Chronique livre : L’épouvantail (The scarecrow)

de Michael Connelly.

Avant-dernier roman de Michael Connelly, L’épouvantail confirme le retrour du maître dans la cour des grands. Moins trépidant cependant que 9 Dragons (le roman qui a suivi L’épouvantail), ce roman démontre néanmoins un sursaut dans l’écriture et l’art de l’intrigue Connellienne.

On retrouve le journaliste Jack McEvoy et l’agent du FBI Rachel Walling traquant un tueur en série insaisissable se planquant des les arcanes des mondes virtuels. Là où Connelly la joue finement, c’est qu’on connaît dès le tout premier chapitre qui est le tueur, ce qu’il fait dans la vie. L’auteur préfère donc user du suspense cher à Hitchcock plutôt que de la banal surprise. Ici, il va donc être question de voir comment nos héros se dépatouillent pour débusquer ce tueur surdoué. Et c’est peu dire qu’ils ont du mal, et l’épouvantail joue avec eux de belle manière. Nos deux enquêteurs se trouvent un peu perdus, dépassés par les méthodes du tueur, et par les embûches semées par leurs hiérarchies.

Connelly commençait dans L’épouvantail à esquisser ce qu’on ressentait dans 9 Dragons, l’usure de ses héros, les manipulations qu’ils subissent de toutes parts. Ils ne sont plus des leaders intouchables, mais des pions dans une intrigue qu’ils ont bien du mal à débrouiller. L’épouvantail va moins loin que 9 Dragons dans ce constat, mais on commence tout de même à voir l’évolution de la pensée de Connelly, et c’est très intéressant. Il n’en reste pas moins que le roman vise avant tout l’efficacité, et qu’il est très efficace.

Se refusant comme à son habitude à se perdre dans les labyrinthes psychologiques de ses personnages, L’épouvantail se concentre sur l’essentiel, et c’est ce qu’il fallait. Un polar classique certes, qui ne révolutionnera pas le monde du polar, mais efficace juste comme il faut. Un bon cru.

Chronique livre : Le Règlement

d’Heather Lewis.

Mes espoirs peuvent me rendre encore plus aveugle à ce qui évident que mes doutes. J’ai décidé que ça fait de moi une optimiste.
Heather Lewis

C’est la première fois que

je commence une critique avant d’avoir achevé un livre. Mais Le Règlement est un livre particulier. C’est un livre dans lequel on ne se sent pas bien, et qu’on lit le coeur au bord des lèvres, dont j’ai honteusement envie de me débarrasser le plus vite possible, avant qu’il m’engloutisse toute entière dans ses océans de noirceur.

Dans Le Règlement, la narratrice, Lee, nous raconte quelques mois de l’année de ses quinze ans. “On pourrait dire que tout à commencer quand ils m’ont virée de l’école” nous dit-elle d’emblée. Mais on pourrait dire aussi que tout à débuter beaucoup plus tôt, quand son père a commencé à abuser d’elle alors qu’elle n’était qu’une toute petite enfant. Lee, brillante cavalière, a donc quinze ans au début du roman, et nous raconte avec ses mots, dans un style heurté, ingrat, difficile, comment, après avoir été virée du lycée, elle a réintégré son ancienne équipe d’équitation “old school” pour la saison des concours hippiques. Mais la raison principale pour laquelle elle a rejoint les concours, c’est Tory, une autre cavalière émérite dont elle est amoureuse, et qui appartient à une autre équipe au parfum de soufre. Lee se laisse tenter par une proposition de Carl et Linda, les propriétaires de l’équipe de Tory. Elle intègre cette équipe et découvre peu à peu, sans toujours bien comprendre les enjeux qui se cachent derrière les actes des protagonistes, un monde totalement différent de celui dans lequel elle a vécu jusque là. Sexe, drogue, mais pas vraiment rock’n’roll, l’univers dans lequel Lee plonge tête baissée ressemble à une chute aux enfers à vitesse grand V. La recherche de sensations fortes et/ou anesthésiantes par le sexe (violent, cracra, frustrant, moche), par les courses de chevaux, puis par la drogue, conduisent Lee et Tory toujours plus loin dans la dépendance et la sujétion à Carl et Linda.

Pour la première fois j’ai compris qu’ils pouvaient me faire des choses dont je ne me remettrais jamais.” Ce n’est qu’à la toute fin que Lee commence à comprendre les enjeux de l’histoire, et le fait que ce qu’elle va vivre, sera sans doute pire et encore plus destructeur que ce qu’elle a déjà vécu pendant son enfance. Je ne crois pas être une petite nature en matière littéraire, mais je vous avoue que je suis assez chamboulée par ce roman, mais pas forcément de manière positive. Je crois qu’en fait, je suis dégoûtée par toute cette histoire, dégoûtée de l’impuissance du lecteur vis à vis des conneries que fait l’héroïne, la spirale dans laquelle elle se plonge volontairement, sans pouvoir rien y faire. On la voit se noyer dans cette histoire, ces enjeux trop grands pour elle, manipulée par des adultes qui ignorent son âge, et n’ont aucun état d’âme à l’entraîner dans sa propre chute. Sa soumission, signe d’un manque affectif profond, vis à vis de cette bande d’immondes personnages, donne envie de vomir d’impuissance, et de tout casser. On est entraîné avec elle, mais sans ressentir aucune sympathie, et c’est terriblement frustrant et déstabilisant.

