Chronique film : The Master

de Paul Thomas Anderson.

The MasterC’est la fin de la guerre dans le Pacifique. Des marins américains désoeuvrés jouent sur une plage de sable fin, la mer est turquoise, le soleil brûlant. Des gosses sans leurs parents, qui picolent et rêvent de baiser. La profondeur de champ est ultra-réduite, la musique irréelle, c’est un peu un songe, un entracte, et le retour à la réalité n’en est que plus brutal. Continuer la lecture de Chronique film : The Master

Chronique film : There will be blood

de Paul Thomas Anderson.

Qu’on aime ou pas, voilà un film qui force le respect tant il va au bout de son propos, sans peur de l’extrême. Il n’est pas ici question de l’odyssée du pétrole, comme je le pensais en entrant dans la salle. Le propos est à la fois plus intime : l’itinéraire d’un homme ambitieux, misanthrope et plongeant peu à peu dans la folie, et plus vaste : une métaphore des fondements de l’Amérique, l’amour du pouvoir, de l’écrasement de l’autre par le fric ou par la religion.

Le début est littéralement bluffant, au moins 15 minutes sans une parole prononcée à chercher des cailloux dans le ventre de la terre. Pas de lumière, pas d’action. Un grand moment de rien. Ça se tortillait gentiment dans la salle, visiblement, on était là pour voir Daniel Day Lewis faire son show. Le reste du film est une longue attente : on travaille dans les profondeurs de la terre, puis on remonte (si jamais on ne se reçoit pas un godet sur la tronche) dans le désert cramé, et on attend que ça jaillisse. On cherche alors un terrain plus grand, on essaie de convaincre les locaux de vendre, on fore, on creuse, et on attend. De temps en temps un accident, mais, après tout, la vie continue.

On assiste donc au portrait d’un homme opaque, dont on ne connaîtra pas les motivations, ou alors de manière partielle. C’est assez étrange cette façon de passer tout le film dans l’expectative, la curiosité, le cul entre deux chaises, ce n’est en aucun cas un film confortable. A la fois fascinant cet homme, et totalement repoussant. Sa persévérance, sa ruse, force une certaine forme d’admiration, mais elles sont totalement perverties par son cynisme et sa misanthropie. Il ne construit son empire que pour mieux pouvoir rejeter l’humanité dans son entier. Les hommes ne sont que des outils pour lui, qu’il utilise et qu’il jette, notamment l’orphelin qu’il a recueilli et élevé comme son fils, simple pion destiné à attendrir les vendeurs de terrains pétrolifères potentiels.

Alors oui, Daniel Plainview est un personnage totalement extrême, absolument énorme, qui finit en épave dans son immense demeure, affalé dans sa pièce de bowling. Il a réussi à écarter son dernier adversaire, l’ultime quille du jeu, le dernier obstacle de son immense obsession. Daniel Day Lewis en fait mille tonnes, oui, mais seulement dans les 20 dernières minutes du film, quand le personnage est entièrement dévoré par la paranoïa. Le film met à égalité parfaite la soif de pouvoir de l’ « oilman » et du faux prédicateur. Deux facettes d’une même médaille, même cynisme, même but, mais des moyens différents pour y parvenir.

Absolument renversante, la musique du film fait grincer des dents. Accords dissonants au violon qui s’étirent pendant des dizaines de minutes sur l’attente brûlante de l’or noir, c’est méchamment couillu, hors-normes et ça a dû faire sauter quelques dentiers (renseignements pris, le compositeur est Jonny Greenwood, guitariste de Radiohead, un peu la grosse classe quand même). Bref, film boursouflé comme disent les Inrocks, certes, on est clairement dans l’excès. La métaphore avec le fonctionnement actuel de l’Amérique est énorme, et ne s’embarrasse pas de délicatesses. Par exemple, le plan sur les deux frères assis sur la plage est extraordinaire : le cadet raté, la tête penchée dans l’ombre, et l’aîné qui a réussi au soleil. L’aîné se lève, sort du cadre. Le cadet lève la tête qui se retrouve en pleine lumière. Concurrence évidente du petit frère. La réaction de Daniel Plainview sera immédiate.

On est dans le symbolisme appuyé, mais évident, et ça fonctionne à merveille. Anderson va au bout de son concept, allonge les plans d’attente au maximum (on regarde flamber un puits de pétrole pendant 10 bonnes minutes), réduit l’action au strict nécessaire. Inconfortable et fascinant.