Chronique film : Ensemble c’est tout

de Claude Berri

Y’a des dimanches (euh un lundi férié en fait), ou on se retrouve tout seul, à 15h30 après avoir déposé un ami à la gare. On se dit : si je rentre chez moi, je m’écroule devant la télé, pas bon. Alors finalement, let’s go to the cinema. Mais voilà, le cinéma ne diffuse que des trucs déjà vus, reste plus qu’une mièvrerie à l’eau de rose. Bon. On se tâte. Et puis, finalement on se décide pour la mièvrerie.

Bref, c’est comme ça que j’ai atterri à Ensemble c’est tout, un film dont j’avais dit déjà plein de mal, sans même l’avoir vu. Gavalda…, déjà, bon… et puis Tautou…, hein, voilà quoi, et enfin Berri…, ben Berri. Et puis, magie du cinéma, magie des acteurs, magie d’être quasi toute seule dans une immense salle aux fauteuils de velours rouge, me suis retrouvée à sangloter comme une madeleine devant tant de simplicité, de modestie, de justesse.

Les personnages auraient pu être caricaturaux et ne le sont pas grâce aux acteurs. Tautou fait complètement oublier qu’elle est Tautou, fume clopiot sur clopiot, et balance, du haut de sa silhouette rachitique à un beauf énamouré « bon on baise, mais on tombe pas amoureux ». Canet en benêt baiseur, buveur et odieux avec les femmes, mais gentil comme tout avec sa mamie, réussit à faire passer le truc, pas évident. Et quand Laurent Stocker, jamais beaucoup vu au cinéma mais qui semble pourtant si familier, aristo déchu, bègue et vendeur de cartes postales, a un coup de foudre pour une blonde, ou se fait jeter d’un cours de théâtre par « c’est d’un orthophoniste dont vous avez besoin », on y croit à mort.

Très juste aussi les décors. La chambre de bonne est minuscule et filmée en plan fixe, l’appart de l’aristo déchu, immense et plein de poussière, quand ils vont tuer le cochon, ben ça sent bien fort la campagne, avec cette chambre au vieux papier peint à fleurs. Juste ce qu’il faut, ni trop, ni pas assez. Ca aurait pu tomber dans le sucré et le lourdingue, mais non, on est sur le petit fil sans foutre le pied à côté. Malheureusement, la fin, un peu trop happy end, plombe un peu le bidule. Mais allez, j’ai envie d’être indulgente ce soir, passons.

PS : toutes mes excuses à ma Mamie que j’avais mortellement blessée à propos de Gavalda, en lui jurant mes grands dieux (faut croire qu’ils ne sont pas si grands que ça), que je n’irai pas voir ce film.

Chronique film : Angel

de François Ozon


Si tu veux connaître l’histoire, clique sur l’image.
Extrait du journal du cinéma Eldorado

Soupir profond. Je n’étais pas très chaude pour aller voir Angel, mais l’intérêt plus que vif d’un ami pour ce cinéaste a fini par me décider. Pourtant Ozon ne m’a jamais vraiment convaincu, même s’il m’a souvent intrigué. Trop intelligent, trop truqueur, trop malin, pas assez organique, ses films des exercices de style un peu vains, même si brillants. Angel ne déroge pas à la règle.

Comme toutes les petites filles depuis 1939 ont rêvé d’être Scarlett O’Hara, tous les metteurs en scène en herbe ont dû rêver d’être Victor Fleming. Froufrous, crinolines, fastes et ors fascinent visiblement Ozon, qui opère une espèce de vrai-faux copié-collé de Gone With The Wind. Une héroïne butée, monstre d’égocentrisme et d’hystérie, un grand amour qui finit mal, un contexte historique lourd, une amie au grand cœur…

Mais pour chaque élément commun, Ozon prend l’exact contre-pied de son modèle : Scarlett est née riche, et sombre dans la pauvreté, Angel sera pauvre et atteindra les sommets de la richesse, Scarlett était une terrienne, Angel n’aura pas un quart de pied sur le sol, Scarlett est une survivante, et luttera pour son grand amour, Angel finira par mourir de ses rêves d’amour, Scarlett aura les mains dans le cambouis pendant la guerre de Sécession, Angel laissera la guerre de 14-18 loin de chez elle… La liste est longue, et dans le scénario, et dans les décors, et dans la mise en scène. On peut également citer les costumes, de la robe rouge dans un escalier, aux oripeaux de la fin, fabriqués de Bric et de Broc, comme la robe verte en rideau de Scarlett. L’idée aurait pu être bonne si elle n’était pas aussi prévisible.

