d’Alain Guiraudie.
C’est l’été, il fait chaud. Tous les jours Franck se rend en voiture au bord d’un lac, sur une plage isolée, coincée entre la masse d’eau et un bosquet touffu. Il y va pour nager, mais aussi pour rencontrer des amis, des hommes et à l’ombre des arbres, prendre du plaisir dans des étreintes furtives avec des inconnus. Et puis il rencontre Michel et son physique d’athlète. Il tombe amoureux, et même si, un soir au crépuscule, il surprend Michel en train de noyer son amant, Franck s’abandonne à cet amour.
L’inconnu du lac est avant tout une histoire d’amour, l’amour passion que Franck ressent pour Michel. Un amour sombre, qui, malgré le côté solaire du lieu et la jouissance des corps, porte déjà en lui le germe de la mort. Franck est jeune et beau et pourtant, il se donne sans se protéger à des inconnus. Autodestructeur derrière son visage d’ange, ou inconscient ? Pourtant Franck voudrait croire à son histoire avec Michel, passer ses nuits et ses petits-dèj’ avec lui. Il y a aussi l’histoire d’amour amitié avec Henri. Henri c’est le copain, pas vraiment homo, qui vient au bord du lac on ne sait pas trop pourquoi, avec qui Franck aime discuter et qui apporte au film ses brêches vers le monde extérieur, et puis aussi, sous ses airs de gros ours, affection et tendresse. Enfin, silhouette complètement décalée sous les frondaisons, apparaît l’inspecteur de police, figure ultra-chabrolienne qui enquête sur la mort de l’amant noyé, et représente le regard extérieur, lucide et étonné sur le petit peuple du lac et son mode de fonctionnement. La fin est totalement sublime, avec un petit quelque chose de la tragédie grecque, complètement fermée sous ses apparences d’ouverture et d’indétermination.
Pour raconter son histoire d’amour, Alain Guiraudie met en place un dispositif formel très structuré, qui peut faire penser à du Haneke par exemple. L’inconnu du lac est un huis-clos à ciel ouvert, se déroulant exclusivement au bord de ce lac, dans un nombre de lieux très réduit, et avec un nombre d’axes caméra également restreint. A chaque jour nouveau, on voit Franck garer sa voiture dans un parking sauvage, puis la journée se déroule entre nage, papotage avec Henri, étreintes dans les bois. Et le lendemain rebelote. Cette forme très structurée enferme peu à peu le personnage, et le spectateur, à la fois dans le lieu, mais également dans le temps, comme une histoire sans fin. Les êtres passent, mais les lieux restent.
Il y a bien sûr plusieurs lectures possibles de l’Inconnu du lac au-delà de l’histoire d’amour-passion entre Franck et Michel et l’amour-amitié entre Henri et Franck. Métaphore de la société actuelle, avec sa dérive consumériste (le personnage de jouisseur sans remord de Michel), ses aspirations à la légèreté (Michel) ou encore sa lassitude revenue de tout (Henri). Mais ce qui m’a surtout intéressée c’est cette espèce de réconciliation cinématographique entre l’amour (sentiment) et l’amour (charnel) qu’Alain Guiraudie réussit à faire passer devant la caméra. Le réalisateur réintroduit le sexe dans la relation amoureuse au cinéma, dans toute sa crudité, son prosaïsme, mais aussi sa beauté. Ici, pas d’étreinte devinée, cachée sous les draps, ou perdue dans une ellipse, mais des caresses réelles, du désir palpable et visible. Et c’est très beau de voir ça.
Bien plus abouti que Le roi de l’évasion, qui m’avait plutôt laissé sur ma faim, L’inconnu du lac est un film trait d’union, nourri d’influences et de genres divers, mais qui arrive à se hisser au-delà, pour trouver sa propre voie. Unique, précurseur et terriblement beau.