Chronique livre : La course au mouton sauvage

d’Haruki Murakami

On commence à avoir l’habitude des dérives murakamiennes dans les sphères de l’absurde, c’est sans doute pour ça que La course au mouton sauvage, après avoir lu Les chroniques de l’oiseau à ressort ou encore La fin de temps semble aussi léger.

Plus court que ses deux petits frères, mais aussi beaucoup moins complexe et tortueux, La course au mouton sauvage raconte le périple d’un jeune homme détaché, globalement assez médiocre, à la recherche d’un ovin étoilé et inaccessible, sous la pression d’une organisation de l’extrême-droite japonaise. Ce mouton aurait la capacité de prendre possession d’un individu et d’en faire un surhomme capable de bâtir des empires. C’est ce qui s’est passé pour le pilier de cette organisation, mais le mouton l’a déserté et il souhaite le retrouver. Le jeune homme médiocre part alors tout bonnement, même s’il ne le sait pas encore, à la recherche de l’ambition et de la grandeur.

Certes pas désagréable, on trouve déjà toute la patte de Murakami dans cette histoire, dans laquelle les choses arrivent on ne sait trop comment, la réalité n’est jamais vraiment celle qu’on croit et le fantastique n’attend que le bon moment pour se manifester. Mais le roman est beaucoup moins ambitieux que ses successeurs dans l’amplitude de ses dérives, et de ses décrochements de la réalité. A part cette histoire de mouton, d’un fantôme, et d’une fille aux oreilles ensorcelantes, La course au mouton sauvage reste globalement sur la terre ferme et peine à vraiment décoller. Et si la mélancolie de l’auteur, comme d’habitude bien présente, nimbe l’histoire de sa douceur vaguement nostalgique, on regrette presque que le roman se veuille porteur d’un message, pas faux mais un peu facile et premier degré, sur la dangerosité de l’ambition et des appétits de conquête de l’homme.

Tout ça reste tout de même très recommandable, mais je continuerai malgré tout à conseiller et à offrir dans cette lignée murakamienne La fin des temps et Les chroniques de l’oiseau à ressort. A noter que la traduction de Patrick De Vos est particulièrement agréable, ce qui n’est pas toujours le cas avec les traductions d’Haruki Murakami, parfois excessivement plates. Je vous accorde toutefois que je suis fort peu apte à juger de la fidélité au texte original des traductions japonais-français…

Ed. Points
Trad. Patrick De Vos

Chronique livre : Mémoires imaginaires de Marilyn

de Norman Mailer.

Pour curieuse que soit la traduction du titre original du roman de Norman Mailer Of women and their elegance, elle n’en est pas moins très explicite quant au contenu de l’ouvrage.

Se basant sur quelques éléments réels de la vie de Marilyn Monroe (quelques interviews, des personnages existants réellement…), Norman Mailer construit une fausse autobiographie (c’est “Marilyn” qui parle) de Miss Monroe, et dresse par là-même un portrait de la star. On s’imagine un peu, tel un Flaubert s’identifiant à Emma Bovary, Norman Mailer s’identifiant à Marilyn, essayant de capter quelque chose de sa diction, de sa façon de bouger, de la fermeté de son corps, de la détresse de son regard et du balancement de ses hanches. Le pari est réussi. L’actrice apparaît dans ce livre forte et fragile à la fois, troublante et troublée. Née trop belle, et sans doute intelligente dans un milieu qui ne lui a donné aucune base solide, aucun repère, elle a bâti sa vie comme elle pouvait, laissant en général les autres la bâtir pour elle. Fille fragile, peu sûre d’elle, elle compense par l’exhibition de son sex-appeal, jusqu’au jour où, grâce à sa liaison avec Arthur Miller, elle se dit qu’elle vaut peut-être quelque chose. Mais le bonheur n’a jamais été au programme dans la vie de Marilyn.

Norman Mailer réussit à capter toute cette fragilité, ces failles immenses que rien n’a jamais combler. Utilisant d’un style mi-parlé, mi-écrit, comme sortant tout droit de la plume de Marilyn, il réussit à ramener à la vie l’actrice, à lui donner parole et surtout corps, dans ce qu’il a de moins glamour. Car l’actrice était avant tout un être de chair, et pas forcément épanouie dans sa chair justement. Norman Mailer compose une fiction touchante, humaine autour du mythe Monroe, une fiction probablement pas très éloignée de la réalité.

