Chronique film : Loin d’elle

de Sarah Polley

Comme on pouvait s’y attendre, le premier film de Sarah Polley est un joli film, sincère et assez émouvant. On aurait voulu mieux, mais enfin, c’est encore pas tout à fait ça. Elle a du courage, Sarah Polley. Le sujet est ultra casse-gueule, et aurait pu facilement sombrer dans le mélo. Ce n’est pas le cas.

Grant et Fiona (sublimissime Julie Christie, à la silhouette juvénile malgré ses 66 ans), mariés depuis 44 ans et encore amoureux. Elle commence à perdre la boule, les mots, elle commence à disparaître et pousse son mari réticent à la coller dans une maison spécialisée.

Plusieurs choses très réussies dans ce film. Les personnages secondaires sont dessinés en quelques plans avec une grande justesse, la directrice de l’établissement, sourire ultra-bright et dynamisme à l’américaine qui se décompose quand on lui résiste, l’infirmière à l’écoute, mais à l’honnêteté déstabilisante, ou le pensionnaire, ancien commentateur sportif, qui n’a jamais réussi à prendre sa retraite et commente à tout va, y compris les attitudes des gens quand il les croise . Sarah Polley dessine aussi très bien le trouble qui s’insinue en Grant quand il s’aperçoit que dans son centre, sa femme est tombée amoureuse d’un autre homme, Aubrey. Fiona a toujours été une personnalité un peu à part. Est-elle vraiment amoureuse d’Aubrey ? Ou fait-elle semblant soit pour faire payer à son mari son infidélité passée, ou au contraire pour l’aider à ce qu’il se détache d’elle tout à fait, et l’épargner au moment où elle ne sera vraiment plus elle-même ? Réussis aussi, les petits gestes de recul ou d’affection à peine esquissés. On sent la réalisatrice sensible et attentive à ses personnages.

Malgré tout ça, et comme dans La vie secrète des mots d’Isabel Coixet dont Sarah Polley était l’héroïne, et dont visiblement elle s’inspire beaucoup, la sauce ne prend jamais tout à fait. Filmer les regards vagues et mélancoliques de ses deux principaux protagonistes ne suffit pas toujours, surtout accompagnés d’une si mauvaise musique (je pense qu’elle a dû choisir des trucs libres de droits, sinon, je vois pas), et de si mauvais brushings (il faut pendre le coiffeur de Julie Christie). Pourtant certaines maladresses sont assez charmantes ( un petit skieur qui s’évanouit et réapparaît pour simuler la transmission neuronale défaillante, ou les fenêtres d’une maison qui s’éteignent une à une pour la mémoire qui s’efface petit à petit), et on sent parfois poindre un assez joli sens de la mise en scène.

Cependant, excès de pudeur peut-être, elle ne va pas assez loin dans son sujet, la cruauté terrible de la maladie d’Alzheimer, la perte des souvenirs qui est la perte de soi, l’intolérable injustice de cette affection, les mots parfois insoutenables des malades. Le truc est trop scénarisé, sûrement tiré d’un bouquin, le montage, avec ces flashforwards maladroits et inutiles, hache inutilement le film. Dommage. Mais j’attends le deuxième avec impatience.

Chronique film : Zodiac

de David Fincher

Il y a parfois d’immenses moments de solitude, comme consulter une programmation de cinéma sans être du tout au courant des nouvelles sorties. Alors on regarde vaguement les horaires, un peu les réalisateurs, et on se décide tout à fait au pif. J’avoue avoir eu une petite bouffée d’appréhension quand j’ai vu, une fois bien installée dans la salle, d’une part la durée de Zodiac (2h36), d’autre part du sujet : un serial-killer, le Zodiac, celui qui avait inspiré le Scorpio de Dirty Harry…

Fincher, serial-killer… mais il a pas déjà fait ça lui ? Ben non, il n’a pas déjà fait ça lui. Il fait même tout à fait ce qu’il n’avait jamais fait, un film lent, étiré, avec peu de concessions au suspense, aux trucs branchouilles (à part deux p’tits effets qu’on lui pardonne sur les 2h36 du film), et pourtant à chaque moment à contre-pied de toute ce qu’on peut attendre, hors des sentiers bien banalisés du polar. Il brouille les pistes dès le départ.

