Chronique film : Le chat du rabbin

de Joann Sfar et Antoine Delesvaux.

Voilà un film d’animation mignon comme tout qui fait du bien à regarder. Ne connaissant pas du tout les bandes dessinées dont il est issu, c’est avec un oeil neutre que j’y suis allée, alléchée il est vrai par la bande-annonce.

Pas déçue, le film est à l’image de ces premières images, drôle et attachant. Servi par un graphisme coloré, vraiment joli à regarder, et une animation très expressive, le Chat du Rabbin dispense une atmosphère bonne enfant, gentiment iconoclaste. Le chat du rabbin, après avoir gobé un perroquet, se met à parler. Et la vie devient pour lui très compliquée. Il parle, mais pense aussi, et pose les questions qui font mouche, et qui égratigne le monde bien ordonné du Rabbin. Le chat ne croit à rien, et le fait bien savoir, mais pour les yeux de sa belle maîtresse, il est prêt à se convertir au judaïsme.

Ce petit personnage gratte-poil, à qui François Morel prête son irrésistible voix, révèle toutes les absurdités des mésententes religieuses, au gré d’aventures rocambolesques. C’est futé et intelligent, parfois irrésistiblement drôle (génial pastiche de Tintin au Congo), mais malheureusement pas forcément très bien construit. Difficile en effet de trouver une cohérence entre le début et la fin du film. Les réalisateurs ont probablement voulu mettre un maximum des albums de Sfar dans le film, qui pêche par conséquent de ce petit manque d’unité.

Rien de rédhibitoire cependant, on prend beaucoup de plaisir à voir ce joli film. A mettre devant toutes les paires d’yeux.

Chronique film : Le gamin au vélo

de Jean-Pierre et Luc Dardenne.

Cyril est un gamin placé dans un foyer, mais il a une idée fixe, récupérer son vélo dans l’appartement de son père. Mais son père est parti sans laisser d’adresse. Les éducateurs ont beau lui dire, il a beau s’enfuir pour vérifier par lui-même, mais rien n’y fait, Cyril veut retrouver son père et son vélo. Lors d’une fugue, il croise la route, dans un cabinet médical de Samantha, coiffeuse. Cette femme, dont on ne sait rien, et dont on apprendra pas grand chose, ramène son vélo à Cyril. Elle l’a racheté à un homme qui l’avait lui-même acheté au père de l’enfant. Alors qu’il ne sait rien d’elle, à part qu’elle lui a ramené son vélo, Cyril demande à Samantha de devenir pour lui, le week-end, famille d’accueil. Et Samantha accepte.

Voilà une grande nouveauté dans le cinéma des frères Dardenne : un personnage capable de générosité, un personnage lumineux qui essaie de manière (a priori) désintéressée de faire du bien à quelqu’un. Samantha, cette femme “mystère” qui accueille ce gamin difficile, est un personnage fondamentalement positif. Certes elle a probablement ses raisons de s’attacher à cet enfant, mais on n’en saura rien, et c’est la grande force du film. Ce choix transforme ce personnage fondamentalement humain en symbole universel de la main tendue. Certes Samantha est probablement en mal d’enfant, mais ce n’est pas l’important. L’important, c’est qu’à un moment donné, elle accepte cet enfant, tel qu’il est (c’est à dire particulièrement difficile), qu’il soit dans un bon jour ou plus probablement dans un mauvais. En ouvrant ses bras, elle ouvre également un autre chemin à Cyril. Mais il n’est pas immédiatement prêt à l’emprunter.

