Chronique livre : Infrarouge

de Nancy Huston.

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She thinks she’s God’s gift to mankind.
And she’s not the only one.
Just click. 

Enfer et damnation, qu’est-il advenu de la merveilleuse plume hustonnienne ? Quelle mouche a piqué la talentueuse Nancy d’abandonner ses formes chorales pour ce monologue nombriliste et maladroit ? Je reste clairement agacée par ce livre dont la découverte dans le rayon nouveautés de ma librairie préférée m’avait pourtant plongé dans l’extase. Adoptant cette fois-ci un point de vue unique, une pensée unique, celle de Rena Greenblatt, artiste et reporter photographe, Nancy Huston perd tout ce que j’aime chez elle : cette magnifique attention à autrui, cette faculté d’appréhender l’humanité de chacun.

Rena, 45 ans, décide de partager (de sacrifier plutôt) une semaine de vacances en Toscane avec son père vieillissant, et sa belle-mère nunuche. Durant cette pénible escapade, Rena (aidée de son amie imaginaire Subra…) fuit le réel trop pesant en se remémorant son passé, ses différents maris, ses multiples amants, ses reportages photos. Pendant ce temps, à Paris, les émeutes des banlieues grondent, son ami Aziz, excédé par son absence la quitte, et son patron la vire puisqu’elle n’est pas là pour suivre les événements parisiens. Le tout est noyé par une volonté forcenée de la part de Huston d’affirmer le sérieux de son livre en le bourrant de références culturelles : sur les lieux qu’ils visitent (merci le guide bleu !), sur la photographie (Subra est le verlan de Arbus entre autres choses), sur les artistes underground (oh comme je suis une écrivaine branchée et torturée). Bref Huston est en train de choper une vilaine manie franco-française, celle de l’auteur qui étale sa culture et c’est juste inintéressant.

La construction pose également problème : à chaque enchaînement on tremble, et on tord le bec, Nancy Huston ne sait visiblement pas trop comment passer du présent aux divagations dans le passé de son héroïne, et ça ne fonctionne jamais vraiment. Ne fonctionne pas non plus son héroïne, Rena, avec laquelle on est pourtant condamné à passer plus de 300 pages. Nancy Huston a du lire « Psycho pour les nuls » et « Femmes middle-aged mode d’emploi » pour composer son personnage : Rena est dure, sans tendresse pour ses parents, mais amoureuse des hommes et folle de cul (oui, il y a beaucoup de sexe dans le livre, même pas bandant), mais on apprend que son enfance n’a pas été jolie jolie, la chtiote a beaucoup souffert, ralala quels ravages. Alors elle se noie dans le sexe, se planque derrière son appareil photo, se venge sur ses parents. Constamment dans la rage, Rena, malgré toutes ses blessures sanglantes qu’on nous expose avec délectation, ne parvient jamais à être attendrissante et devient le symbole d’un féminisme que j’exècre, autocentré, haineux (tel qu’on pouvait également le croiser dans La douceur du Corset, ça doit être mode). Le concept d’adulte incapable de se défaire de ses comportements et de ses velléités d’ado, de vivre dans le présent, de se regarder autre chose que le nombril commence à me gaver dans la vie, et donc aucune envie de retrouver ça dans les livres, même si Freud doit se taper sur le ventre de contentement. Ce qui fait vraiment l’humain (ou ce qui a mes yeux le définit, empathie, générosité, fragilité…) est donc absent du livre, et c’est un comble de la part d’une des plus grandes auteurs contemporaine de l’humain.

On retrouve de ci de là quand même la vraie patte de Huston dans quelques phrases ravageuses (« Rena regarde les clients qui vont et viennent dans le restaurant en se disant que chacun d’eux renferment une Thèbes, une Troie, une Jérusalem… Comment font-ils pour continuer à mettre un pied devant l’autre, à sourire, à faire leurs courses, à ne pas mourir de douleur ?« ), mais tout ça est complètement noyé dans ce flot de négativité oppressant, de nombrilisme malsain, de manque de générosité chronique. Un coup d’épée dans l’eau, et une néfaste production de radicaux libres pour moi. Brrrrrr.

Chronique livre : Mes prix littéraires

de Thomas Bernhard.