Trop noir, trop torturé, sans lumière nulle part, ce livre ne m’a apporté aucun réel plaisir, il m’a fait l’effet d’un vortex. Je l’ai lu mal à l’aise, au bord du gouffre, obligée de laisser tourner la radio ou la télé en même temps pour ne pas me laisser aspirer. Brrrrrrr. Une expérience garantie sans addiction.

Chronique livre : Easter Parade

de Richard Yates.

Pas facile de parler de ce magnifique livre, tant il m’a retourné comme un blini. Décidément, Richard Yates entre de grande manière dans mon panthéon, après sa sublime Fenêtre panoramique et ses Onze histoires de solitude. Je crois qu’Easter Parade franchit encore un cap tant dans l’économie d’effets, l’efficacité émotionnelle, que dans la description d’une humanité à la dérive engoncée dans ses mécanismes et ses schémas destructeurs.

Deux sœurs, la belle Sarah et l’intelligente Emily, vivent ballottées par leur mère hystérique en banlieue New-Yorkaise. Divorcée de leur père, vivant dans le fantasme et sur les apparences, la mère, Pookie, est insupportable et projette sur ses filles ses espoirs perdus. Elles sont toutes les deux jolies et futées mais vont prendre des trajectoires opposées. Sarah va se marier jeune à un beau parti très relatif, et pondre trois gosses dans la foulée. Derrière la façade du mariage parfait, elle mourra d’une cirrhose et des coups de son mari à 47 ans. Emily, femme indépendante, intègre la fac, puis des compagnies publicitaires, multiplie les conquêtes, et les liens sociaux. Elle finira seule, moitié folle de chagrin, hantée par une famille qu’elle a pourtant tout fait pour tenir à distance.
Aucune des deux sœurs Grimes ne serait heureuse dans la vie,…

La première phrase du roman annonce déjà la tonalité. On est bien ici dans la tragédie, on sait que l’histoire finira mal, reste à savoir comment. Le pourquoi n’est même pas une question, c’est inéluctable. Une sorte de spirale du malheur, sans échappatoire. Les sœurs Grimes ne sont pas pourtant des “cas”, ce sont des jeunes filles puis des femmes plutôt gâtées par le vie, elles ont des qualités physiques et intellectuelles (elles écrivent bien toutes les deux notamment). Mais elles sont tout simplement écrasées par la vie, sans pouvoir y faire grand chose. Elles essaient, longtemps, ne se laissent pas abattre, mais finissent tout de même par capituler. Le moment où Emily, la croqueuse d’homme, regarde le reflet d’une vieille femme dans la glace et met un long moment à comprendre que cette vieille femme à l’apparence aigrie et qui “vieillit mal”, c’est elle, est absolument bouleversante. Yates parle du temps qui passe et qui abîme tout, inexorablement, en seulement quelques mots, et c’est poignant.

Dans les années 60, Richard Yates était considéré comme un auteur has-been. Son écriture d’apparence classique, loin des tentatives et audaces de ses contemporains de la beat generation, apparaît aujourd’hui comme incroyablement moderne et complètement intemporelle : attention focalisée sur des personnages de femmes (quels magnifiques personnages féminins !), art de l’ellipse, on est dans la très grande littérature, sans fioriture, sans chichis, sans complaisance.  C’est d’une tristesse et d’un fatalisme absolus, cru sans jamais être vulgaire, on n’en ressort pas forcément le sourire béat aux lèvres, mais c’est d’une telle justesse, sobriété, d’une telle beauté ravageuse, qu’on ne peut que s’incliner respectueusement. Un très grand livre pour un très grand auteur.

Chronique livre : Le Club

de Leonard Michaels.

Mouais, malgré les bonnes (voire excellentes) critiques glanées ici et là, Le Club, ce n’est pas grand chose grand chose. Rien de honteux certes, mais rien de bien formidable non plus. Leonard Michaels raconte la constitution d’un club un peu spécial, un club uniquement constitué d’hommes ne se connaissant souvent que par personnes interposées. Ces hommes se réunissent chez l’un d’eux, Kramer, psychologue de son état. Ils sont médecin, agent immobilier ou enseignant et se retrouvent donc dans l’intérieur douillet de Kramer pour faire ce que font les hommes entre eux (ce n’est pas moi qui le dit mais Leonard Michaels sur le quatrième de couverture) : boire et manger (beaucoup), se battre (un tout petit peu), et surtout parler de leurs histoires de cul et de coeur (énormément). Bref, à la place du rassemblement viril auquel on s’attendait, on assiste plutôt à un déballage de tripes façon troupeau de pipelettes.

