Chronique film : Gomorra

de Matteo Garrone.

Âmes sensibles s’abstenir. Curieuse coïncidence que d’aller voir Sodome chez Pasolini et Gomorrhe chez Garrone, à croire que l’Italie serait un pays un chouille perturbé. Gomorra croisent les trajectoires de 5-6 personnages napolitains, du p’tit morveux à la gueule d’ange au vieux caïd, tous liés à la Camorra. Il ne s’agit pas ici de dénoncer les pratiques de la Camorra (visiblement le livre de Roberto Saviano dont est tiré le film s’en charge copieusement), mais de s’immerger dans ces vies, de les ressentir physiquement. Autant vous dire que le film est inconfortable au possible, et on passe son temps la nausée au bord des lèvres. Ben oui, dans les quartiers insalubres, paupérisés, rongés par le trafic de drogue on peut pas dire que ce soit la fête pouet pouet.

Garrone a situé son film dans « les voiles », projet urbanistique complétement dingue qui n’a jamais réussi à être complétement opérationnel à cause du vandalisme. Des lames triangulaires de béton, séparées entre elle de quelques mètres de couloir qui ne voient jamais le jour et sont le repère de tous les petits et gros trafics de la zone. Le seul reproche qu’on peut faire à Garrone est de ne pas avoir suffisamment utilisé son décor. Mais c’est vraiment pour chipoter (en même temps, étant donné les conditions de tournage c’était sans doute un peu chaud). Il préfère s’attacher à ses acteurs (tous extraordinaires, mention spéciale au tailleur, Salvatore Cantalupo je crois), et épier chacun de leurs gestes. Au fond Gomorra est un film anthropologique, ou plutôt zoologique. On est ici dans une lutte pour la survie dans la jungle, dans laquelle la bouffe est remplacée par le fric. Pris dans un système qui semble immuable, les hommes s’adaptent, et tout est dicté chez eux par l’instinct de survie.

La caméra de Garrone est nerveuse, puissante, révélatrice de la moindre émotion. C’est un film physique, brutal, qui n’épargne rien, ne juge rien, et s’attache à faire ressentir. Jusque dans ces raps assourdisants qui ponctuent périodiquement le film et qui font vibrer jusqu’au fin fond des tripes (d’ailleurs la musique du générique de fin est assez hallucinante, Massive Attack j’crois). Gomorra mérite amplement son Grand prix au dernier festival de Cannes. En espérant que la Palme d’Or soit aussi couillue… mais j’avoue avoir franchement quelques doutes a priori.

Chronique film : WALL-E

d’Andrew Stanton.

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Pour tout faire péter, clique avec ton pied

Une vraie belle réussite que cet énième film d’animation. La Terre a été désertée depuis 700 ans par les humains. Une bien bonne nouvelle me direz-vous,  si ce n’est qu’ils ont laissé derrière eux une planète et une atmosphère blindée d’ordures. Les robots dépollueurs qu’une grande compagnie privée avait essaimés sur Terre sont tous tombés en panne, sauf un : WALL-E. Le petit robot solitaire accomplit tous les jours ses tâches, et collectionne quelques petits témoignages « archéologiques » de l’humanité : rubik’s cube, ampoules, boîtes, k7 vidéo d’une comédie musicale. Chaque fois qu’il regarde cette vidéo, le petit coeur de ferraille de WALL-E fait boum, et il rêve de rencontrer l’âme soeur. Jusqu’au jour où …

La première partie de WALL-E est vraiment audacieuse. Tout d’abord visuellement, c’est vraiment une merveille. Les buildings déserts alternent avec d’immenses colonnes d’ordures. De loin, dans le nuage de pollution, leurs silhouettes se mélangent : le message est clair, la folie des grandeurs de l’humanité n’a conduit qu’à sa destruction, l’humanité s’est auto-étouffée. Au milieu de cet océan de merde et de cynisme, WALL-E, petit robot tout déglingué est bigrement émouvant. Sa collection de petits objets est un condensé de tout ce qu’il y avait de plus joli dans l’humanité, le jeu, le romantisme, la capacité à être émerveillé. Il a un rapport respectueux avec le peu de nature qu’il reste : un petit cafard et un pauvre plantouse rescapée.

