Chronique livre : L’effacement du monde

d’Eric Pessan.

Parfois les libraires font bien leur travail et choisissent comme « livre du mois » une vieillerie de quinze ans (douze pour l’édition poche en ma possession, exhumée probablement des caves de l’éditeur vu l’odeur). Soit le premier roman d’Eric Pessan, L’effacement du monde, ou comment transformer toutes les relations ambiguës que l’on tisse avec la langue et les mots en une matière romanesque profonde, drôle, angoissante et sensible.

Notre personnage, père de famille et homme au foyer perd progressivement la capacité à comprendre ce que lui disent les gens, à parler, mais également à lire. Tout se brouille, se fond, s’estompe. Son monde se dissous. Au lieu de se dire qu’il a quelque chose qui cloche, il se dit que c’est le monde qui a quelque chose qui cloche. Il camoufle son état le plus longtemps possible.

Eric Pessan réussit à injecter dans son histoire, ou plutôt à élaborer son histoire autour des questions sur la langue. Comment cette chose immatérielle qu’est la langue se révèle être finalement le socle du monde matériel ? Comment sa disparition provoque t’elle la dissolution du monde ? N’y a t’il donc rien d’autre que les mots pour communiquer et créer des liens avec les autres ? Et c’est bien la grande réussite de ce livre, la prise en charge de questions fondamentales autour de la langue mais fondamentalement rêches, en un roman, subtil, intelligent, plein de suspens, à la langue parfaitement maîtrisée. Merci donc aux libraires qui font bien leur métier et font vivre les livres sur la durée.

Ed. La Différence.

Chronique livre : La horde du contrevent

d’Alain Damasio

lahordeducontreventAujourd’hui quand on me conseille ou qu’on me prête un roman de Fantasy, j’ai plutôt tendance à tordre le nez. La horde du contrevent vient me donner tort, et c’est d’autant plus une bonne surprise que c’est un livre de langue française, et qui justement l’utilise formidablement bien cette langue française.

Imaginez une large bande de terre, balayée par des vents irréguliers et dévastateurs, et dont l’ « Extrême amont », l’origine potentielle du vent, n’a pas encore été découvert. Continuer la lecture de Chronique livre : La horde du contrevent

Chronique livre : Le potentiel érotique de ma femme

de David Foenkinos.

Jolie petite chose assez anodine que ce court roman de David Foenkinos. Après une dépression carabinée, Hector, un collectionneur maniaque de tout et n’importe quoi, tombe amoureux. Lui pour qui la vie avait été une succession de soupes du dimanche chez papa-maman, de timbres postes, de pièces de monnaie et autres badges se trouve guéri de sa collectionnite aiguë par l’amour d’une femme. Tout va bien jusqu’au jour où sa femme, juchée sur un escabeau, lave les vitres du salon. Et là, c’est le drame, il replonge, et commence à collectionner les moments durant lesquels sa femme nettoie les carreaux. Ce qui évidemment amènera un certains nombres de quiproquos et de malentendus.

Le ton du roman est assez taquin et léger, plutôt drôle. Les phrases sont courtes pour amener du rythme, ce qui fonctionne assez bien. On peut cependant trouver ça un peu sec et systématique. Pas grand chose à en dire donc, mais un plaisir certain à lire cet ode à l’érotisme et la suggestion, à ces petits moments de rien qui nous font chavirer le coeur et les muqueuses. Mignon, et bienvenue après l’âpre Zone. 

Chronique livre : Pastorale transsibérienne

d’Oleg Ermakov.

C’est vraiment mieux en grand. Clique.

Intrigant livre que celui-ci, mêlant récit d’aventures et d’initiation. Un tout jeune homme russe fuit son service militaire. Dans l’immensité de la Sibérie, il devient garde forestier, fugitif, et kayakiste. Ce voyage est surtout l’occasion de parcourir les grandes étendues sibériennes et de porter sur cette nature sauvage un regard passionné.

On sent quelque chose de beau et profond dans l’écriture d’Oleg Ermanov. Elle est parfois très ample, lyrique. Il travaille beaucoup sur les atmosphères essayant de créer un monde très personnel, poétique. Les phrases sont courtes, rythmées, et plongent le lecteur dans un cadence soutenue. Un peu trop soutenue même. La pensée de l’auteur va souvent plus vite que la capacité d’absorption du lecteur. Le monde d’Ermanov est touffu et complexe, même si parfois lumineux, notamment dans ses descriptions de la nature. On se perd parfois entre ces multiples personnages dans la première partie du livre, et par la suite, on a du mal à comprendre l’enchaînement des situations. Difficile dans ces conditions là de bien suivre le fil, et le roman apparaît alors plus comme une succession de tableaux un peu décousus qui ont du mal à accrocher le lecteur.

L’intérêt a du mal à être soutenu, malgré quelques très jolies fulgurances stylistiques, et de parfois très magnifiques descriptions de la nature sauvage de la Sibérie. Un roman intéressant donc, mais dont les problèmes de clarté brouillent l’entière appréciation. Dommage.

Chronique livre : La lionne blanche

d’Henning Mankell.


OUARRRRRRRR. Clique si t’as peur de rien.

Bon ok, dans le polar bien ficelé, il n’y a pas que Connelly. Bien obligée de constater que la Lionne Blanche est un excellent polar, et un excellent bouquin tout court.

En Suède, visiblement, il ne se passe pas grand chose. Quand une honorable mère de famille disparaît, dans une petite ville du Sud de la Suède, Wallander sent bien qu’il n’y a rien de normal là-dessous et son flair ne le trompe pas. Mais avant de la retrouver morte dans un puits, il découvre un bout de doigt enterré dans une propriété abandonnée. Le doigt est noir, ce qui apparemment est assez exotique en Scandinavie.

Mankell a un sens de la construction tout à fait remarquable, mêlant un récit sud-africain et plusieurs récits suédois très intelligemment. On fait des aller-retours géographiques et temporels permanents, et c’est brillant, le livre devient ample enmêlant ainsi petite et grande histoires. La partie sud-africaine est vraiment passionnante parce qu’on apprend finalement beaucoup sur le pays l’air de rien. Mankell traite également très bien ses personnages, ils ont une vraie consistance, pas seulement les personnages de premier plan (Wallander flic banal, qui pète les plombs dans cette enquête trop grande pour lui, l’énigmatique tueur Sud-africain qui bouleverse le fonctionnement de pensée occidental, l’immonde formateur Russe), mais également les personnages plus secondaires et que j’imagine récurrents (son père qui peint toujours la même chose, ou sa fille visiblement assez marginale).

Le tout a une vraie profondeur derrière l’aspect polar, une certaine sincérité, une écriture par moment assez léchée, en tout cas assez au dessus du tout venant du roman noir. Bref, une belle entrée en matière qui donne envie de lire la série des Wallander. Et dans l’ordre de préférence.