent à des enfants morts dit Céline), l’adolescente se substitue à l’enfant qu’elle n’a pas eu, pour Monsieur, la situation est beaucoup plus complexe. Il succombe physiquement à la jeune fille qui vient juste de lui raconter comment elle a été abusée enfant, et mine de rien les dents grincent. Le réalisateur parvient à raconter des choses glauques d’une manière élégante, qui au final, glace le sang : pédophilie, manipulation, décalage des repères sociaux et moraux. Sous son aspect très classique et polissé, le film affronte des sujets difficiles, casse-gueule, audacieux. Et ça fonctionne plutôt bien, notamment grâce aux interprètes, Anaïs Demoustier en tête, yeux insondables, visage impassible et corps du diable. Elle construit son personnage avec élégance et subtilité.

Malheureusement le film n’est pas sans défaut. Le final du scénario est trop explicatif : rester dans l’interrogation concernant les motivations de Céline aurait été beaucoup plus efficace. La mise en scène, bien que parfois assez inspirée (les archives qui se referment sur le juge, les jeux premier/second plans), reste trop académique : jolis cadres, jolies réflexions pour chaque plans, très belle photo, mais ça manque un peu de sel, de folie. Coussemacq semble attiré par le film de genre mais n’ose pas franchement s’y engagé. Un premier film qui intéresse cependant par son côté dérangeant et un réalisateur à suivre sans aucun doute.

Chronique film : Mammuth

de Gustave Kervern et Benoît Delépine.

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Prouve que t’es un homme : clique.

Bienheureuse surprise que ce Mammuth dont je n’attendais absolument rien : pas du tout convaincue par le précédent film du duo grolandais malgré la présence de Yolande Moreau (Louise-Michel), pas fanatique du Depardieu vieillissant (médiocre Bellamy chabrolien), donc pas bavante d’impatience face à Mammuth. Mais Kervern et Delépine affine leur univers dans ce film, mêlant avec beaucoup de talent social et poésie, cinéma populaire et pointu, documentaire et art brut.

Depardieu joue Serge Pilardosse, ouvrier dans un abattoir à cochons et candidat à la retraite. Le personnage est physiquement une réussite : lourd, pesant, proche de l’homme des cavernes, il porte bien son surnom (Mammuth, le nom de son antique moto). On est un peu en terrain connu au début du film, présentant Serge dans son milieu professionnel, puis chez lui, dans la veine sociale de Louise-Michel et de Groland. Il manque à Serge des justificatifs pour pouvoir prendre sa retraite, il part donc à la recherche de ses papelards. On se dit qu’on va assister à la quête d’un homme sim

ple pour pouvoir assurer sa survie. Mais le film va bien au-delà de cet aspect social, transformant la quête de Mammuth en un véritable retour dans son passé, sa moto faisant office de machine à voyager dans le temps.

Et le film se met à naviguer entre naturalisme, poésie et surréalisme. La mise en scène de Kervern et Delépine se fait beaucoup plus audacieuse, attentive à ses personnages. L’amour perdu de Mammuth s’incruste de temps en temps à ses côtés. Et ce personnage, traité de con par la plupart, et adoré par certains (son amour perdu, sa nièce -incroyable Miss Ming-), devient d’un coup extrêmement émouvant, riche d’un passé insoupçonné derrière son apparence de brute, riche de sentiments qu’il est incapable d’exprimer parce que figé émotionnellement dans un passé lointain mais pas digéré (la mort de son amour perdu dans un accident de la route).

Le film dégage une espèce de romantisme noir désespéré assez terrassant, peuplé de personnages à la solitude immense (en voix-off on comprend que c’est en achetant un couteau pour mettre fin à ses jours qu’il rencontre sa femme). Il y a une sorte d’évidence sous la caméra de Kervern et Delépine à faire cohabiter les genres, les gens, les cultures qui parvient à rendre les frontières transparentes, et c’est très bien. On regrettera sans doute un dernier quart de film un peu relâché au niveau du rythme (du coup sans doute un chouïa trop contemplatif), mais l’ensemble est beau et émouvant, donnant une place magnifique aux gens qui sont hors des marges.

Un beau moment, vraiment.