Chronique livre : Moo Pak

de Gabriel Josipovici.

La littérature, dit-il, ne nous enseigne pas l’éthique, elle ne nous enseigne pas la politique, elle ne nous enseigne pas la linguistique. Elle nous enseigne la gymnastique.

moopakDeux hommes marchent dans Londres. Ils parlent. De ces conversations ne nous parvient que la voix d’un seul, retranscrite par l’autre le plus fidèlement possible, pour que ce qui aurait dû être et n’a pas été, soit quand même un peu. Jack parle, Damien retranscrit. Jack parle de tout de rien, surtout de son métier, écrivain, de son ancien métier, enseignant, de la vie, des modes de vie, de leurs évolutions, de la ville, de ses maîtres en écriture, de la communication et surtout de la langue. Derrière la voix qui parle, les questionnements incessants, c’est la pensée qui se construit, et l’œuvre qui s’écrit. Continuer la lecture de Chronique livre : Moo Pak

Chronique livre : Dôme

de Stephen King.

domeQuand on n’a pas de vacances, il faut bien faire comme si pour tenir le coup, et quoi de mieux qu’un double pavé signé Stephen King. Les habitants de Chester’s Mill n’ont pas de chance ce matin-là : ils sont instantanément coupés du monde par une barrière invisible et quasiment étanche. Cette barrière suit pile poil la limite de la commune et son apparition soudaine entraîne quelques petits incidents : accidents de l’air et de la route, amputations… Que se passe t-il alors dans cette micro-société fermée ? Continuer la lecture de Chronique livre : Dôme

Chronique livre : Dans les Cités

de Charles Robinson.

Comment manifester un territoire mental ?

Dans-les-citesUn cabinet d’architecture est mandaté pour gérer la démolition et la reconstruction d’une cité de banlieue. Prudent, il demande à un ethnologue de prendre le pouls de la cité. L’homme, convenablement introduit, rencontre des gens, s’immerge dans cette cité, sa géographie, sa vie (ou plutôt ses vies), et loge chez sa sœur, habitante de la cité, qu’il surnomme affectueusement l’Opossum.

Dans les Cités est une immersion en trois dimensions dans l’univers de ces zones mal-aimées, dénuées d’Histoire, et pourtant porteuses de toute une mythologie. Continuer la lecture de Chronique livre : Dans les Cités

Chronique livre : Le corps plein d’un rêve

de Claudine Galea.

J’ignorais que tant d’émotions  et de sensations remonteraient à la surface de la peau, trente et quelques années après. On n’oublie pas. Ce qui vous a transformée. Fait prendre votre envol.

lecorpspleindunreveElle est une adolescente sage qui découvre comme une déflagration Patti Smith. Et puis l’oublie. Ou croit l’oublier. Et Patti Smith revient dans sa vie. Elle est alors adulte, écrivain et ausculte l’effet Patti sur son organisme et son écriture.

Le corps plein d’un rêve est un livre hybride entre autobiographie, biographie, introspection, exploration. Continuer la lecture de Chronique livre : Le corps plein d’un rêve

Chronique livre : Contre Télérama

d’Eric Chauvier.

Nouvelle incursion dans l’univers d’Eric Chauvier après le fabuleux Somaland. Contre Télérama est un très court livre, écrit, du moins mis en forme et publié en réaction à un article paru dans Télérama et parlant de « La France moche », pour qualifier les zones périurbaines. Mais ce moteur, on ne le découvre qu’au milieu du livre. Contre Télérama est constitué de mots-clés, dont chacun donne lieu à une réflexion tenant sur une ou deux pages.

Chacune de ces “franchises individuelles”, qui – avec leur décoration neutre et standardisée – semblerait, pour ce journal de la capitale, tout aussi “moche” que les franchises commerciales, hébergent des fictions insondables et jamais sondées.

L’argument principal d’Eric Chauvier pour la “défense” de cette vie périurbaine consiste en la neutralité de ces zones. Leur “invisibilité” rend ces zones intéressantes car encore jamais explorées. Dans ces quartiers, la moindre discontinuité peut alors faire émerger l’interrogation, et donc titiller l’imagination et engendrer la fiction.

En se rendant réceptif à ces hurlements sauvages, l’adulte évite ici de flirter avec une tristesse sans nom. Il éperonne sa mémoire et produit des images, des odeurs et des sons qui délient son potentiel de fiction, autrement dit son aptitude à transgresser les standards de la vie mutilée.

La vie en zone périurbaine serait alors un moteur puissant grâce auquel les hommes, par le biais de la fiction pourraient apprendre à transgresser, à dépasser le cadre qui les entoure et qui les habite. L’uniformisation et la neutralité des lieux seraient le terreau fertile dans lequel la moindre anfractuosité permettraient aux habitants de déployer leurs capacités de fiction et donc sans doute d’atteindre un état d’éveil supérieur, impossible dans un contexte moins neutre.

Nos voix ne porteraient pas, et cette impossible conversion de l’intime en politique nous préoccupait au plus haut point.

Nous en avons parlé rapidement certes, mais il ne fait pas de doute que cette appétence pour la dissolution des causes pourrait constituer un principe majeur de la vie péri-urbaine.

Malgré tout, Eric Chauvier constate un phénomène préoccupant. Si la vie dans les quartiers périurbains permet à l’homme de développer sa capacité à voir et à imaginer, elle anésthésie pourtant sa capacité à agir et à prendre position. L’habitant, alors, est condamné à subir. Et quand il réagit, c’est forcément vis-à-vis d’une discontinuité, d’un élément non concordant avec son cadre. C’est ainsi que l’âne, habitant originel du quartier, est caillassé en pleine nuit car ses braiments dérangent le voisinage.

Tout autre choix de vie nous semblait faux et impraticable – définitivement impraticable.

Eric Chauvier ne délaisserait son mode de vie pour rien au monde, mais cette dernière phrase est aussi un couperet. Comment qualifier une vie, un mode de vie, qui empêche l’individu de se projeter dans autre chose ? L’aliénation est totale, et la zone périurbaine devient alors un lieu sacré, dans lequel il n’y pas besoin de prêcheur. Les habitants s’auto-convertissent, et la liberté gagnée d’imagination et de fiction, se paie par une diminution de la capacité de mouvement et d’intégration au réel.

Bien que formellement moins original et travaillé que le fabuleux Somaland, Contre Télérama montre à quel point la langue est une préoccupation majeure d’Eric Chauvier. Le texte est littérairement très travaillé, et c’est par le biais de cette langue que le lecteur, lui aussi est amené à bâtir sa fiction autour du texte. Jamais sèche, l’écriture d’Eric Chauvier laisse deviner tendresse et humanité à travers les apparitions fugaces de la vie des autres. Une voix passionnante et stimulante, dont j’ai bien l’intention de poursuivre la découverte.

Ed. Allia