Chronique film : Entre les murs

de Laurent Cantet.

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Scie les barreaux.

Ce n’est pas que ce film me tentait vraiment, mais la Palme d’Or décernée à l’unanimité par un jury bouleversé m’a poussé à bouger mes fesses de mon canapé. Je n’étais pas la seule, jamais vu la salle aussi pleine, comme quoi, les bons sentiments sont plus que jamais une valeur sûre. Alors que dire de ce film : qu’il correspond point par point à ce à quoi je m’attendais. Je n’irai pas jusqu’à dire plan par plan, mais quasi.

Le film commence très brièvement hors les murs, le temps de se boire un petit kawa, et hop, le prof rentre dans le ring qu’est ce lycée du XXème et n’en ressortira pas jusqu’au jour des grandes vacances (d’ailleurs, petit point de détail, mais le dernier jour d’école, la classe est au complet… la magie du cinéma). Pendant l’année, on assiste à une succession de scènes de classe, de salle des profs, de cour de récré, et de conseils. Confrontations, palabres, moments de détente, émotions, violence, Cantet est très fort pour saisir les expressions des gamins et du prof, même si on a l’impression de déjà avoir vu ça 50 fois. Le film est sensible, attentif, et laisse sa place à chacun. Deux très belles scènes viennent briser cette impression de déjà-vu : un gamin filmé en plan fixe, qui lit son autoportrait composé sous la forme d’un j’aime/j’aime pas naïf et dérisoire, et surtout à la toute fin, une gamine qui vient voir après le cours le prof, pour le coup bien embarrassé, pour lui dire qu’elle ne comprend rien de ce qu’elle fait au bahut. Là le film effleure une certaine radicalité , et surtout une certaine analyse qui lui fait cruellement défaut.

Parce qu’en fait j’ai l’impression que c’est ça qui lui manque à ce film, une position, une opinion à défendre, un réel point de vue. On a connu Cantet plus couillu et engagé. Écris et joué par un prof, pour les profs, Entre les murs ressemble à la complainte des professeurs qui en chient pour éduquer des gamins qui ne s’intéressent plus à rien. Ils sont parfois émouvants certes ces gosses, mais de là à vraiment réussir à les tirer de leur mouise, il faudrait encore qu’ils le veuillent vraiment. Entre les murs joue entièrement sur le registre de l’émotionnel, en écartant toute analyse. C’est un film de constat, un constat d’échec trop pas juste, mais sans aucune piste de réflexion sur le pourquoi du comment, sans remise en question de quoi que ce soit. En ce sens, c’est bien un film ancré dans son époque puisque la mode est plutôt à l’affichage et à la recherche de réactions épidermiques que d’utilisation de ses neurones, de sa curiosité intellectuelle et de sa culture.

Le film en ça échoue complètement, ni film social, ni film engagé, ni documentaire, à la rigueur portrait d’une classe difficile et d’un prof assez antipathique et maladroit. Alors sans doute que Cantet s’est senti obligé de rester fidèle au livre de Bégaudeau , que je n’ai pas lu, puisqu’il l’a embauché pour jouer le « héros », et ne s’est pas permis de sortir de ce registre superficiel de la simple description pour insuffler un peu plus d’analyse là-dedans. Dommage. Cantet a indéniablement un très beau sens du cinéma et les gamins sont vraiment très bons, et pour le coup, de vrais acteurs. Mais comme quoi, parfois, il faut parfois savoir sortir d’entre les murs pour mieux comprendre ce qui se passe dedans.

 

Chronique film : La belle personne

de Christophe Honoré.

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Encore plus belle, caresse son visage de la souris et clique.

Vu ce film en avant-première sur Arte, mais comme il fait partie des sorties 2008, une petite critique s’impose. Une pointe de déception pour La belle personne, après l’énorme émotion qu’avait été pour moi Les chansons d’amour. Cette transposition de La princesse de Clèves dans une cour de récré de lycée est pourtant une bonne idée, même si mes souvenirs de l’ouvrage restent assez brumeux. D’ailleurs j’avais dû lire ça à peu près à l’âge des héros. Rétrospectivement, je me dis que l’éducation nationale ne fait pas grand chose pour insuffler la passion de la lecture aux gamins : la carte du Tendre enseignée par ma prof de première est un souvenir qui a dégoûté de l’amour quelques générations de périgourdins, faut pas s’étonner après que les gamins soient pas romantiques. Mais je digresse donc.