Cyril est un enfant capable de tout pour se faire aimer, accepter. Il recherche avec un entêtement presque effrayant son père qui pourtant le rejette, et son vélo. Quand il se sent apprécié, Cyril donne tout : qu’un loubard le flatte et l’invite boire un Fanta et le voilà qui accepte de braquer un libraire juste par amitié. Et quand le vol tourne mal, que son pseudo ami le rejette, et qu’il a l’idée de donner l’argent dérobé à son père pour le « sortir de la merde », surgit le plus beau plan du film. Le père refuse l’argent, et rejette une nouvelle fois son fils. Cyril s’enfuit donc sur son vélo, et la caméra, à sa hauteur le suit pendant de longs instants. C’est dans cette fuite interminable que tout se joue, que Cyril, trahit par son ami, par son père, change. Et c’est magnifique. Ce plan sur cet enfant qui roule le plus vite possible sur son vélo est juste fantastique et émouvant. C’est une charnière, un moment suspendu entre le rejet et l’acceptation, entre deux mondes opposés.

Ce qui est très beau, c’est que, malgré des personnages pourtant assez stéréotypés (il y a les gentils et les méchants), le film réussit à ne jamais sombrer dans le cliché. Il est baigné par une lumière tout à fait inhabituelle dans le cinéma des Dardenne, solaire, chaude, on y pleure souvent, on tremble mais on y sourit aussi. On assiste à une fable, un conte des temps modernes, et lorsque le générique se termine, on a envie de croire que l’histoire se terminera probablement bien, que la générosité et l’amour existent malgré tout, que rien n’est écrit à l’avance, et que c’est cette certitude qui peut aider à vivre.

Comme d’habitude chez les Dardenne, les comédiens sont tout à fait remarquables, y compris Cécile de France, beaucoup plus convaincante que dans Au-delà de Clint Eastwood. Jérémie Rénier dans son rôle du père démissionnaire réussit une belle composition, et bien sûr Cyril, joué par Thomas Doret, impeccable. Le gamin au vélo marque sans doute un tournant bienvenu dans le cinéma de Jean-Pierre et Luc Dardenne, après Le silence de Lorna qui m’avait semblé un ton en dessous de leurs précédentes oeuvres. Un petit miracle de cinéma.

Chronique film : Gianni et les femmes

de Gianni Di Gegorio.

Autant vous le dire, je suis très en retard dans ma rédaction de chroniques, et l’inspiration n’est pas à son climax.

Gianni et les femmes, petite fable probablement autobiographique est un film absolument charmant. Dès la première scène, on se délecte. Gianni, la soixantaine, amène sa mère (formidable Valeria De Franciscis, au moins 130 ans) sous un faux prétexte chez un juriste pour la mettre sous tutelle. On s’indigne un peu devant le procédé employé par Gianni, mais on comprend dès la scène suivante qu’il n’est pas le salopard qu’on imaginait, et que le pauvre homme est au contraire la plus grande crème que la terre ait porté. Aux petits soins pour son ex-femme, sa fille, sa voisine, et bien sûr sa mère, il se laisse bouffer par toutes les femmes de sa vie, sans que personne ne s’occupe jamais de lui. Pourtant Gianni est comme tout le monde, il aurait bien besoin de tendresse, et tente malgré toutes les adorables goules qui l’entourent de se trouver une compagne.

Gianni et les femmes est un film de peu. Peu d’effets, peu de vannes, tout repose sur le personnage de Gianni, de ses mimiques, de ses comportements. Et ça fonctionne plutôt bien, l’acteur et réalisateur a suffisamment de distance par rapport à lui-même et d’autodérision pour réussir à faire passer un bon moment. Attendrissant, mais un peu pathétique Gianni traîne sa carcasse, ses envies, ses désillusions et surtout son amour pour les femmes à travers le film. Malgré leur comportement envahissant, toutes les femmes sont belles et mises en valeur, jamais caricaturées. Ceci dit, le réalisateur n’a plus grand chose à dire au bout d’une heure, et le film tourne un peu à vide sur la fin, d’ailleurs assez maladroite. Pas très grave, on passe tout de même un fort joli moment.

Chronique film : Minuit à Paris

de Woody Allen.

Quoi de neuf sous la caméra du bon vieux Woody ? Clairement rien. Minuit à Paris se déroule devant nos yeux comme un fond visuel, et on se prend de temps en temps à songer aux livres qu’on vient d’acheter alors qu’on était parti pour impérativement s’acheter des pompes.

