Chronique livre : Business Class

de Martin Suter.

Ah, quel filou ce Martin Suter. Business Class est composé de quelques chroniques sur le monde de l’entreprise publiées dans la presse. La plume se veut mordante, le regard acéré. On devine l’écriture un peu trop facile derrière tout ça. Succession de saynètes mettant en scène, la plupart du temps, les patrons et hauts gradés, Business Class pointe du doigt l’impudence, l’inconséquence, l’hypocrisie, la veulerie, la misogynie des dirigeants, autant dans leur vie professionnelle que personnelle. Un chef ne peut cesser d’être un chef quand il rentre à la maison. Tout ici est histoire d’image. Si vous arrivez à faire croire aux autres que vous êtes un bourreau de travail efficace, alors ils le goberont. Comme quelqu’un de précieux me l’a rappelé : « L’important n’est pas de travailler, mais de montrer que vous le faites ». Business Class en est l’exemple éclatant.

Le problème majeur de ce « livre », c’est que la démarche est aussi roublarde que les patrons qu’elle cloue au pilori. Ces chroniques, qui devaient être de très jouissifs petits exutoires matinaux pour employés ballottés dans les transports en commun surpeuplés, n’ont pas leur place dans un bouquin relié. 7 euros, pour moins de 60 pages, police 18, on hurle à l’arnaque, et on imagine l’éditeur, les francs suisses plein les mirettes proposer à Suter : « mais dites-moi , vos chroniques là, ça vous dirait de les publier pour de vrai ? » Pas d’efforts particuliers à fournir, la juxtaposition des nouvelles ne leur apporte pas l’éclairage spécifique qui justifierait la compilation. Bref, je me suis faite avoir. Il y a plus de paraître que de travail là-dedans. Beaucoup trop naïve la fille. Décidément, je ne serai jamais chef.


Entre les deux mon coeur balance.
Un peu plus grand en cliquant dessus.

Chronique livre : Pastorale américaine

de Philip Roth.

Quel immense soulagement de tomber sur un aussi beau bouquin, après ma lecture très poussive de Lord Jim. Voilà un roman pile poil comme je les aime, qui conjugue regard mordant et aiguisé sur l’humanité et une compréhension totale de ses personnages.

Zuckerman, écrivain, retrouve après plus de 30 ans son idole de collège, l’ex-sportif Seymour Levov. Derrière la façade apparemment sans tâche et ultra-bright de Levov (de l’argent, une famille heureuse, un physique flambant, bref la réussite dans tous les domaines, le rêve américain), se cache en fait un cratère béant d’incompréhension et de désespoir : sa fille d’un premier mariage, Merry, a fait exploser lorsqu’elle avait 16 ans une bombe, tuant une personne. En apprenant ce geste, Zuckerman raconte l’histoire telle qu’il se l’imagine de Seymour Levov, avant, et après cet acte insensé.

Le regard de Roth sur ses personnages est étonnant. Jamais il ne les juge, essayant juste d’imaginer les différentes pistes du pourquoi et du comment. L’écriture, parfois répétitive, reflète les ruminations de Levov, qui, en tordant les faits de différentes manières, essaie d’approcher la vérité, une vérité qui lui permettrait de continuer à vivre. L’amour absolu pour sa fille meurtrière, son sens moral, son amour pour son pays, son éducation, tout s’entrechoque, tout est prétexte à remise en question, à regrets. Roth évite cependant de faire de Levov une caricature du rêve américain : Levov comprend bien que le geste de sa fille est un rejet de ce rêve trop parfait de réussite, mais il ne peut s’empêcher d’aimer son pays et ses possibilités tout en conservant son esprit critique vis à vis des actions du gouvernement. Honnêtement, Levov a tout du bon gars, pile au milieu, ouvert et tolérant.

La charge virulente ne porte pas sur les êtres humains pris individuellement, mais sur la société américaine dans son ensemble, qui, elle, rejette violemment toutes les différences et promeut un idéal universel et normatif, jusqu’à envoyer ses gamins se faire tuer à l’autre bout du monde. La société accouche de ses extrêmes : d’individus formatés à leur insu, bien dans le moule, ou de fanatiques désaxés. Intéressantes également les transformations physiques et psychologiques de Merry. Enfant frêle, elle devient une ado massive en rébellion. Son corps s’affirme, se développe, différent, pour essayer de trouver une place dans la société, de s’imposer d’abord par la chair. Quand Levov la retrouve après des années, elle est devenue Jaïn et n’est plus qu’un fantôme de peau de d’os. Elle refuse alors de faire le moindre mal à n’importe quel être vivant, elle essaie d’interagir le moins possible avec l’extérieur. Après l’attaque contre la société, la passivité, elle s’efface du monde. Et c’est par le corps également que Levov disparaît, d’un cancer, après avoir été le symbole physique d’une certaine idée de l’Amérique. Le message est clair, l’Amérique génère elle-même les ferments de sa ruine.