Le début de la Belle personne est très artificiel : dialogues travaillés dans la bouche de lycéens qui ne parlent que de Racine (pas Racines hélas, ils savent pas ce qu’ils ratent) et de sentiments amoureux. C’est parisien à mort, bobo à mort, et Honoré, visiblement n’a pas fréquenté un lycée populo de Province. Mais comme dans les Chansons d’amour, on finit par passer outre cet aspect du film et se laisser gentiment porter par l’histoire, mais on n’est jamais capté totalement, restant un peu en dehors du film.

La faute ne vient pas des acteurs, tous très bien (ahhhh Louis Garrel, gulps), bien qu’évidemment beaucoup trop âgés pour les rôles (en ce qui concerne les ados). La caméra d’Honoré est totalement respectueuse de ses acteurs, les filmant de très belle façon, mais je crois un peu paresseusement. Ça tâtonne un peu dans la manière de filmer son histoire, essayant même d’intégrer une chanson de Beaupain, comme dans son précédent film. Mais là le truc ne marche pas, trop isolé, trop artificiel. Comme dans le dernier Doillon, la prise de son est absolument catastrophique, on a beau tendre l’oreille, c’est insuffisant, on passe à côté.

Sans doute à revoir sur grand écran avec un son un peu meilleur pour mieux apprécier. Mais sinon, pas grand chose quand même.

Détail d’une peinture de Guido Reni « Anima Beata »,
Pinacothèque capitoline
(c’est pas joli ça « pinacothèque capitoline » ?)

Chronique film : Rumba

de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy.

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Choisis ton bibi et clique dessus.

Ahhh, voilà un film qui a réussi à me faire oublier ma migraine durant 1h17. Et ça ça fait du bien. C’est sûr, Rumba ne va pas révolutionner ma vision philosophique du monde, mais c’est un excellent divertissement, à la fois très simple d’accès, foutrement bien foutu, et un vrai film d’auteurs. L’histoire démarre très simplement : un couple de profs gentils, amoureux de danses latines. Tout va bien pour eux jusqu’à ce qu’ils percutent en voiture un suicidaire décidé mais malchanceux. Pour notre petit couple, c’est le début de la fin, des cataclysmes de plus en plus graves leur tombant sur la tronche avec méthode. Rien de transcendant là-dedans, mais le trio de réalisateurs est incroyablement inventif.

Tourné entièrement en plans fixes, très avare en dialogue, le film est cadré avec une grande finesse. Tous les plans sont absolument millimétrés, réglés au centième de seconde, d’une incroyable richesse. C’est dans les petits détails que le film est vraiment craquant : des coupes en toc dans tout l’appart, des vêtements colorés qui restent suspendus à leur fil après un incendie, intacts dans leurs formes mais complètement noircis, une plage couverte de figurants hilarants, un soupir, une façon de s’essuyer le visage avec n’importe quel bout de tissu qui passe… c’est vraiment de la dentelle mathématique, de l’horlogerie pas suisse mais ultra-précise. Dans ces cadres très composés, les acteurs s’en donnent corporellement à coeur-joie. Ça danse, ça claudique, ça marche, ça gigote, ça mimique juste ce qu’il faut, c’est du vrai bon cinéma burlesque d’inspiration Tatiesque, Chaplinienne, ou Keatonante. Les héros ne sont à l’aise que quand ils dansent ou se dépensent, sinon, ils sont joliment gauches.

Le film est court mais pas exempt de quelques petites longueurs, rien de grave cependant. On peut aussi lui reprocher d’être un peu trop lisse, trop parfait, trop maîtrisé, malgré les trucages craquants à l’ancienne. On sent qu’il n’y a vraiment pas de place à l’impro ici, et il manque un petit je ne sais quoi de naturel, ou de plantade bon enfant pour être complètement convaincant. Mais bon, Rumba est une petite chose incroyablement riche, inventive et loufoque. A voir sans hésitation !

 

Chronique film : Le silence de Lorna

de Jean-Pierre et Luc Dardenne.