Prenant à contre-pied les critiques dont il fait l’objet depuis déjà pas mal d’années (Woody, quand même, avant c’était autre chose), il compose un film tout entier tourné sur la nostalgie. Notre héros, Gil, scénariste hollywoodien frustré, rêve des années folles parisiennes. Lors d’un séjour avec son horripilante fiancée et les parents réacs de celle-ci, il lui arrive un truc étrange : à minuit, alors qu’il se balade seul dans Paris, Gil se retrouve comme par enchantement dans… les années 20 ! Une heure plus tard, après une amourette, et quelques rencontres mémorables (Hemingway, Fitzgerald, Picasso…), Gil est bien forcé d’admettre qu’on idéalise toujours ce qu’on n’a pas vécu, mais que finalement, il vaut mieux se concentrer sur le présent. Waouh. Ca décoiffe non ?

En général, Woddy Allen compense son manque d’idée de mise en scène par une bonne dose de vannes. Ici ça n’est même pas le cas. Après un bout de dialogue rigolo (la définition de la démocratie par Gil), il n’y a quasiment plus l’ombre d’une saillie drolatique. Tout semble lissé, comme si le réalisateur n’osait même plus en sortir une bonne. C’est bien dommage, parce qu’à côté de ça, on s’ennuie ferme. A part la reconstitution du Paris des années folles qui est assez bien faite, une musique toujours agréable et un Adrien Brody en Dali vraiment excellent, rien ne fonctionne.

Pas très joli, pas très bien joué, et au final pas très intéressant, Minuit à Paris nous fait presque regretter le pourtant barbant Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu. Le plaisir d’Allen est évident, mais à l’évidence, il n’arrive plus à nous le transmettre. Pas glop.

Chronique film : The Tree of life

de Terrence Malick

The Tree of life est un film paradoxe dans toutes ses composantes, sa culture, son histoire, sa mise en scène. Il ne se laisse pas facilement aborder intellectuellement, alors même qu’il parle au coeur et aux sensations directement. Tenant lieu plus de l’évocation, de la réminiscence, du souvenir, que d’une volonté de raconter une histoire, le film de Terrence Malick, tout juste palmé à Cannes, ne peut, de toutes façons, laisser indifférent.

L’histoire est finalement simple, malgré son éclatement. Un homme (Sean Penn), qui a visiblement tout réussi dans la vie, se remémore son adolescence et la perte de son frère. Plongé dans les années 50, on assiste donc à la vie d’une famille américaine « typique », père self-made man très strict et artiste déçu, mère au foyer, illuminée par l’amour de Dieu. Tout le film résulte de ce paradoxe pédagogique, de ces tiraillements, de cette schizophrénie, entre une éducation à la rude dispensée par le père, pour lequel il faut être dur, et pas trop gentil, et l’éducation toute en douceur de la mère, baignée par la foi et complètement idéalisée.

J’étais pourtant partie avec un a priori très négatif, tant les aspects mystiques m’agacent généralement beaucoup plus qu’ils ne me transportent. Prenant la plupart du temps la forme d’une voix-off, d’ailleurs fort inutilement omniprésente, les citations bibliques, les interrogations à Dieu ne sont pas d’une grande profondeur. On interroge Dieu sur le pourquoi, le pourquoi de la perte d’un enfant. Bon, pas grand chose de transcendant. Les personnages tentent de trouver un explication aux malheurs qui leur arrivent, de se réconforter en questionnant Dieu. Plus qu’un hymne à la gloire de Dieu, ces passages me sont apparus comme un élément fondateur de l’éducation des personnages, tout comme la rigidité de l’éducation paternelle. On échappe difficilement à son éducation. L’exemple de cette famille « type » américaine, devient alors emblématique de l’évolution de la société américaine, tiraillée entre des principes antinomiques d’amour universel et de réussite personnelle.

