Chronique livre : La Traîne-Sauvage

de Rosine Crémieux et Pierre Sullivan.

Chronique publiée initialement dans le numéro 29 de l’indispensable Revue Dissonances.

la-traine« Traîne-sauvage » est le terme désignant un type de luge au Canada. Tout commence ici par un quiproquo, une erreur d’interprétation. Pierre Sullivan est le collaborateur de Rosine Crémieux, infirmière résistante dans le Vercors puis déportée en 1944 à Ravensbrück avant de devenir une grande figure de la psychanalyse de l’enfant.

« Pourquoi m’avoir laissée entre les deux étapes, trop avancée pour retourner vers cette vie de jeune fille calme et tranquille, pas assez cependant pour pouvoir me reposer ? »

Quand il évoque devant elle la traîne-sauvage, Rosine Crémieux visualise immédiatement les trains de la déportation. Son passé, elle l’a enfoui, peu désireuse de faire porter aux autres le fardeau de son expérience. Mais voilà que les conversations avec Pierre Sullivan font ressurgir les souvenirs.

« J’aime la manière dont vous racontez ; les blancs, les imprécisions ne me gênent pas. »

Hors du cadre de la psychanalyse, une correspondance se met en place, la parole de l’un active la plume de l’autre et cette conversation ramène à la surface des bribes éparses du passé. La vivacité et l’énergie de Rosine Crémieux tiennent à distance le pathos et cette archéologie de la mémoire, désordonnée, bousculée, presque diffuse, bouleverse par sa volonté farouche de ne rien démontrer et de laisser au lecteur l’espace nécessaire à la construction de sa propre expérience. Rosine achève son chemin littéraire par le très beau

« Nous avons bien terminé ce voyage ensemble »

mais il ne faut pas s’y tromper : pour le lecteur le voyage ne fait que commencer.

Ed. Signes et Balises

Chronique livre : Grosses joies

de Jean Cagnard.

Chronique publiée initialement dans le numéro 27 de l’indispensable Revue Dissonances.

grosses-joiesUn chien traverse la page, il n’a rien à faire là, mais il est là quand même. Le lecteur s’en étonne et le narrateur lui-même

« C’est assez étrange la présence d’un chien sur un parking d’aéroport mais il y a des jours où les parois du monde se montrent particulièrement perméables ».

Donc le chien est là et ce n’est pas la seule singularité de ces Grosses joies au titre non usurpé.

Jean Cagnard signe, après son merveilleux roman L’Escalier de Jack, un recueil de nouvelles étonnantes. Les situations y sont somme toute banales : un voyage, un enterrement, une visite à la famille, une partie de pêche. L’auteur réussit à métamorphoser toutes ces historiettes. Le commun n’a ici pas sa place, il se trouve décalé, transfiguré, rêvé

« car il y a toujours quelque chose de surnaturel à se trouver au bord de l’eau où les petites joies deviennent mystérieusement de grosses joies »

Chaque texte déploie son univers unique de fausse simplicité, de vraie fantaisie, d’absurde drôle et léger mais surtout d’infinie mélancolie. Car il ne faut pas s’y tromper, derrière ce quotidien réinventé pointe à tout moment la violence, la mort, la solitude. Cet homme est rejeté par sa famille, cette femme par son mari, celui-ci perd son travail. A l’improviste, la phrase bifurque, détourne l’attention du lecteur, élude la tristesse pour mieux la révéler. En toute discrétion et avec une classe absolue.

Alors, le sourire aux lèvres et le cœur fissuré, on regarde à nouveau passer le chien. Cette fois-ci la bête est peinte en bleu et Jean Cagnard de nous murmurer

« Rien n’indique qu’elle en attend plus que ça de l’avenir ou même de l’humanité ».

Ed. Gaïa

Chronique livre : La malédiction du bandit moustachu

d’Irina Teodorescu.

lamaledictiondubanditNul mauvais acte ne reste impuni, et ce n’est pas la famille Marinescu qui pourra dire le contraire. Une mauvaise action au début du XXème siècle, en l’occurrence le meurtre d’un bandit aux moustaches fleuries, et voilà cette opulente famille maudite jusqu’en l’an 2000. Continuer la lecture de Chronique livre : La malédiction du bandit moustachu

Chronique livre : L’écrivain national

de Serge Joncour.

C’était l’enfer.

lecrivain-national600Un coin de campagne blotti contre la forêt, une petite ville tranquille aux projets d’avenir industriel, tout commençait au mieux pour notre héros, écrivain invité par les libraires du village à passer quelques temps dans cet univers bucolique. Bon d’accord, c’est l’automne, il pleut tout le temps, un habitant a disparu et surtout on est dans le Morvan. Mais tout de même. Continuer la lecture de Chronique livre : L’écrivain national

Chronique livre : si les bouches se ferment

d’Alban Lefranc

Pour apprendre à parler, il vous faut aller chercher des mots dans la bouche des autres.

silesbouchesBiographie, roman historique, portrait d’une génération, si les bouches se ferment est un livre passionnant et difficile à classer. Après avoir entraîné le lecteur dans le tourbillon Mohammed Ali dans le magnifique Ring invisible, Alban Lefranc aborde de biais, dans un mélange d’Histoire et de fiction, une période chahutée de l’Allemagne, de la naissance de la Fraction Armée Rouge jusqu’au suicide de ses premiers leaders. Continuer la lecture de Chronique livre : si les bouches se ferment