C’est dommage, certains plans sont très réussis, comme ce joli plan du début sur les jambes des écolières trottinant sur la neige, ou Angel, écrivant nue devant sa fenêtre. La mise en scène est belle et fluide, bien sûr. Beaux également les rôles secondaires, de la toujours impeccable Charlotte Rampling, au parfait Sam Neill et l’excellente Lucy Russell. Mais Angel, campée avec moult roulements d’yeux et soupirs éthérés et hystériques par Romola Garai est horripilante. Elle en fait des caisses pour montrer à quel point Angel est égoïste, vulgaire, éloignant de ce fait toutes particules de sympathie que nous pourrions avoir pour elle. Jamais émouvante, elle dessert le personnage, déjà bien assez caricatural et antipathique en lui-même. Quand elle meurt on est assez soulagé d’être débarrassée d’elle, de ses cris, de ses colères, de sa vacuité et de sa stupidité. Et qu’on ne s’y trompe pas, Angel ne meurt pas d’amour, Angel meurt car son mari, en se donnant la mort s’est libéré de son emprise, et Angel ne supporte pas l’échec. Beaucoup trop long (2h15), le film devient systématique et prévisible, jusqu’aux derniers hoquets d’agonie d’Angel.

Bien sûr, le film se veut métaphore de ce qu’est l’artiste, des rêves de gloire, et de la déchéance post-succés, bien sûr l’oubli de l’oeuvre d’Angel, et la découverte posthume de celle de son mari reflète les angoisses du créateur. D’ailleurs Angel ne se laisse t’elle pas mourir pour accéder à cette reconnaissance posthume ? Mais manque de substance, manque de cœur, manque de couilles pour assumer vraiment sa fascination pour les grandes sagas, Ozon rate bien son coup, et préfère tourner en ridicule son penchant kitsch. Le film ne manque pas d’intelligence, certes, mais de sincérité, c’est certain.

Allez, allez, lâchez les chiens !

Chronique film : Lettres d’Iwo Jima

de Clint Eastwood (Lettres d’Iwo Jima)

Second volet eastwoodien sur la bataille d’Iwo Jima, après Mémoires de nos pères. Un sujet, deux points de vue. On est ici du côté nippon, après la vision américaine (renseignements zici).

Bien moins complexe dans sa construction temporelle que son prédécesseur, Letters from Iwo Jima est relativement linéaire, bien qu’éclaté entre plusieurs personnages : un jeune boulanger enrôlé de force pour servir l’empereur, un capitaine cavalier, médaille d’or aux JO de Los Angeles, un général américanophile, humaniste et artiste, un caporal fou furieux…

Comme dans Flags of our fathers, l’image est désaturée à l’extrême, à l’exception du rouge, rouge des flammes, rouge sang, rouge du drapeau japonais. C’est magnifique et cracra en même temps, ça reflète ce qu’est la guerre du dedans, crade, bourbeuse et poussiéreuse, déglamourisant complètement tous les attraits potentiels de la chose.

Tourné en japonais, avec des acteurs japonais tous excellents (sacré défi, remporté de ce point de vue là haut la main), Letters of Iwo Jima est très lent, sans pour autant ennuyer, malgré ses 2h19. Alternant scènes d’introspection des personnages (le général, et le boulanger écrivant à leurs familles, le champion et son cheval, le caporal fou faisant le mort au milieu d’un charnier, des bombes posées sur sa poitrine), scènes de groupe (notamment une scène de hara-kiri à la grenade assez sidérante), et scènes de batailles désolantes, Eastwood donne à chaque échelle de l’histoire son sens, ou plutôt tout son non-sens.