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Si toi aussi tu accroches tes prix aux murs, clique.
Sinon, clique quand même. 

Joyeuse petite entracte entre les deux tomes de Guerre et Paix. Enfin si tant est qu’un texte de Bernhard puisse être joyeux. Disons qu’il est méchamment distrayant, méchamment dans le sens premier du terme. Ecrit probablement 8 ou 9 ans avant sa mort en 1989, Mes Prix littéraires racontent en quelques épisodes des anecdotes relatives à certaines des récompenses reçues par Bernhard, regroupées essentiellement dans son début de carrière.

Volontairement provocateur, agaçant, parfois de mauvaise foi, parfois d’une lucidité percutante, l’écrivain s’ingénie à surtout ne trouver aucun mérite à ces prix, à l’exception de l’argent qu’il en tire, et dont il a le plus grand besoin. Se moquant quasiment de tout et de tous, y compris de lui même, Bernhard déploie toute l’étendue de sa provocation et de son désespoir face à la vie. Car dans les discours qu’il prononce lors de la remise des prix, discours écrits à la va vite si on peut croire ce qu’il nous dit, on distingue, au delà de la provocation forcenée (« Nous sommes autrichiens, nous sommes apathiques; nous sommes la vie en tant que désintérêt généralisé pour la vie, nous sommes, dans le processus de la nature, la mégalomanie pour toute perspective d’avenir. » dit-il lors de la remise du prix d’Etat autrichien…), une blessure colossale, la blessure d’un homme qui a vu et v

écu trop de choses pour pouvoir rester neutre face à l’absurdité, l’hypocrisie et à la cruauté du monde, et qui est incapable de faire semblant. Le livre prend une tournure assez personnelle et émouvante, contrastant avec les propos et l’attitude de Bernhard. Le livre fait également une belle introduction au style de Bernhard, obsessionnel, circulaire, incisif, sans pour autant être aussi sombre et exigeant que dans Béton par exemple.

Sans doute pas les plus grands textes de Bernhard, mais une sortie posthume pas putassière et pas inutile, une belle brique de plus dans l’oeuvre d’un des plus grands auteurs de littérature germanique.

Chronique livre : L’Horizon

de Patrick Modiano.

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Souvenir d’horizon. Clique.

Les romans de Patrick Modiano ont une constante : on en garde toujours un souvenir de lumineuse brume. Les histoires s’échappent aussi vite qu’elles sont lues et ne reste que la mélodie d’une langue douce, ciselée, parfaite. L’Horizon ne déroge pas à cette règle, d’autant plus qu’il traite d’un sujet pour le moins subjectif, le souvenir. Un écrivain d’âge mûr se remémore un épisode de sa jeunesse, épisode ravivé par le nom d’un personnage de son passé, pourtant à peine croisé. Il se souvient que jeune homme, vendeur dans une librairie pour survivre, il a rencontré une jeune femme, Marguerite Le Coz. Vivant constamment dans la peur, Marguerite est poursuivie par un homme peu amène.

Souvenirs croisés des deux protagonistes, sauts temporels, le plume de Modiano se plaît à surtout à ne pas rester dans la droite ligne de son récit, pour s’approcher de l’évocation. Evitant de toute force de plonger dans le passéisme malgré son sujet, le narrateur semble évoquer les ombres de sa vie afin d’éclairer son présent, de dénouer les mystères (mais pas trop vite surtout) pour mieux savourer le moment. C’est beau et lumineux, parce que justement placé sous l’ombre d’une menace passée, que les années ont rendu diffuse. Une dentelle parfaite. Ou plutôt une toile d’araignée, constellée de gouttes de rosée, brillantes dans le soleil du matin.

Chronique livre : Choir

d’Eric Chevillard.

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Des comme ça, tu n’en auras pas à Choir. Clique.

Assez hallucinant cette plongée dans Choir. On tombe dans une espèce de tourbillon qui bouscule, malmène, fait perdre pied dès les premiers paragraphes. L’île de Choir échappe à toute définition et description, et pourtant, le livre passe son temps à tenter de circonscrire les contours de Choir. Et expliquer Choir n’est pas une mince affaire, car Choir au final ne s’explique pas. La critique de Choir est par conséquent d’autant plus compliquée que définir le contenu du livre Choir est finalement aussi compliqué que de définir Choir. Vous suivez ?

