d’Edgar Hilsenrath.
Après la bonne grosse crise de rire un peu creuse d’Orgasme à Moscou, l’envie m’en a pris de continuer un peu la découverte de l’œuvre d’Edgar Hilsenrath. Je n’ai pas eu tort, Fuck America est un peu plus sérieux qu’Orgasme à Moscou, non pas dans son ton, mais surtout dans son fond. Le roman, qu’on devine sans doute un peu autobiographique, raconte l’histoire de Jakob Bronsky, juif allemand, récemment arrivé aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale. Jakob s’imagine écrivain en langue allemande, mais a bien du mal à se sortir de son statut de semi-clodo sans le sou. Toujours entre deux cafés, deux boulots, deux apparts, deux arnaques pour pouvoir se remplir le ventre, le jeune homme peine à mettre un peu d’ordre dans sa vie.
Edgar Hilsenrath recycle avec beaucoup de culot et d’inventivité la figure mythique et quasiment clicheteuse de l’écrivain paumé et fauché si chère au roman américain. Mais Bronsky se refuse à écrire en langue anglaise, non, il écrira en allemand et dépoussiérera cette langue désuète pour lui donner l’efficacité de l’américain. On retrouve à nouveau la loufoquerie débridée d’Orgasme à Moscou, cette incroyable liberté de ton, cet humour hyper trash qui ne peut passer que sous la plume d’un écrivain juif. On se délecte de ces dialogues incroyablement rythmés et efficaces, ça pulse, ça fuse dans tous les sens.
Contrairement au délectable mais un peu couillon Orgasme à Moscou, Fuck America surprend le lecteur par l’intrusion d’une certaine gravité derrière l’humour. Car mine de rien, le roman dénonce pas mal de comportements passablement infâmes avant et durant la guerre. Fuck America baigne dans une atmosphère sombre, dans laquelle peuvent resurgir à tout moment les horreurs du nazisme et de l’holocauste. Edgar Hilsenrath sait inventer une forme qui lui permet de jongler entre souvenirs inventés et souvenirs vécus, de faire émerger de son récit les fantômes des millions de disparus et de leur rendre hommage. C’est intelligent, très drôle mais également terriblement poignant.
Trad. Jörg Stickan
Ed. Points