Car Letters from Iwo Jima, comme son alter ego américain, est un film profondément pacifiste. Si aux Etats –Unis, c’est le culte de l’héroïsme public qui est la cible du tir, ici, c’est le culte du dévouement à l’empereur, à la nation, au code de l’honneur nippon qui en prend un coup. Le film se met à hauteur d’hommes, démontre avec force que quelque soit la culture, les hommes sont finalement tous les mêmes, capables du meilleur, comme du pire, emprisonnés pour la plupart dans un mode de pensée codifiée qui ne peut amener qu’au pire.

Letters from Iwo Jima n’est certes pas le meilleur Eastwood, mais un film de bonne facture, profondément humaniste, qui a enfoncé le clou de mon pacifisme encore un peu plus profond.

PS : j’allais faire une blague nulle sur la façon de dire « Général » (ou capitaine, j’en sais rien), en japonais, mais Gols l’a déjà faite .

Chronique film : La Cité Interdite (Curse of the Golden Flower)

de Zhang Yimou

Madame a une liaison avec son beau-fils, et Monsieur le prend mal. Du coup il empoisonne Madame un peu plus chaque jour sous prétexte de la soigner. Madame s’aperçoit des méfaits de Monsieur, et décide de se venger. De son côté, le beau-fils a une liaison avec la fille du toubib, qui finalement se révélera être sa demi-sœur, puisque l’ex de monsieur s’est remariée en secret avec le toubib. Au final, le petit dernier fera une crise d’adolescence et d’autorité, assez vite jugulée, le cadet prouvera qu’il est vraiment un fils à maman. Du coup, comme on est dans la Chine du 10ème siècle, que Monsieur est empereur et Madame Reine, tout le monde meurt, sauf Monsieur, et c’est ballot, parce qu’en fait, c’est lui le méchant.

Voila grosso modo l’histoire de la Cité interdite, film chinois à superlatifs : une reconstitution grandeur réelle de la Cité Interdite, des dizaines de milliers de figurants (et oui, les scènes de batailles finales ne sont pas numériques, les scènes de foules ne sont pas composées de clones virtuels), des costumes ayant demandé des mois de travail, des décors intérieurs surchargés (vaut mieux pas être daltonien j’pense)…

Et pourtant, La Cité Interdite est un film d’une extrême lenteur. Ce qui intéresse Zhang Yimou, ce sont les dessous du fonctionnement de cette hallucinante cité impériale. Lever et préparation des servantes, rituels ponctuant la journée, nettoyage et remise en ordre d’une cour après une bataille… on retrouve bien là le réalisateur d’Epouses et Concubines, à essayer de trouver les grains de sables dans ces univers codifiés (« Allumez les lanternes rouges… »). La répétition des gestes, des habitudes, créent une rythmique tout à fait particulière et inattendue dans un tel film.

« Or et jade à l’extérieur, pourriture et décadence à l’intérieur », dans ces fastes, la caméra s’attache pourtant à filmer de près ses personnages, à raconter une histoire intime, un drame familiale. On est dans un monde clos, sans ouverture aucune sur le monde, la lumière provenant des éléments de décor eux-mêmes. Quand les personnages veulent de l’intimité, on déplie de légers rideaux translucides, la caméra se place derrière, car des secrets, finalement, dans un tel palais aux cloisons de papier, il ne peut y enavoir. Ce qui frappe, c’est l’extrême lisibilité des images, malgré ces décors totalement surabondants (Sofia Coppola aurait dû en prendre de la graine avant de filmer calamiteusement Versailles). Les personnages sont toujours le centre d’attention au milieu de toute la quincaillerie, et c’est très fort.

Au milieu de tout ça, et pour vendre son film, Zhang Yimou a bien dû y coller des scènes de batailles, passage obligé. Je ne suis pas bon juge, les batailles, ça me gonfle. Visiblement lui aussi, car à ces moments là, il casse complètement son immense jouet, on est entre les tortues Ninjas et les Chevaliers du Zodiaque. Je soupçonne derrière tout ça un humour au millième degré. « Ah vous voulez du sang, vous allez en avoir les enfants », les soldats en jaune se retrouvent scotchés comme des mouches aux immenses boucliers à clous des soldats en gris, les soldats en gris utilisent la technique de la tortue, comme les romains dans Astérix… Ridicule aussi Chow Yun-Fat, qu’il faudrait botoxer tellement son froncement de sourcil (juste le droit hein), et sa torsion de bouche sont horripilants (ok c’est le méchant, mais bon, quand même quoi).