Composé de courts paragraphes décrivant le mode de vie de Choir, entrecoupés du chant d’un ancêtre, Yoakam, qui narre l’histoire d’Ilinuk, aventurier mythique de Choir, objet de l’adoration de chaque habitant de l’île et leur unique raison de survivre. Car Choir n’est pas un lieu propice à l’éclate, c’est une île infernale dont le sol est en même temps trop dur ou trop mou, le sol trop fertile ou complètement stérile, brûlé par le guano, infesté par les punaises. Les enfants sont là pour travailler, quand ils ne sont tués à la naissance. D’ailleurs, on apprend la sodomie à l’école, méthode beaucoup plus sûre en ce qui concerne le contrôle des naissances que les méthodes plus traditionnelles. Ceci dit, le travail évite aux enfants l’ennui de Choir, car à Choir, visiblement il n’y a rien à faire. Ou alors trop à faire. On ne sait jamais vraiment.

Tout comme dans Palafox, dans lequel Chevillard décrivait un animal indescriptible, l’auteur récidive, mais cette fois par la description d’une île toute entière. C’est d’une drôlerie noire totalement ravageuse, car Choir, dans son immonde fonctionnement, ressemble tout de même beaucoup au monde réel, agissant comme un véritable révélateur des bassesses humaines, des médiocrités. Les habitants de Choir sont incapables de bâtir quelque chose (il est vrai que visiblement le milieu naturel ne les aide pas vraiment), et ce qui les maintient à flot est leur croyance aveugle en Ilinuk, qu’ils pensent être leur sauveur, le seul à avoir réussi à échapper à l’île. Tous leurs efforts sont tournés vers ce sauvetage hypothétique : fabrication d’une piste d’atterrissage, système d’alerte au moment du retour du messie.

Finir un tel livre était sans doute la chose la plus difficile pour Chevillard puisqu’il fonctionne sur la description routinière du quotidien. Et c’est avec subtilité que l’auteur distille progressivement des grains de sables dans les rouages pour conclure par un final absolument incroyable. Je ne vous cache pas qu’il faut avoir le coeur bien accroché, et que le désespoir peut saisir aussitôt le lecteur un tant soit peu sensible. Mais c’est également outrageusement tordant. Un très grand livre d’un très grand auteur.

Chronique livre : La centrale

d’Elisabeth Filhol. 

Un avant goût cendreux ? Clique.

Pôpôpô, il serait peut-être temps que je lise un bouquin un peu fun. La centrale n’est pas le livre le plus rigolo de la terre étant donné qu’il narre le quotidien des ouvriers travaillant dans les centrales nucléaires françaises. Elisabeth Filhol a certes une très belle plume. Le livre est particulièrement bien écrit. On plonge dans les horreurs nucléaires, sans concession, sans sentimentalisme, avec une froide objectivité, malgré le choix du point de vue : celui d’un ouvrier intérimaire bossant dans les centrales lors des « arrêts de tranche ». Lorsque le livre aborde le quotidien, la technique, l’histoire (petit retour sur tchernobyl), la peur de la dose, il est passionnant. On lit ça en se bouffant les ongles, en se demandant bien comment l’Homme peut-être assez prétentieux pour croire maîtriser une telle puissance, une telle force, un tel danger, comment on peut laisser des hommes et des femmes se prendre des radiations dans la gueule sans mauvaise conscience.

Mais le gros problème du livre, c’est sa construction. N’ayant pu le lire d’une traite, j’ai vraiment eu du mal à suivre le fil. Entre l’histoire du narrateur, la grande Histoire, les explications techniques, les différentes époques, on se perd. Les digressions de l’auteur, bien que joliment écrites, n’ajoutent rien au livre, le diluent, au lieu de le resserrer sur l’essentiel. Sans doute a t’elle voulu rendre la narration plus « humaine » en choisissant ce point de vue, mais je pense que le bouquin aurait gagné à être le plus sec possible, le plus factuel. Pas besoin d’en rajouter, les faits parlent d’eux-même.

Un très bon livre cependant, à lire forcément.