Ce qui étonne tout d’abord, c’est une espèce de naïveté de la part de Malick, de maladresse, d’enfance, notamment dans cette évocation de l’évolution depuis le Big Bang jusqu’à aujourd’hui. Il expose la théorie darwinienne en condensé, « L’arbre de vie » comme elle est appelée métaphoriquement. Il accumule de belles images, et des symboles un peu faciles (ces planètes rondes comme des ventres de femmes enceintes, l’arrivée de la météorite qui a provoqué l’extinction des dinosaures, comme le choc de la perte de l’enfant), le tout noyé dans une musique assez infâme. On se retient de rire, de s’agiter sur le siège d’agacement. Mais. Mais voilà, il y a une telle sincérité dans cette grosse machine, que la facilité et la naïveté se muent en une espèce de grande beauté, et d’émotion qui explose à la naissance de l’enfant. J’ignorais totalement que le film était autobiographique, mais je l’ai senti dès les premières images. Malick nous invite à découvrir ce qui l’a façonné, la façon dont il a vécu son adolescence, mais du point de vue de l’adolescent, sans s’octroyer le recul de l’âge. Et devenu adulte, il replonge dans ses souvenirs d’adolescent, ses sensations beaucoup plus que ses réflexions.

Le film lui-même est aussi paradoxal que l’éducation de ces petits américains. Certains de ses défauts peuvent être considérées comme rédhibitoires. La musique d’abord, globalement peu intéressante et qui envahit absolument tout. N’est pas Kubrick qui veut, et les goûts musicaux de Malick me laissent totalement perplexes. Ils font cependant probablement partie du processus du film, de rester au niveau de l’évocation de l’adolescence, et de ce qui a justement baigné cette adolescence. La voix-off ensuite est aussi omniprésente que la musique. Elle est somme toute peu intéressante et très souvent redondante par rapport à l’image. Parce que passés l’agacement, et l’ahurissement que provoquent cette voix-off, il y a la caméra de Malick. Et là, honnêtement, on est dans du très grand cinéma. La direction d’acteurs, la mise en scène, la photographie, sont tout bonnement éblouissantes. Le moindre plan, la moindre image dans chaque plan en raconte beaucoup plus que 2h18 de voix off. Il suffit d’un quart de seconde durant un repas familial pour qu’on comprenne, après pourtant quelques images d’enfance heureuse, que quelque chose ne va pas dans cette famille, qu’il y a un problème du côté du père, qu’il y a de la peur, de la souffrance, de l’admiration aussi du côté de l’enfant. Malick réussit à filmer des sensations, des émotions, avec pourtant une quasi absence de dialogues.

Le film a des côtés obsessionnels, fétichistes. Il collectionne certains types de plans : des plans à mouvement vertical, de bas en haut, comme pour toucher le ciel, mais qui s’arrêtent pourtant à la pointe des arbres. On retrouve ces mouvements de caméra sur d’immenses buildings vitrés qui, à force de vouloir prendre possession du ciel, ne font que le réfléchir. « Toucher » est un mot qui convient très bien au film, il a en effet un côté très tactile. L’homme se remémore ses sensations d’adolescence, y compris ses sensations physiques. Tout commence par le père qui caresse le pied de son fils nouveau-né, on retrouve aussi les pieds nus de la mère, qui jouent avec l’eau. Les mains aussi. On croise des mains en permanence, mains qui se tendent vers le ciel, pour sentir la chaleur des rayons ou les gouttes de pluies. Mains qui caressent, qui frôlent, qui jouent, qui se battent aussi, comme quand le père essaie d’apprendre à boxer à ses fils. C’est juste magnifique et émouvant.

Film « malade », psychédélique, aussi ahurissant, agaçant, naïf qu’il est sincère, magnifique et bouleversant, The tree of life symbolise parfaitement ce qu’est son créateur : un Américain moyen planqué derrière un formidable metteur en scène. Schizophrénique.