Charge violente contre la société américaine, vulnérabilité physique et psychologique de l’Homme face à l’Histoire, Pastorale américaine est un roman magnifique, intimiste et ample.

God bless G. pour ce beau cadeau.

Chronique livre : Lord Jim

de Joseph Conrad.

Plus d’un mois pour venir à bout de ce pourtant assez modeste roman (500 pages), autant vous dire que je n’ai pas eu la lecture féroce. Je suis passée complètement à côté de ce chef d’oeuvre de la littérature, le livre me tombant des mains toutes les deux pages environ. Je m’imaginais Lord Jim en roman d’aventures fougueux et échevelé, c’est un roman psychologique pointu. J’ai eu la même impression en lisant l’Idiot et en visionnant Le premier venu, l’impression d’être psychologiquement inapte et manquant singulièrement de finesse pour comprendre les tourments du personnage. Le narrateur nous conte l’histoire à partir de son vécu, et des témoignages directs et indirects qu’il a pu collecter sur le pauvre Jim. L’ensemble m’a paru décousu, très difficile à suivre, semé d’indices qui annihilent tout suspense potentiel. Impossible de m’intéresser à ces errements d’une conscience tourmentée. Je suis trop basique. Je préfère m’arrêter là avant de me faire lyncher. Ah et j’ai commencé un Philip Roth, et je revis.

Chronique livre : Le Cas étrange du Dr Jekyll et Mr Hyde

de Robert Louis Stevenson.

Parfois, c’est pas mauvais de revenir aux sources. Il est vraiment étrange de ce plonger dans ce court classique, alors qu’on a l’impression de connaître l’histoire par coeur. Entrée dans l’inconscient collectif, cette histoire a perfusé les imaginaires et inspiré les créateurs dans tous les domaines (théâtre, ciné, chanson, BD…). Il est évidemment question ici de la dualité de l’être, tiraillé en permanence entre le bien et le mal.

La forme courte du roman (plutôt une longue nouvelle en fait), plus centrée sur la résolution du mystère (qui est Hyde ? pourquoi et comment Jekyll s’est retrouvé lié à cet individu ?), que sur la personnalité médecin, laisse le champ libre à l’imaginaire et à l’interprétation. D’ailleurs, l’écriture est belle, mais relativement sèche, se concentrant sur l’essentiel, et ne s’autorisant les écarts que rarement. Les explications du docteur sont d’ailleurs assez confuses révélant finalement peu de choses sur ses actes passés, sur sa vie et ses vicissitudes, mais plutôt sur ses motivations. Jekyll ne supporte pas cette dualité, ne supporte pas ses états d’âmes lorsqu’il agit « mal » (sans que jamais on ne sache véritablement quels sont ses vices), et ne supporte pas d’exercer son métier de médecin en n’étant pas, par ailleurs irréprochable. Il fabrique donc une potion pour matérialiser cette dualité au sein de deux individus distincts : Hyde, part d’ombre de son être exerce toutes les ignominies avec délectation, ce qui permet à Jekyll lui même de résister à la tentation du mal… à part s’enquiller un peu de potion de temps en temps pour se transformer en Hyde .

Le thème est évidemment ancré dans une morale chrétienne, et également dans certaines théories psychanalytiques. Mais là ne comptez pas sur moi pour vous en causez, j’en serais incapable. Par contre, sous ses dehors moralisateurs, une lecture plus fine met en lumière une assez subtile critique de la société victorienne, engoncée dans lebien-penser, bien-agir et diabolisant toute notion de plaisir. C’est le carcan d’une société moralisatrice qui pousse Jekyll dans les retranchements obscures de la culpabilité. Oui, oui, décidément, c’est pas mauvais de revenir aux sources.

Chronique livre : La ligne verte

de Stephen King .

J’avais versé un torrent de larmes devant le film. Voilà, ça c’est dit. Et j’ai pioché le livre un peu au hasard dans ma pile à lire, dorénavant regroupée au sein d’une seule étagère qui déborde. Plutôt une bonne surprise pour ce bouquin boulotté à la va-vite. Publié sous forme de feuilleton, le livre, visiblement non remanié pour sa publication en un volume unique, pâtit un peu de cette forme initiale. Les débuts de chapitres, résumant les éléments clefs précédents sont, du coup, un peu lourds et répétitifs. Mais c’est un détail. King se révèle un vrai maître du suspense, annonçant les évènements sans les dévoiler, semant des petits cailloux qui semblent complètement décalés, et qui trouvent leur place progressivement. Tout ça est vraiment pas mal mené, d’autant plus que les personnages sont particulièrement bien écrits, sans angélisme, mais avec un bel humanisme. Les aller-retours entre passé et présent sont judicieux, le narrateur, plongé dans ses souvenirs ne peut s’empêcher de les projeter dans son présent. Agréable donc, plein de surprises, la petite larme de rigueur à la fin et tout et tout. What i needed.