Ed. Robert Laffont/Pavillons Poche

Chronique livre : Martiens, go home !

De Fredric Brown.

Ma capacité à lire étant un peu en sommeil en ce moment, Martiens, go home ! est arrivé à point nommé. Petit livre assez rigolo, MGH! part du postulat que, du jour au lendemain, les martiens débarquent sur Terre. Ils ne viennent pas vraiment “envahir” le monde, non, ils ont juste envie de foutre la merdre. Mal polis et grossiers, les petits hommes verts (car il le sont vraiment), adorent apparaître (couimer disent-ils) d’un coup sous les yeux des gens, déranger les représentations théâtrales, et autres manifestations en direct, semer la pagaille dans les familles en révélant tous les secrets.

Le livre, d’une part, suit un personnage particulier, Luke Devereaux, écrivain de SF de son état, et d’autre part explore les conséquences dans la société de l’arrivée des martiens. Et elles sont nombreuses, les martiens s’immisçant partout : baisse des naissances due à la difficulté de faire l’amour lorsqu’un martien vous regarde, économie qui part en eau de boudin, mise en chômage technique de tous les services secrets d’un planète en pleine guerre froide…

Faisant preuve d’une imagination assez débridée, Fredric Brown réussit à nous faire rire franchement. Les scènes dans lesquelles les martiens sont vraiment présents sont assez hilarantes. Ces bestioles appellent tous les garçons “Toto” et toutes les filles “Chouquettes”, se fichent de la gueule de tout le monde et s’assoient sur la bienséance avec délice. Quand Brown explore les conséquences de l’arrivée des martiens, on accroche moins. C’est très intéressant, et créatif, mais il faut le dire, l’auteur écrit vraiment très mal. C’est infâme au niveau du style, et même si on laisse le bénéfice du doute à l’écrivain pour cause de traduction, on a quand même du mal à ne pas grincer des dents.

Mais ne soyons pas bougons, Martiens, go home! constitue un divertissement tout à fait rigolo et pas totalement crétin. Pas si mal.

Chronique livre : K. 622

de Christian Gailly.

Jamais je ne retrouverai mon émotion, jamais je ne serai capable d’écrire ce que j’ai éprouvé ce soir-là, je crains même que la recherche des mots ne dissolve tout à fait le souvenir que j’en garde.

Pas franchement transcendée par le précédent roman lu de Christian Gailly, l’Incident, j’ai pourtant été séduite par le thème de K. 622. Pour la première fois, un homme entend à la radio le concerto pour clarinette K. 622 de Wolfgang Amadeus Mozart. Son émotion est telle que, dès le lendemain, il part à la recherche du disque. Il en achète trois versions. Mais aucune ne lui procure les mêmes sensations que lors de sa première écoute. Il décide donc d’aller écouter l’oeuvre en concert. Mais pour y aller, il a besoin d’un costume… Je ne vous raconte pas la suite, ce serait trop étrange.

Car K. 622 est un court roman vraiment étrange, et je ne sais trop quoi en penser. J’ai bien l’impression d’être complètement passée à côté du propos de Christian Gailly. J’ai d’abord du mal à suivre son écriture, fort tortueuse, pour raconter l’histoire d’un gars lui-même tortueux. Le parti-pris est très intéressant, mais ne m’a pas franchement emballé. Je reconnais à l’auteur beaucoup d’habileté, mais, le blocage vient probablement de moi, je n’accroche pas vraiment. Bizarre également ce changement de point de vue. Le récit débute à la première personne, puis se poursuit à la troisième, comme pour mettre à distance ce personnage, somme toute assez peu fréquentable. D’une interrogation brillante (une émotion est-elle liée au lieu et au moment, est-elle reproductible, comment essayer de faire renaître une émotion ?), Christian Gailly compose un récit éclaté en quatre parties, qui peine à former un tout.

Pourtant le roman se termine plutôt mieux qu’il ne se développe, par l’intrusion d’une aveugle dans la vie du héros, et sa supplique maintes fois répétée Parlez moi que je sache où vous êtes, apporte une note lancinante et quelque part fantomatique plutôt intéressante. Bref, un sentiment mitigé en reposant le livre, et l’impression tenace de ne pas avoir su saisir l’essence de la chose.