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Beaucoup mieux en grand format, en cliquant sur les baskets du petiot.

BOUHHHHHHHHH OUHHHHHHHHHH OUHHHHHH. Ah mon dieu mon dieu mon dieu, je n’aurais jamais pensé devoir dire ça un jour : le nouveau film des frères Dardenne est pas mal. Juste pas mal. Je sais ça fait mal. Pour ma rentrée ciné, je pensais taper au top. Déception donc pour ce film encensée par une presse pour une fois quasi unanime.

Lorna, une jeune et jolie albanaise, est mariée à Claudy, un camé belge. Mariage arrangé par le milieu pour que la jeune femme obtienne sa nationalité belge. Drogue, argent, arnaque, mort, une nationalité belge, ça se paie très cher. Récompensé à Cannes pour son scénario, Le silence de Lorna pêche par sa mise en scène, très en dessous des précédents films des maîtres. Moins nerveuse, moins inventive, plus distanciée, ça reste bien, mais un peu plat.

La première partie réussie cependant à se tenir à peu près, en grande partie grâce à Jérémie Rénier, et à une superbe ellipse qui prend aux tripes. La seconde partie, entièrement centrée autour de Lorna est franchement poussive. L’actrice a beaucoup de mal avec le français et ça se sent, son jeu très neutre finit par paraître très fade. Le meurtre de Claudy bouleverse Lorna sans qu’elle puisse l’extérioriser. Elle s’invente une grossesse pour matérialiser cette disparition trop douloureuse. Le masque de petit soldat de Lorna tombe pour laisser place à une femme enfin humaine et bouleversée. Mais cette émotion ne passe pas, et l’errance finale de l’héroïne, perdue dans la forêt, parlant à son utérus sur trois notes de Beethoven m’a fait pousser des « oh ben non quand même » peu sonores mais très sincères.

Bref, un tout petit Dardenne, certes rien de honteux, mais pas bien puissant non plus.

Chronique film : Valse avec Bachir

d’Ari Folman.


Entre dans la danse en bousculant les danseurs avec ta souris.

Grosse déception pour ce film au buzz émerveillé. Un réalisateur israélien qui a été officier pendant la guerre du Liban, part en quête de sa mémoire. Toutes les images de la guerre se sont effacées pour lui, à part une vision qui le poursuit et dont il ignore si elle est réelle ou non.

Valse avec Bachir est un documentaire autobiographique, parsemé d’images de reconstitutions historiques et de flash-back. Son originalité est d’avoir été tourné sous la forme d’un dessin animé. On ne peut remettre en question l’intégrité, la sincérité de l’entreprise en question, ni l’utilité documentaire du film. Malheureusement le fait de raconter l’histoire sous forme d’animation est un échec. Les graphismes et les mélanges de techniques sont vraiment laids et l’animation est catastrophique. J’avais l’impression de me retrouver dans un jeu vidéo du siècle dernier (vous vous souvenez, quand il y avait des dialogues à mener entre deux personnages mal synchronisés, et qu’il fallait choisir la ligne de dialogue qu’on voulait faire prononcer par le héros ? ).

Cette maladresse au niveau de la forme plombe complètement le film et m’a laissé à deux mille kilomètres de toute émotion. Pourtant on ne peut qu’applaudir l’intelligence du processus : l’animation apporte de la distance. Tant que le héros ne réussit pas à rassembler ses souvenirs, que son passé lui apparaît flou, on est en animation. A la toute fin du film, il a réussi à se remémorer tous les événements auxquels il a participé, les images d’archives prennent la place du dessin animé. Cette brusque introduction du réel, si elle est pleinement justifiée par le dispositif, apparaît alors comme une prise en otage émotionnelle du spectateur. C’est assez déplaisant.

Il y a des milliers di’dées dans ce film, notamment des passages oniriques intéressants, des mélanges de rêves et réalité, un réflexion sur ce qu’est la mémoire et sa plasticité. Mais rien ne fonctionne vraiment, la faute à ces graphismes, ces couleurs et ces animations maladroites qui alourdissent le propos, et le rendent très brouillon. Bref, un machin intéressant, intrigant, intelligent, mais qui ne décolle jamais à cause d’une technique vraiment trop défaillante. Dommage.