de Paul Thomas Anderson.
C’est la fin de la guerre dans le Pacifique. Des marins américains désoeuvrés jouent sur une plage de sable fin, la mer est turquoise, le soleil brûlant. Des gosses sans leurs parents, qui picolent et rêvent de baiser. La profondeur de champ est ultra-réduite, la musique irréelle, c’est un peu un songe, un entracte, et le retour à la réalité n’en est que plus brutal.
Après ces sidérantes dix premières minutes de The Master, on tremble de peur que la magie, durant les deux grosses heures restantes, ne disparaisse. Comment survivre à ce prologue ? Comment maintenir la tension, l’énergie, la lumière qui baigne cette séquence introductive ?
Parmi ces soldats, Freddie, créateur génial d’un tord-boyaux mortel. Son retour à la vie civile est un peu compliqué, de photographe à coupeur de choux, il a bien du mal à se stabiliser. Sa gnôle ne l’aide pas vraiment. Et puis, un soir de fuite (magnifique scène où tout l’horizon s’offre à lui), il se planque sur un bateau, dont le commandant et gourou Lancaster, qui se fait modestement surnommer The Master, décide de le prendre sous son aile. A partir de là, le film se concentre sur les rapports entre Freddie et Lancaster, sans oublier la femme de celui-ci, interprétée par une excellente et déterminée Amy Adams, actrice plutôt habituée aux nanars, mais que j’ai toujours trouvée intéressante.
Paul Thomas Anderson se radicalise. Après le déjà très culotté There will be blood, The Master franchit encore un cap. Ici, peu d’hystérie et de grandiloquence pour remplir l’espace. Les scènes s’étirent infiniment sur la longueur, jusqu’au point de rupture de l’attention du spectateur. J’ai bien conscience qu’on peut s’y ennuyer à mourir, mais moi, je trouve ça juste passionnant. Avec ses longs dialogues, sa caméra et cette profondeur de champ très courte, vissée sur les visages d’acteurs dirigés à la perfection, une musique parcimonieuse mais toujours pertinente, Paul Thomas Anderson travaille encore et toujours sur ses motifs obsessionnels, le pouvoir, la domination, le besoin de croire, la manipulation. Parce qu’il n’est question que de ça dans ce film, de cerner la notion de “maître”, de domination, et de la difficulté de vivre sans, d’être libre réellement. Freddie change de maître comme de chemise, de l’armée, aux patrons, en passant par Lancaster, et surtout l’alcool. Mais il n’est pas le seul dans ce cas, regardez comme The Master est ‘repris en main’ avec autorité et efficacité par sa petite femme enceinte qui n’a l’air de rien ! Et nous, spectateurs, à la merci du bon vouloir de P. T. Anderson !
Toujours au bord de la rupture, radical et torturé, The Master débute brillamment cette année cinéma 2013. Un grand film.