Chronique livre : Les Gommes

d’Alain Robbe-Grillet.

Décidément, le livre de Mathieu Lindon, Ce qu’aimer veut dire, m’aura fait découvrir de bien belles choses. Après l’Homme sans postérité d’Adalbert Stifter, voilà que je termine un roman d’Alain Robbe-Grillet. J’avoue honteusement que je n’aurais sans doute jamais songé à lire cet auteur spontanément.

Nous voilà donc plongés au coeur d’une intrigue policière qui devrait être sans réelle surprise ni suspense, puisque le narrateur, naviguant d’un personnage à l’autre nous dévoile rapidement les tenants et les aboutissants de l’affaire. Dans une ville moyenne et tranquille, à la géométrie compliquée, Daniel Dupont, un professeur est victime d’une tentative d’assassinat par un groupuscule. Il en réchappe, mais préfère cependant, grâce à la complaisance d’un docteur peu regardant, que tout le monde le croit mort. La police locale jette l’éponge assez vite malgré les incohérences de l’enquête et un agent secret parisien, Wallas, débarque dans cette ville pour tenter de démasquer les coupables. Un point de départ somme toute assez classique mais qui pourtant donne lieu à un roman fascinant.

Wallas parcourt la ville à pied, de long en large et en travers pour interroger les protagonistes de cette histoire, l’ex-femme du professeur, une voisine curieuse, le médecin louche qui l’a soigné, la vieille bonne sourde comme un pot, le commissaire circonspect. Et à mesure que Wallas arpente la ville, se perd et dans le temps (sa montre est cassée), et dans l’espace (il n’a pas de plan et se fie à son sens de l’orientation parfois défaillant), et dans ses pensées, le lecteur se perd aussi. Le récit, pourtant condensé dans une ville unique et sur une seule journée, et bien que relativement chronologique fait perdre tous repères au lecteur. Le point de vue mouvant du narrateur nous donne à entrer dans la tête de chacun des personnages, et à suivre leurs pensées et suppositions. Comment dans ces cas là réussir à démêler le vrai de l’imaginaire ? Doit-on vraiment faire confiance à ces gens et à ce Wallas ? Les indices ne manquent pas pour perdre toute confiance en son histoire : sa photo de carte d’identité ne lui ressemble pas, il a les traits de l’assassin présumé de Daniel Dupont. Et pourtant il a l’air sincère. Est-il seulement manipulé ?

L’esprit du lecteur est donc en perpétuel éveil pour réussir à donner forme et cohérence à ce récit qui fait tout pour nous perdre. La manière de procéder d’Alain Robbe-Grillet est assez fascinante, avec ces réminiscences de conversations qui se répètent d’un lieu à l’autre, de ces scènes visiblement pareilles et pourtant légèrement différentes. On sent qu’on ne peut pas vraiment faire confiance à ce qu’on lit, et c’est très perturbant, tant notre esprit est habitué à prendre pour argent comptant ce qu’on lui donne à voir et à lire. Le procédé m’a fait un peu penser à un film du grand Hitchcock, je crois qu’il s’agit du Grand Alibi de 1950, mais pas sûre, dans lequel le réalisateur nous montre un flash-back complètement mensonger, et qu’on gobe avec une facilité déconcertante. C’est fascinant de voir à quel point le lecteur/spectateur est dépendant de ce qu’on lui donne à lire et à voir. Et Alain Robbe-Grillet use très bien de ses talents de manipulateur et les affiche clairement. Il ne prend pas ses lecteurs pour des idiots, bien au contraire, et joue à nous perdre dans le labyrinthe circulaire des rues de la ville et des heures. Le thème du labyrinthe est un théme cher au Nouveau Roman, et j’en avais déjà parlé à propos du magnifique Emploi du temps de Michel Butor.

On retrouve clairement dans les Gommes (antérieur de trois années à l’Emploi du temps) les mêmes questionnements, la même volonté de bousculer le lecteur, de l’amener à accepter la perte de repères, de finalement dépasser le stade de la passivité face à l’écriture. Alors certes le style en lui-même a sans doute un petit peu vieilli, on utilise certes plus aujourd’hui de télégrammes et de tubes pneumatiques, mais franchement, face à une telle construction, et une telle intelligence, je m’incline avec un respect infini.