de Gabriel Josipovici.
La littérature, dit-il, ne nous enseigne pas l’éthique, elle ne nous enseigne pas la politique, elle ne nous enseigne pas la linguistique. Elle nous enseigne la gymnastique.
Deux hommes marchent dans Londres. Ils parlent. De ces conversations ne nous parvient que la voix d’un seul, retranscrite par l’autre le plus fidèlement possible, pour que ce qui aurait dû être et n’a pas été, soit quand même un peu. Jack parle, Damien retranscrit. Jack parle de tout de rien, surtout de son métier, écrivain, de son ancien métier, enseignant, de la vie, des modes de vie, de leurs évolutions, de la ville, de ses maîtres en écriture, de la communication et surtout de la langue. Derrière la voix qui parle, les questionnements incessants, c’est la pensée qui se construit, et l’œuvre qui s’écrit.
Moo Pak fait partie de ces livres qui provoquent des hululements de joie frénétiques pour le lecteur et un travail acharné du crayon qui a envie d’en noter toutes les phrases. Le livre est d’une absolue richesse et surtout possède un mouvement propre, un rythme interne incroyable. Comment un texte compact de 186 pages, composé d’un seul paragraphe, peut-il avoir cette faculté à aller de l’avant ?
La seule façon de penser, disait-il, c’est assis à un bureau, la seule façon de parler, c’est en marchant.
Et c’est effectivement l’impression que le texte donne, c’est un texte qui marche, qui avance. La construction procède de beaucoup de méthode, elle est ponctuée de courtes et fondues dans la masse mises en situation et des récurrents « dit-il » ou « disait-il » qui marquent les temps pour mieux faire redémarrer la machine de la pensée.
Moi qui est une suspicion viscérale en ce qui concerne l’appel aux références culturelles dans un texte, je dois dire que Moo Pak me donne tort. Ici, des références, il y en a des centaines. Mais elles ne sont pas là pour montrer à quel point l’auteur est brillant et cultivé, elles sont là comme support à l’élaboration de la pensée et de la parole, clés pour ouvrir, libérer la pensée. Peu importe finalement qu’on ait lu un tel ou un tel, même si Moo Pak donne furieusement envie de découvrir les auteurs dont il est question ici. Les références sont plutôt utilisées pour montrer comment la pensée se créé, elle s’appuie sur l’existant pour exister à son tour, unique, originale.
(…) il sent que derrière derrière le langage que les hommes utilisent ordinairement en existe un autre, situé dans les interstices de ce langage pour ainsi dire, et qu’il ne peut pas être amené complètement au grand jour, seulement rendu manifeste par indirection.
Outre ces questions de forme, Moo Pak brasse des questionnements et des thèmes qui me sont particulièrement chers, notamment sur le langage et l’écriture. La lecture de Moo Pak est donc un vrai bonheur et je vous invite avec le sourire mais également beaucoup de fermeté à vous procurer et à lire de tout urgence cette merveille de la littérature.
J’ai écrit afin de faire sortir les confusions, les dérobades, comme on presse les serviettes pour en faire sortir l’eau. Pas pour dire quelque chose mais pour clarifier l’air afin que quelque chose puisse être dit. Je n’y suis jamais parvenu, (…)
Ed. Quidam Editeur
Trad. (une merveille) Bernard Hoepffner
Une réflexion sur « Chronique livre : Moo Pak »