A peine trois mots sont prononcés dans cette première demi-heure. Disney nous sert une réflexion plan-plan, quasi-muette sur l’environnement, visuellement très impressionnante : voilà qui étonne positivement. Le film s’essouffle un chouia lorsque les humains entrent en scène. Certes, le regard critique est toujours là, mais plus attendu, moins audacieux. Rien de déshonorant cependant, le film reste de bonne facture, mais la magie tourmentée de la première partie se dissipe, pour ramener la péloche au niveau d’un bon divertissement pour gosses, avec scènes d’action et gags à gogo (d’ailleurs j’ai pas tout compris des gags, ça allait un peu vite pour moi).

Bref, un beau film, Andrew Stanton, après 1001 pattes et Nemo confirme qu’il est le plus intéressant des réalisateurs d’anim’ coming from Mickeyland.

 

Chronique film : Bons baisers de Bruges

de Martin McDonagh.


Clique image si flou.

Une bien petite chose que ce film, au demeurant pas désagréable. Deux tueurs à gages britanniques, après une petite plantade, sont envoyés au frais à Bruges par leur boss au langage peu châtié. On imagine alors qu’on va assister à un film d’action dans le brouillard belge. Mais non, pas vraiment. Nos deux lascars visitent la ville, boivent des bières, dragouillent, sniffent, philosophent sur une guerre entre « black midgets » et « white midgets ».

La ville de Bruges, constitue un décor de cinéma idéal : architecture médiéval chargée d’Histoire et d’histoires, ambiance brouillardeuse à souhait. McDonagh réussit bien son coup en faisant de la ville le personnage central de son film (dont le titre original est d’ailleurs « In Bruges« ), il réussit judicieusement à utiliser les éléments historiques et architecturaux de la ville pour les intégrer à son intrigue. C’est d’ailleurs la grande qualité de ce film, sa façon d’utiliser, réutiliser et reréutiliser tous les éléments de décors, et des personnages secondaires pour constituer un ensemble cohérent et ultra-structuré malgré ses airs nonchalants.

A part ça, le film tient surtout par ses dialogues gentiment azimutés qui lorgnent franchement vers le Tarantino. Malgré son énorme accent irlandais et sympathique Farrell en fait des tonnes, Ralph Fiennes par contre excelle dans son rôle de méchant glacial et explosif, décidément un acteur que j’aime bien. On peut également retenir une BO intéressante et très éclectique (de Schubert aux Pretenders). Voilà. Sinon on ressort quand même du film en se demandant « ok c’était sympa, mais pour quoi faire ? ».

Chronique film : Les sept jours

de Ronit et Shlomi Elkabetz.


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A la mort de leur frère Maurice, une famille (nombreuse) israelienne se réunit, selon les traditions, pendant sept jours dans la maison du défunt. Tristesse et réglement de comptes sous la menace des bombes irakiennes.

Le film démarre plutôt bien par l’enterrement de Maurice. Les femmes hurlent, les hommes les entourent. Soudain, ils sont tous contraints de mettre leurs masques à gaz car une alerte retentit. Voilà hommes et femmes, accomplissant les actes rituels, priant, tous sauf la mère, avec une gueule de mouche. Voilà ensuite notre smala, condamnée à être enfermée pendant une semaine chez Maurice. Les rituels, bourrés d’interdits doivent permettre au défunt d’acquérir la paix. C’est bien mené, et assez drôle. Les scènes de groupes sont joliment calculées. On se dit qu’on va assister à un film grinçant sur le poids des traditions dans la religion.

Mais là, problème : il y a une bonne quinzaine de personnages. Le montage est totalement embrouillé, et on met bien une heure à réussir à repérer qui est qui. Des petits bouts d’histoires filmés très statiquement en huis clos, ça aurait pu être une bonne idée, sur fond de deuil. Mais le film dérive vers un psychodrame tout ce qu’il y a de plus basique. Figurez vous que les 6 ou 7 frères et 2 soeurs se déchirent pour des histoires d’argent. Alors ça crie (mal) dans tous les sens, les sacs se vident, et tout tombe à plat. Aucune émotion, aucune implication quelconque pour la spectatrice que je suis. Il ne suffit pas de filmer quelqu’un qui pleure silencieusement et en gros plan pour faire surgir la larme à l’oeil. La scène du grand déballage frôle les cours de théâtre manquant de direction d’acteurs, rigide, nigaude, incroyablement ennuyeuse. On finit par se foutre totalement que machine ait trompé machin avec truc.