Pourquoi pas après tout. Le problème c’est que cette succession d’histoires est bien peu passionnante. Certes en sous-texte pointe une certaine noirceur, un certain désenchantement, l’incroyable difficulté à communiquer, à se comprendre, à se comprendre soi-même et à comprendre l’autre. Il en ressort une vision de la masculinité bien peu reluisante, pour tout dire ces hommes plus qu’imparfaits ne sont même pas émouvants, et on peine donc vraiment à s’intéresser à leur sort. Pour le dire de manière crue, ces mecs pourtant d’un niveau social élevé, sont 100% pur beauf. Le style a clairement mal vieilli. Le Club a été écrit en 1978, mais ça sent les années 50-60 poussiéreuses. On est très loin de la sombre et féroce finesse de Richard Yates par exemple, malgré un style et des préoccupations assez similaires.

Le livre est sauvé de justesse par son final, pour le coup subtil, drôle et cruel. L’arrivée de la femme de Kramer, en apparence impassible devant son salon dévasté par cette bande de mâles, et retournant contre son mari ses techniques psychanalytiques de résolution des conflits, est formidable. Et quand cette femme pète les plombs, une femme qui avait jusqu’à présent tout accepté de son mari (les centaines de maîtresses, notamment) sans jamais se plaindre, Kramer se demande avec une incroyable naïveté ce qu’il se passe, il ne comprend pas, en toute sincérité. On peut lire Le Club pour ces quelques ultimes pages intéressantes, sinon, si on aime ce genre de littérature, je conseille plutôt de se plonger dans les oeuvres de Richard Yates. 

Chronique livre : Nord

de Frederick Busch.

Ah la vache, il n’y a bien que les ricains pour vous mettre la rate au court-bouillon et le cœur en marmelade de la sorte. Dès les premières pages, on sent que les aventures de Jack, l’ex-flic déclassé, caféïnomane, traînant sa carcasse et son chien d’un boulot à l’autre, d’une ville à l’autre, va nous toucher immensément. Et c’est le cas. Jack donc, qui dans son boulot de videur fait la connaissance d’une avocate New Yorkaise un peu désœuvrée. Elle lui confie la tâche de retrouver son neveu, disparu depuis des mois dans le Nord de l’Etat de New York. Le Nord de cet Etat, Jack le connaît bien, il a passé tout une partie de sa vie là-bas. La partie qu’aujourd’hui il ne cesse de fuir. Un moment de sa vie où il avait une femme et un enfant, qui aujourd’hui ne sont plus là.

L’histoire de Jack, c’est l’histoire d’une mise au point avec le passé, les fantômes, une histoire de rédemption aussi, de vengeance contre un destin pas très joli. Frederick Busch a un talent insensé pour rendre vivants ses personnages. Encore un qui a tout compris de la vie, et nous le fait comprendre subtilement, par petites touches. L’enquête de Jack soulève la poussière et les fantômes du passé. Il ressasse en permanence ses erreurs, ses secrets, complètement englué dans une toile qu’il n’a jamais réussi à fuir autrement que physiquement. L’enquête lui donne donc l’occasion d’affronter ses morts, et ses vivants. Mais c’est une enquête menée à deux à l’heure, l’enquête d’un homme pas pressé, qui n’a peur de rien (ou qui le croit du moins).

L’auteur colle aux pensées de son héros, capte la moindre de ses pensées, de ses souvenirs, qui peu à peu se déchirent pour nous faire entrevoir la réalité. Jack a quelque chose d’animal. Homme de peu de mots, de peu de culture, il a pourtant des intuitions, des intuitions de flic, d’homme qui a vécu, implacables. Jack, c’est aussi l’homme du contrôle, celui qui ne supporte pas de ne pas avoir su maîtriser les choses, et qui préfère fuir plutôt que de faire face à ses insuffisances. Ne possédant pas de téléphone, vivant comme masqué aux autres, il est le seul à pouvoir garder un contact avec ses amis, ne leur laissant ainsi pas la maîtrise des choses.

L’univers décrit par Frederick Bush a quelque chose de crépusculaire, de fin du monde, mais les éclats de tendresse, d’humanité, éclairent tout ça d’une lumière magnifique. Le final, plutôt positif  n’a pourtant rien du happy end. Jack fuit encore, laissant les promesses de sa présence à ses amis, mais restant pourtant toujours injoignable. L’homme de l’absence de mot, de la parole tue, réussira t’il vraiment à passer au delà de son passé, de ses fantômes, et à se rendre disponible au monde ? Rien n’est moins sûr. Nord est un roman noir magnifique, allez, faites vous du bien, il y en a besoin. C’est Noël, tous les fantômes sont là.