Robert, cartooniste sympa et vaguement loser, bosse au Chronicle à San Francisco. Il est bien sympa Robert, aussi, quand le tueur en série le Zodiac se manifeste au travers de courriers cryptés, que Robert se met aussitôt à déchiffrer le code, on se dit qu’il va nous résoudre l’énigme en trois coups de cuillères à pot. Loupé, c’est un couple de profs, inconnus, qui craquent le code. Et puis Robert disparaît plus ou moins du film, pour céder sa place au flic en charge de l’enquête. Pas très sexy, ni barraqué le flic, un faux air de Colombo même, qui ne pense qu’à bouffer des « Animal Crackers », même sur une scène de crime.

L’enquête, très lente, est d’abord rythmé par les meurtres, filmés sèchement, sans esthétisation aucune, que ce soit dans une voiture, ou sur les bords d’un lac ensoleillé, les coups de fil du tueur, et l’arrivée des lettres cryptés. La lenteur de l’enquête rend encore plus percutantes les quelques scènes de suspense (il est fortiche avec les lieux clos Fincher, y’a pas à dire).

Les journalistes (excellent Robert Downey Junior, dandy craquant, même déconfit, bourré et en caleçon) et les flics essaient de résoudre une énigme de plus en plus complexe en se tirant plus ou moins dans les pattes. L’enquête s’enlise, le temps s’étire, on s’égare dans des voies sans issues, et les pistes les plus prometteuses s’avèrent inexploitables. Quand tout semble perdu, voilà que notre cartooniste du début reprend le flambeau, et son intérêt se mue en obsession, jusqu’à faire fuir sa femme et ses enfants. Et quand sa femme justement, revient dans l’appart jonché de dossiers et de papiers dans tous les coins, qu’elle balance une chemise cartonnée par terre, on pense aux papiers de divorce. Hop, dernier tour de passe-passe, c’est, sans le savoir, la clé de l’énigme qu’elle apporte à son mari.

Brillant, âpre, drôle, servi par une photo superbe, des acteurs tous nickels, une musique discrète et très bien choisie, Zodiac est un sacré film, bigrement déroutant. A voir les yeux ouverts.

Chronique film : Still Life

de Jia Zhang Ke

Le problème avec les films dont on attend beaucoup, c’est qu’ils tiennent rarement leurs promesses. Ce n’est pas vraiment le cas de Still Life, même si, au risque de me faire lyncher par deux de mes plus fidèles lecteurs, je dois dire que Still Life est quand même un chouille longuet. Quelques bâillements sont venus obscurcir ma vision à peu près aux trois-quart du film.

Bon, ceci dit, je n’ai vraiment rien à reprocher à ce film, beau, ample, intelligent et poétique. Une ville, en pleine phase de démolition, attend d’être engloutie par la montée des eaux du barrage des Trois Gorges. Bruit rythmique de marteaux, murs qui s’effondrent, vies qui s’effacent. Un petit gars en marcel qui ne paie pas de mine (j’vous jure il ressemble à Gérard Jugnot en plus svelte) vient chercher sa femme et sa fille dans les ruines submergées de la ville. Une femme (dans le genre très belle) essaie de retrouver son business-man de mari, qui a eu le nez fin de se spécialiser dans la démolition. Deux classes sociales différentes, deux dénouements différents, sur fond d’un monde qui s’effondre pour laisser place à un nouveau.

C’est d’une beauté extraordinaire, paysages millénaires en passe de disparaître sous les eaux, squelettes fragiles d’immeubles pauvres à moitié démolis, funambule en ombre chinoise au milieu des décombres, panoramiques ou travellings au milieu d’une foule, petite silhouette de femme devant un barrage gigantesque, dizaines d’ouvriers-insectes suant, tapant, cassant des murs édentés. La mise en scène est à la fois très classique (on sent le cinéphile) et très moderne (il ne crache pas sur l’effet spécial).

Le fond social est discret mais bien présent. Pendant que le business-man s’enrichit dans son entreprise de démolition, les pauvres sont chassés de chez eux, sans toujours recevoir une indemnité, et tapent sur des parpaings ou les énormes tuyaux d’une usine désaffectée, comme autrefois, ils cassaient des cailloux pour faire les routes. Bref dans ce nouveau monde, certaines choses changent, mais d’autres demeurent. Malgré tout, le film est parfois assez drôle (jolies réflexions drolatico-intelligentes autour du téléphone portable, personnages d’opéra jouant de la game-boy…) et surtout poétique (même si le coup de l’immeuble qui décolle comme une fusée, bon, ouais, mais bon).

