de Jean-Philippe Toussaint.
Acheter un livre juste sur son titre, c’est risqué. Quand il est publié aux éditions de Minuit, le risque est déjà plus mesuré. Toussaint est brillant et malin, ça ne fait aucun doute, au démarrage, c’en est franchement agaçant. Dès la première phrase, on sent qu’il a le potentiel pour carrément se foutre de notre gueule, tout en s’attirant l’exaltation de la critique ébaubie.
Un homme s’inscrit dans une auto-école, s’attache à la tenancière du lieu en la collant un max, ce qui a l’air de leur convenir à tous les deux. Café-croissants, une virée dans un supermarché, il ne se passe pas grand-chose dans cette histoire banale et gentiment incongrue, racontée tout en phrases décalées, détachées, sur un air de ne pas y toucher. Style travaillé, phrases longues tournant autour du vide, la mécanique est astucieuse, un rien ampoulée. On admire l’adresse, tout en reniflant les prémisses de la boboïtude. Jusqu’à la page 94.
Page 94, d’un coup, par une phrase, le roman change de cap. Commence alors une autre histoire, non pas une histoire, un éclatement photographique. L’homme, seul maintenant, dans des décors nocturnes vides et urbain, confronté à lui-même, se raccroche aux détails croisés sur sa route, un clignotement, un parking désert, pour tout simplement réussir à vivre. Se forcer à penser pour lutter contre « le désespoir d’être », imaginer une vie sans blessure pour rester debout. Cette deuxième partie, très courte, beaucoup plus sincère et intime, est magnifique, et rend par là-même la première plus belle. C’est par ce raccrochement aux détails infimes et anodins que le narrateur surmonte sa « difficulté à vivre ».
A noter une interview intéressante de Toussaint fait suite au texte. Bonne initiative.