Mais oublions ça, reste une histoire intime dans un décor hors-normes, la description d’une décadence en marche, des images sublimes (ou immondes, faut avouer que c’est spécial quand même). Zhang Yimou reste quand même le gars qui a réalisé Le Sorgho Rouge, Qiu Ju, et Vivre!, il ne perd pas totalement la main sur son film. Reste aussi un cri, le cri de la fille du toubib qui vient d’apprendre qu’elle a couché avec son demi-frère. On passe en un quart de seconde à une révélation limite ridicule à un cri et une fuite poignants dans une Cité interdite vide, et qui se termine inéluctablement par la mort.

Inégal mais bigrement intéressant.

Chronique film : Les Témoins

d’André Téchiné

Les Témoins est le film le plus émouvant, humain et lumineux que j’ai vu depuis longtemps. Ne vous fiez pas à cette affiche sinistre. Enfin un film français qui se regarde autre chose que le nombril, un film cruel, tendre, triste et ensoleillé, et un formidable hymne à la vie.

De l’été 1984 à l’été 1985, on suit l’itinéraire de 5 personnes : Manu, jeune ariégeois homosexuel, sa sœur Julie, chanteuse lyrique qui rame, Adrien, médecin amoureux platonique de Manu, Sarah, une amie d’Adrien et son mari Mehdi, flic. Ces personnages se rencontrent, se plaisent, s’aiment, trouvent un équilibre plus ou moins stable. Jusqu’à l’arrivée du sida dans leur vie. Manu a attrapé le virus, et fait basculer leur horizon à tous.

C’est l’extraordinaire attention que Téchiné porte à ces personnes qui est magnifique. Cadrés de près, il filme au plus près des visages et des corps, au plus près des mouvements. Le travelling sur Manu, courant avec légèreté sur la plage, et finissant sa course dans un arbre est absolument magnifique.

Les acteurs sont tous parfaits. Johan Libéreau, dans le rôle de Manu, jeune homme à peine sorti de l’adolescence, a le sourire ravageur et l’innocence des jeunes acteurs débutants chers à Téchiné (J’embrasse pas, Les Roseaux Sauvages). Michel Blanc en homosexuel quinca et vaguement réac, persuadé que les homos et les hétéros ne sont pas faits, finalement, pour être amis. Julie Depardieu, artiste en devenir, plane à 10 000 km au-dessus du monde réel. Emmanuel Béart, écrivain en manque d’inspiration, complètement dépassée par sa responsabilité de mère (voire carrément irresponsable). Et enfin Sami Bouajila, magifique, est Mehdi, son mari et le père de leur fils (auxquels ils n’arrivent pas à trouver un prénom), flic rigide, intransigeant et brutal, mais qui tombe fou amoureux de Manu. Quand Manu tombe malade, c’est tout ‘édifice qui s’effondre, les langues qui se délient, les angoisses montent.

Sans voyeurisme, sans sensiblerie mièvre, sans misérabilisme, sans démonstration aucune, en collant aux humains, Téchiné filme avec une grande pudeur un des plus grands bouleversements sociaux du 20ème siècle, l’arrivée d’un virus qui a complètement modifié les rapports entre les gens, l’insouciance sexuelle, et qui quelque part a aussi fait sortir l’homosexualité du bois. Un virus qui continue de faire des ravages et continuera probablement encore longtemps à décimer les populations les plus fragiles.

Téchiné est un réalisateur en prise avec la nature, son film se déroule sur une année, d’été à été. C’est un cycle de vie, de mort et de résurrection. Parce qu’au final, c’est sous la lumière du soleil, de la vie et du renouveau que s’achève ce beau film. On apprendra même le prénom de l’enfant de Mehdi et Sarah. Et c’est Justin (ou « juste un » ? ;-).

PS : A lire, la parfaite critique du non moins parfait Gols, là.