Bref, Still Life est un très beau film, très riche, dont l’analyse pointue remplirait des centaines de pages. N’empêche, on ne m’enlèvera pas de l’idée que c’est quand même vraiment trop long.

PS : Plus jamais je n’engueulerai F. et P. parce qu’ils tapent sur la table en jouant aux cartes. En Chine, c’est pire.

Chronique film : Norway of life (The Bothersome Man)

de Jens Lien

Un autre film a ajouté à la liste des films dont les titres sont les plus bêtement traduits. D’abord, c’est un film norvégien et ils traduisent en France le titre en anglais, bon, soit, mais en plus, ils changent complètement le sens du titre (L’Homme Gênant, grosso modo) pour un jeu de mots à la con, bien moins bon que l’original. Mais passons.

The Bothersome Man est un film fort sympathique. Andréas, trentenaire un peu lunaire, est parachuté en plein désert norvégien (en fait islandais précise le générique) devant un station service antédiluvienne, récupéré par un petit gars dans une voiture pourrie, et emmené dans une ville immaculée où on lui fournit appartement et boulot. Il ne sait pas où il est, ce qu’il y fait, il vit comme un zombie au milieu d’une société où tout sentiment est inexistant, malgré les apparences de société normale. Aucun enfant, les rues ne sont parcourues que par des piétons ternes, ou des voiturettes-balayettes. Quand un gars se défenestre, tombe sur les pointes d’une palissade et déverse ses boyaux sur le trottoir, ça n’émeut personne, que les « cantonniers » locaux qui s’empressent de tout nettoyer.

On est dans l’absurde norvégien. C’est souvent assez drôle et bien vu, avec un paroxysme de mauvais goût très rigolo quand Andréas se jette sous le métro, mais n’arrive pas à mourir, écrasé par trois-quatre rames de métro successives, et finit par sortir du tunnel avec la démarche d’un zombie dans la nuit des morts-vivants.

Critique légère de nos sociétés modernes et inhumanisées, sans sentiment, sans goût, sans odeur, les personnes et les amours sont interchangeables. Andréas n’arrive pas à se soumettre à ce diktat de l’indifférence, et risque tout pour entendre des rires d’enfants. La photo est vraiment jolie, c’est bien filmé, bien joué, et servi par la très belle musique de Grieg of course. Le film se termine un peu en jus de boudin, et c’est dommage, c’est émaillé de plein de petits trucs vraiment bien ficelés. A voir, une curiosité assez osée.

Chronique film : J’attends quelqu’un

de Jérôme Bonnell (J’attends quelqu’un)

Voilà un bien joli film, tout en finesse. Quelques personnages, qui se connaissent ou pas, se croisent, ou pas. Un patron de bistrot (Jean-Pierre Darroussin, Darroussinesque à mort, et tendre comme du beurre) un peu lourdingue et libidineux est vaguement amoureux d’une petite pute grosse comme une allumette (très touchante Florence Loiret avec son physique de mouette). La sœur est une instit coquine et fofolle qui bouffe des carottes au lit (Emmanuelle Devos qui a rarement été si belle). Elle est mariée avec un journaliste détaché, hypocondriaque et mollasson du gland, mais qui prend sa femme en photo quand elle dort (Eric Caravaca, benêt à souhait).

Film choral comme il y en a beaucoup et pourtant… Dans J’attends quelqu’un, il y a plein d’amour et d’attention entre ces êtres, mais un amour qui n’arrive pas à s’exprimer, ils sont avides des autres sans vraiment oser se parler vraiment. Tout le monde est surpris que le bistortier lise l’Education Sentimentale, qu’il a pourtant ingurgité 4 fois. Par pudeur, il dira que c’est parce que Flaubert est né à la même date que lui. On se tourne autour, on s’aime, on se quitte et puis on se retrouve aussi, et puis ouvrant le champ des possibles la dame aux chiens qu’on aperçoit par intermittence dans le fond de l’image 5 ou 6 fois dans le film, ose entrer dans le bistrot, une nouvelle rencontre.

Filmé très simplement, souvent en plans fixes, le film laisse le temps au spectateur de ressentir toutes les nuances des relations entre les êtres, leurs fragilités, leur blessures. Jamais démonstratif, en même temps mélancolique et d’une grande luminosité, J’attends quelqu’un, accompagné discrètement par les très jolies pièces pour piano de Grieg, touche au plus profond des aspirations de l’être humain, et c’est beau comme tout.