Le grand problème de ce film est qu’il se prend très au sérieux. En dehors de la première scène, le premier degré est roi : attention spectateur, le sujet est sérieux. D’ailleurs quel sujet ? la place des traditions juives dans la société actuelle ? le pouvoir néfaste de l’argent sur les hommes ? le fait que la guerre c’est pas beau ? que c’est pas facile d’etre une famille mais que c’est beau quand même ? Honnêtement, je ne comprends absolument pas l’engouement des critiques pour ce film, alors qu’ils boudent le totalement délicieux Voyage aux Pyrénées. Vas comprendre…

Chronique film : Le voyage aux Pyrénées

de Jean-Marie et Arnaud Larrieu.


Encore plus de godillots, clique sur l’oeillet gauche.

Alexandre Dard et Aurore Lalu sont deux comédiens français renommés (enfin surtout Aurore, Alexandre lui est régulièrement confondu avec André Dussolier). Ils tentent de s’exiler au fin fond des Pyrénées. Le but de l’opération : essayer d’enrayer la nymphomanie galopante qu’Aurore a contracté lors d’un séjour à Rome. Malheureusement leur anonymat explose en un rien de temps, et Aurore ne parvient pas à se maîtriser, sautant d’un orgasme à l’autre dès qu’elle pose le pied dans la chaussure de rando d’un inconnu, ou qu’on lui tripote les orteils avec du chocolat. Mais l’ours (des Pyrénées, fraîchement importé) rode.

Lecteurs, faites fi des critiques catastrophiques qui accompagnent la sortie de ce film. Le voyage au Pyrénées est une petite merveille de fantaisie absurde et profonde qui n’a nul équivalent dans le paysage cinématographique franchouillard. Autant la précédente bobine des Larrieu m’avait moyennement convaincue (Peindre ou faire l’amour), autant Le Voyage aux Pyrénées remporte ma plus chaude adhésion.

Les Pyrénées n’y sont pas pour rien. Issus de cette merveilleuse région, les Larrieu, évitant tout régionalisme béat, filment merveilleusement ces paysages qu’on leur sent familiers. Noyés de soleil, ou plongés dans un brouillard fantômatique, étirant ses étroites vallées et ses lacs profonds entre leurs parois rocheuses, les Pyrénées sont un personnage central du film plus qu’un simple décor. Recherchant l’incognito en ces lieux déserts, les deux acteurs découvrent pourtant un milieu vivant (hommes, animaux), dans lequel la faible densité de population exacerbe la curiosité. Dans ce merveilleux décor familier, les Larrieu déchaînent leur créativité, truffant le film d’idées hilarantes et de légendes rurales : un ours taquin, menaçant et joueur tour à tour, une femme nue sauvage, des curés béats et dénudés (dont Philippe Katerine, qui paye de sa personne), Alexandre qui se met à causer tibétain après avoir mangé des champignons hallucinogènes… Le rythme est planplan mais ne faiblit jamais. Et c’est une grande qualité.

Derrière la farce, les Larrieu glissent une métaphore acide du « métier » d’acteur, ou plutôt de la condition d’acteur. Aurore surtout en est un beau specimen. Alexandre reste lui, en tout temps aimable et avenant, même quand les journalistes lui sautent dessus, se plantent de nom, ou que les badauds demandent un autographe. Aurore est nymphomane, les regards des inconnus la font brûler de désir. Elle n’est plus excitée que par l’attention de son public, et ne fait plus l’amour avec son mari. Elle est capricieuse, frivole, et même sa disparition et sa quête de solitude ne peut se faire que de manière incongrue, et sous le regard distant des spectateurs. Elle n’est plus que jeu, mensonge, n’existant finalement plus par elle-même. Scrutés, épiés, Aurore et Alexandre, jouant en permanence leur vie, finissent par être punis par où ils ont pêchés. Mais c’est pour mieux se retrouver au moment où ils vivent une situation dans laquelle ils ne peuvent plus jouer comme ils ont eu l’habitude de le faire. N’empêche, à mon avis, pour eux les emmerdes ne font que commencer.